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A en juger par les chiffres d’audience, télévision et culture ne semblent pas faire bon ménage. Pourquoi ?

La télévision d’aujourd’hui fait du divertissement. Les gens vivent la télé comme un moyen de se distraire, or la culture telle qu’on la conçoit en France n’est pas forcément du domaine du rire. Le divertissement n’est qu’un des aspects de la culturel. La culture française, c’est d’abord Proust, Céline, Van Gogh… et tout cela n’a qu’un très lointain rapport avec Patrick Sébastien, Jean-Pierre Foucault et les autres. Les gens de la précédente génération vivaient et concevaient la télévision dans un rapport professoral : Bernard Pivot, Anne Sinclair ou Jean-Marie Cavada étaient un peu les professeurs de la télé. La génération d’Arthur, Delarue, Fogiel et compagnie entretient avec ce média un rapport de réussite sociale. Tous ces animateurs sont des chefs d’entreprise. La télé a changé de mission, d’ambiance, de culture et de type d’animateur dominant. Cela ne veut pas dire que la culture a totalement disparu de la télévision. Nous ne sommes pas encore dans un paysage audiovisuel à l’italienne ou à l’espagnole, où toute forme de culture aurait disparu. Certains, comme moi, continuent d’y croire.

 

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Deux éléments ont été déterminants. D’abord, la montée en flèche des chaînes d’information. Ces chaînes ont capté un public susceptible d’être intéressé par des émissions culturelles. Deuxième phénomène : la télé est désormais consommée tous les jours. Avant, on attendait une semaine pour voir l’émission de Pivot. Aujourd’hui, l’auteur qui souhaite promouvoir son livre peut aller un jour dans Le Grand Journal et le lendemain au JT. Le mode de consommation a changé. Il se passe avec les chaînes de câble ou de satellite exactement ce qui s’est passé avec les radios libres en 1980. Quand elles sont arrivées, on a eu l’impression qu’on allait écouter enfin des choses populaires mais aussi des choses moins populaires, qu’on allait pouvoir naviguer entre stations anarchistes et grandes stations classiques. Résultat, des années plus tard, on avait Mariah Carey partout. Même la plus petite chaîne du satellite regarde ses audiences et cherche à faire des programmes qui marchent. Le succès n’est pas une valeur culturelle en soi ! À la recherche du temps perdu ou Voyage au bout de la nuit de Céline n’ont jamais été des cartons ?. Des tas d’écrivains aujourd’hui disparus ont vendu plus que lui. La vision que les chaînes ont du succès n’est pas celle de la gloire, mais celle du succès commercial. Cette logique est en train de tout gangrener. On ne peut pas faire des choses très créatives ou très cultivées avec la pression de l’audience.

 

Comment réintroduire la culture à la télévision ?

Il y a plusieurs réponses à cela. La mienne est puritaine, et passe tout de même par un mélange des genres. Avec uniquement des livres, on n’y arrive pas. Et puis… il y a la réponse d’un de ceux qui, je pense, ont le mieux compris le système, Thierry Ardisson, qui reçoit tour à tour une pute, un écrivain, une pute, un écrivain… La télé étant un spectacle où l’ont doit garder le maximum de téléspectateurs, il en faut pour tous les goûts. Ce système a fait ses preuves, avec Tout le monde en parle, qui obtenait 20% de parts de marché. Mais les écrivains, au sens le plus glorieux du terme, n’ont aucune envie de se prêter à ce genre d’exercice. Certains jouent le jeu et s’amusent de ça, parce qu’ils ont cette légèreté en eux et que cela ne leur pose pas de problème. Mais vous ne verrez jamais Modiano chez Ardisson ou Le Clézio chez Ruquier…

 

Dans un ouvrage publié en 2000, La Peur bleue, vous écriviez : « Il n’y a pratiquement plus de Français sur les murs des musées du monde entier pour la période qui nous sépare de 1945 ». Cette défection du monde artistique participe-t-elle selon vous d’un même phénomène que la désertion de la culture à la télévision ?

La France n’est plus un endroit à maîtriser sur le plan culturel, le marché de l’art n’est plus vraiment à Paris. Tout talent n’a pas disparu, mais on a un problème d’excitation. On ne conçoit plus qu’un pays de musée que l’on visite Versailles. Malheureusement, c’est un peu le goût des Français d’aujourd’hui. Un goût sans risque. Le monde contemporain et la culture contemporaine leur font peur. Ils se sentent agressés par l’Europe, par Internet, par la mondialisation. Ils se sentent en revanche à l’aise dans tout ce qui est patrimoine, dans cette idée de la culture qu’est la défense du château de Versailles. Julien Clerc disait dans une chanson : « Nous sommes des oiseaux géants, nous ne voyageons pas souvent ». C’est ça, les Français !

 

Vos parents étaient marchands d’art. Comment se transmet le goût pour la culture de parents à enfants ?

Par un système de vie. Il se trouve que la vie que mes parents menaient me plaisait. Je ne me suis donc jamais séparé d’eux, ni de leur vie. D’une certaine manière, je suis l’anti-punk. Je n’ai strictement rien à reprocher à mes parents. Ils m’ont fait une vie où je n’avais pas beaucoup d’argent, mais qui culturellement et spirituellement était passionnante. Nous ne nous sommes jamais ennuyés.

 

Vous citiez un jour comme un « objet à sauver » un ouvrage, La Vie heureuse de Sénèque. Dans cette réflexion, l’auteur nous prévient que, sur le chemin du bonheur, « gardons nous de suivre en stupide bétail la tête du troupeau, et de nous diriger où l’on va plutôt que où l’on doit aller ». A qui adresseriez-vous ce conseil en priorité aujourd’hui : aux téléspectateurs ou aux directeurs de chaînes ?

On peut toujours incriminer les chaînes… mais je crois qu’il y a fondamentalement un problème de conversion personnelle de la part du public. Dans un roman consacré à la téléréalité, Amélie Nothomb s’en prenait aux téléspectateurs. Elle leur demandait d’arrêter ce voyeurisme, parce que c’est à cause de lui que les producteurs créent ce genre d’ânerie. Dans son exposition Shit, l’Américain Andres Serrano nous montre des portraits de « restes » absolument extraordinaires, tels des cactus au milieu d’un désert. Cela ressemble un peu à ce que nous sommes. Il ne s’agit pas d’un jugement porté sur les gens, mais sur l’époque. Il y a tout à coup des périodes au cours desquelles on se complaît dans la merde…

 

Dans La Vie heureuse, Sénèque estime aussi que, « Dans tous les rangs de la vie, nul ne s’égare tout seul. On est la cause, on est l’auteur de l’égarement des autres ». Dans votre fonction de journaliste animateur, vous sentez vous responsable de la construction du jugement de ceux qui vous regardent ?

Forcément. Je pense que je dois leur rappeler, pour que leur jugement ne soit pas faussé, ce que l’on m’a demandé de présenter. Il ne faut pas mentir sur ce que l’on fait. L’Objet du scandale est une émission de débat, de société, un peu divertissante, où l’on essaie de parler d’art de temps en temps, ce qu’on ne fait pas à la télé. Il ne faut pas mentir, c’est un peu comme cuisiner des spaghettis, car ça ne coûte pas cher et ce n’est pas prétentieux. Je mets un peu d’ail, un peu de piment. Pour cette émission, je ne revendique ni l’étiquette culturelle, ni l’étiquette divertissement. J’essaie de faire une émission bien foutue, le dimanche après-midi, mais c’est modeste, comme le sont des spaghettis à l’ail et au piment. On n’est ni dans un trois étoiles Michelin, ni dans une cantine épouvantable. On essaie juste de faire avec ce qu’on a. Les gens pensent que ce qu’ils voient à l’antenne, c’est ce qu’a voulu le présentateur. Cela fait partie des incompréhensions générées par la télé…

 

Pourquoi ne pas animer une émission consacrée à l’art ?

On pourrait faire un Objet du scandale entièrement centré sur l’art, ce qui serait parfaitement passionnant. Mais je ne connais pas un seul directeur de chaîne qui serait capable d’accepter cela le dimanche après-midi. Beaucoup de grilles sont à refondre, parce que je crois qu’on ne peut pas fabriquer de la nouveauté à la télé sans qu’il y ait des sortes de bureaux d’études pour expérimenter autre chose. Si quand une émission fait 3%de parts d’audience on l’arrête, alors rien n’est constructible.

 

De quoi rêvez-vous aujourd’hui ?

Je rêve de tomber un jour dans une équipe où, justement, on essaierait de refondre tout ça pour faire quelque chose de créatif, intelligent et populaire, parce que la télé ne peut pas se passer de ça. On ne va pas faire de la télé pour quatorze personnes, mais en même temps c’est compliqué de concilier le tout. c’est la phrase de la chanson de Bob Dylan, The Times They Are a Changing… Les temps sont sévères…

 

Travailler dans une chaîne de service public a-t-il un sens particulier pour vous ?

 

Tout ce que je fais depuis huit ans n’aurait aucun sens sur une chaîne privée.

 

Vous avez été professeur d’histoire et géographie. Pourquoi avez-vous finalement décidé de faire carrière dans le journalisme ?

En grande partie parce que j’étais trop jeune lorsque j’ai commencé à enseigner. J’avais des élèves de première et terminale, je leur ressemblais trop en termes d’âge et de génération. Je crois que j’étais capable de transmettre le savoir, mais je n’avais jamais appris la discipline et la pédagogie. Pour moi, c’est très vite devenu difficile à vivre d’expliquer à ceux qui jouaient au fond de la classe que je n’avais pas envie de faire de la discipline. La différence qu’il y avait entre le prof que j’étais et l’élève que j’avais en face de moi était physiquement très faible. C’était dur à assumer. Quand j’ai découvert le journalisme, j’ai tout de suite compris que c’était fait pour moi. d’ailleurs ma vie a changé : je me suis marié, je me suis tout de suite senti beaucoup mieux. J’ai gardé une grande nostalgie et une grande amitié pour le monde enseignant. Je comprend toutes les difficultés qu’il rencontre.

 

« La vie heureuse est celle dont un jugement droit et sûr fait la base et la base immuable. (…) Pour être heureux, il faut donc un jugement sain », nous dit encore Sénèque. Pensez vous que l’on puisse passer en moyenne 2h27 par jour devant sa télé et avoir un jugement sain quand on est adolescent ?

En regardant mes enfants, je me dis que l’un des problèmes de la télé d’aujourd’hui est qu’elle set très facile. Ils la regardent comme un spectacle ridicule. Ils sont très critiques, mais scotchés. Ma génération était critique, mais ne regardait pas. Là, on est dans la critique et l’addiction à la fois, et c’est ça qui pose problème. C’est une critique qui est tout sauf un rejet.

 

La télé est-elle un vrai ou un faux ami éducatif ?

C’est la grande question. Pour moi, il serait urgent que la télévision devienne la corde sociale de tous ceux qui n’ont pu accéder ni à la richesse, ni aux études supérieures, ni à la culture. Que tout d’un coup, au hasard d’une programmation et d’une soirée disponible, ils se retrouvent face à Cyrano de Bergerac ou Phèdre. Nous n’avons pas de difficulté à accéder à la culture du divertissement, mais c’est plus dur pour la culture profonde. On n’a pas de problème avec Bruel, mais on en a davantage avec Beckett.

 

Quelle est votre politique familiale par rapport à la télé ?

Elle a beaucoup évolué avec mes enfants. Ma fille était anti-télé car elle était contre son père. C’était une version grunge des choses ! Mes deux fils qui suivent, je les ai laissés faire un peu tout et n’importe quoi. Pour le plus jeune, Joseph, qui a 10 ans, on a fermé considérablement le robinet. Cela a eu un effet immédiat sur les résultats scolaires, même s’il était déjà très bon à l’école. c’est une chose qu’il faut hurler aux parents : l’utilisation outrageuse de la télévision et des jeux vidéo éloigne forcément de l’école. Dès que les cours deviennent chiants, ils ne supportent plus. Même la télé est devenue comme ça. Il y a des mots qu’on n’emploie plus qui sont presque devenus obscènes tels que beauté, gentillesse… Je ne suis pas une sorte de neuneu qui rêve d’un monde idéal, mais on est tout de même passés loin de l’autre côté…

 

Le summum de l’éducation en matière de télévision serait-il… de ne pas avoir de télé chez soi ?

En matière d’information, ce serait une erreur. Le souci vient de l’éducation. On n’est pas obligés de regarder toutes les âneries qu’il y a dedans ! Une éducation spartiate, coupée de la télé, serait une tragédie.

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