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Saltimbanque dans l’âme, François-Xavier Demaison a longtemps contrarié sa nature. un peu par conformisme, il a sans conviction embrassé une carrière de fiscaliste. Jusqu’à ce que les attentats du 11 Septembre réveillent l’artiste qui sommeillait en lui.

Quel élève avez-vous été ?
Je voulais faire plaisir à mes parents, leur rapporter des bonnes notes. Ils sont d’origine assez modeste et ont réussi par le travail. Pour eux, les études c’était important. Dès que j’avais un bon carnet, c’est eux que j’appelais… Peut-être est-ce la raison pour laquelle, entre une carrière d’acteur et celle de trader, j’ai choisi la seconde…

Vous rêviez déjà de devenir acteur ?
Oui. Ce que je vis aujourd’hui, ce sont mes rêves d’enfant. Et j’ai vécu avec mes rêves pendant des années en croyant qu’ils étaient impossibles à réaliser. Il fallait que je fasse plaisir, que je sois conforme. Conforme aux espoirs que mes parents avaient dans ma scolarité.

Conforme à une certaine image de la réussite aussi…
À une réussite qui passait d’abord par les diplômes, par une voie classique. À 18 ans, lorsque j’ai eu mon bac, je me suis inscrit en droit à Nanterre. Les valeurs de cette fac me correspondaient bien. Parallèlement à cela, je suis entré au cours Florent. J’ai intégré la classe libre après un concours interne. Mais au lieu de choisir la carrière de saltimbanque, j’ai passé le concours de Sciences Po Paris. Que j’ai réussi en ne citant que des pièces de théâtre… J’ai alors mis de côté mes aspirations de saltimbanque.

Regrettez-vous ce parcours aujourd’hui ?
Non. Je pars du principe que plus on reste dans le système, plus il est facile d’en comprendre les rouages et de les transgresser. Les plus grands anarchistes ont fait de études poussées. Boris Vian était centralien, Léo Ferrer a fait Sciences Po… C’était reculé pour mieux sauter. Quoique vous fassiez entre 18 et 23 ans, ce n’est jamais du temps perdu. Quand je discute avec des ados, je leur dis beaucoup que, plus ils restent dans le cadre scolaire, plus ils ont de chances d’atteindre leurs objectifs tôt. Sauf peut-être lorsqu’il s’agit de métiers spécifiques qui passent par l’apprentissage…

Quels critères ont déterminé le choix de votre premier travail ?
J’ai choisi quelque chose de standard. J’étais toujours dans l’idée de faire plaisir à mes parents. Je suis entrée dans une voie tracée. Peut-être étais-je à la recherche d’une reconnaissance et d’une respectabilité sociale. Je me rends compte que j’ai plus de reconnaissance dans le métier que j’exerce aujourd’hui… En outre, je m’aperçois que je suis plus en phase avec mes valeurs que je ne l’étais.

Qu’avez-vous ressenti le premier jour où vous avez enfilé un costard pour aller travailler ?
Je me suis dit : « tu viens de signer pour 40 piges…». Cela ne m’a pas amusé. J’avais enfoui trop profondément mon rêve d’enfant. J’ai eu l’impression de jouer un rôle pendant  six ans dans une série récurrente. J’ai joué ce rôle en bon élève. J’étais plutôt bien noté d’ailleurs. Et puis un jour, j’ai arrêter la série.  J’ai enlevé le costume. Cela ne correspondait pas a mes aspirations fortes. Il a fallu l’éloignement de New York, puis un choc, le 11 septembre 2011, pour faire ressurgir mes aspirations profondes.

« J’ai vécu avec mes rêves pendant des années en croyant qu’il étaient impossibles à réaliser. »

Votre entourage s’est-il rendu compte que vous n’étiez pas heureux dans votre métier ?
Mon grand-père, lui, n’était pas dupe. Il me regardait en se disant : « ce n’est pas sa voie ».

Le 11 septembre 2001, vous étiez à New York, vous avez assisté à l’effondrement des tours. Que s’est-il passé dans votre tête ?
Une espèce de séisme. J’ai vu la fumée des tours et je me suis demandé : « à qui est-ce que je fais plaisir en étant ici ? Pour qui est-ce que je joue un rôle ? Pour une pseudo société en train de s’effondrer comme un château de cartes ? Et tous ces gens qui sautent… effectivement c’était de bons petits soldats qui sont arrivés à l’heure au bureau. J’avais fini par me prendre au sérieux. J’ai pris conscience que tout pouvait s’arrêter du jour au lendemain.

Comment s’est imposée à vous l’idée de retourner à vos premiers amours ?
Mon projet professionnel de devenir acteur était fou, mais je le trouvais toujours moins fou que la folie du monde. Finalement, il est très raisonnable de se dire qu’on va faire ce qu’on aime. Je me suis dit que si les gens m’aimaient vraiment, ils sauraient que ma voie, c’est le spectacle. Je me suis dit qu’ils ne me jugeraient pas, qu’ils m’accompagneraient.

Vous ne regrettez pas cette reconversion ?
Ce que je suis profondément, c’est un saltimbanque. Je suis né pour faire rire. Pour raconter des histoires. Lorsque je m’éloigne de ça, je me perds. Aujourd’hui, je suis monté, monté, monté… mais si je commence à m’embourgeoiser et à me reposer sur mes lauriers, je suis foutu ! J’ai choisi l’inconfortable. La remise en question permanente, mais je suis beaucoup plus heureux qu’avant.

Quel regard portez-vous sur le milieu de la finance ?
Aujourd’hui, j’ai beaucoup de mal avec le cynisme du monde économique. L’injustice sociale qu’a créé notre système m’écoeure de plus en plus. Je crois que les générations futures regarderont avec un certain recul ce monde de la finance qui a dicté beaucoup de comportements et qui est devenu fou. Beaucoup de projets professionnels se résumaient à : « je veux faire du fric ».

Comment ne pas tomber dans le piège ?
C’est en redonnant du sens et des valeurs à son projet professionnel, en écoutant ses aspirations dès l’origine, dès l’enfance, qu’on s’oriente bien dans la vie.

Quelles leçons tirées de votre propre parcours transmettrez-vous à votre fille ?
Il ne faut pas réaliser un choix professionnel en fonction du statut ou du salaire. D’abord parce que tout cela évolue. Combien de professions qui autrefois étaient nobles sont aujourd’hui sinistrés… La première chose consiste à se demander ce qu’on a envie de faire dans la vie. Et puis, n’y a pas plus de voie tracée. Dans tout métier, on est obligé de passer par une remise en question permanente. Si je devais transmettre une chose à ma fille, ce serait l’ouverture d’esprit. La manière de penser en Chine est peut-être différente de la nôtre, mais il faut l’accepter. Je l’encouragerai à travailler les langues étrangères, à voyager, à faire de vraies expériences.

La dimension du rapport aux autres semble avoir été importante dans votre choix…
S’écouter soi consiste aussi à se positionner dans la société, à se demander ce que l’on apporte aux autres.

Qu’est-ce que l’expérience du trader a apporté à l’artiste que vous êtes devenu ?
Une rigueur, le sens du travail et de l’organisation, la conduite d’un projet de A à Z. Le sens de l’efficacité. Canaliser mon énergie dans la bonne direction pour ne pas en perdre. Aujourd’hui, je mets tout cela au service d’une passion.

Y a-t-il des points communs entre ces deux professions ?
J’ai eu l’impression de jouer un rôle pendant six ans dans une série récurrente. J’ai joué ce rôle en bon élève. J’étais plutôt bien noté d’ailleurs. J’ai eu un jump, ils m’ont envoyé à New York. Et puis un jour, j’ai arrêté la série. J’ai enlevé le costume. Cela ne correspondait pas à mes aspirations fortes.

« Lorsqu’on est bon dans quelque chose, on finit toujours par réussir… »

Comment jugez-vous cette expérience avec du recul ?
Il y a une dimension de maturité. On a besoin de temps pour comprendre les choses. Je pense que l’ouverture au monde, les langues, les sciences humaines, nous aident aussi à mieux connaitre le monde et à mieux nous connaître. Il me semble que l’orientation se fait peut-être un peu trop tôt. Qu’il n’y a pas assez de passerelles entre les voies.

Quelles sont les conséquences chez ceux qui ne vont pas au bout de leurs rêves ?
Il y a un gros problème de reconnaissance chez ceux qui n’ont pas été au bout de leurs ambitions personnelles. Ce sont les gens les plus chiants et les plus douloureux à vivre. Ce sont aussi les plus dangereux, ils ont toujours un problème… Combien d’hommes et de femmes ont un problème de reconnaissance professionnelle et personnelle. C’est important la reconnaissance. C’est important de sentir qu’on a sa place dans la société.

Et aujourd’hui, vous êtes heureux ?
Aujourd’hui, je ne rêve plus. Je suis en phase avec moi même. On ne peut pas indéfiniment rêver d’une vie et en vivre une autre. On ne peut pas vivre par procuration, c’est une catastrophe. On ne peut pas passer sa vie à regarder les autres vivre en étant soi-même malheureux.

Votre fille de deux ans et demie, elle sera un jour ado…
…et c’est là que les ennuis vont commencer ! Tout ça, ce ne sont que de belles paroles. Ça va venir vite, vous croyez ?

Dans six ou sept ans…
Silence. Quand je vois la performance humaine qu’il faut, le don de soi, l’abnégation, d’ingratitude qu’implique le rôle du père d’ado aujourd’hui… Je me demande si je serai à la hauteur du rendez-vous. Serai-je capable de
maintenir le dialogue, la communication ? Est-ce que je vais ressortir de mon nombrilisme pour aller vers elle… Au contraire va-t-elle se replier sur elle ? Serai-je capable d’aller la chercher dans son monde ?

Les rêves d’enfants font parfois peur aux parents. Comment faire la différence à votre avis entre une utopie, et qui ne peut que le rester et un rêve qu’il faut entretenir, encourager et concrétiser ?
Il s’agit de bien connaitre l’enfant. Si on sait que c’est un rêveur, ou qu’il s’emballe un peu vite, il faut tester sa motivation. Si ça prend, ça prend. Il y a une chanson qui dit qu’ « on est comme on a été élevé ». On est profondément tel qu’on a reçu. Si les parents ne croient pas en leur enfant, qui va y croire ? C’est déterminant.

Quels critères sont déterminants au moment de choisir son orientation, selon vous ?
Les choix d’orientation, ce sont des choix de vie, pas des choix de métiers. Ensuite, il faut assumer ses choix. Si tu n’es pas heureux, fais autre chose ! Tu gagneras moins de fric, et encore… Aujourd’hui, je gagne mieux ma vie en étant saltimbanque qu’en étant un « respectable »…  Trop de choix professionnels sont déterminés par l’argent. Je pense que lorsqu’on est bon dans quelque chose, on fini toujours par réussir…

 

Propos recueillis par Marie BERNARD

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