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Génération lolitas ? « Lolitisation » ? Pornographie infantile ? Les spécialistes du sujet parlent habituellement d’ « hypersexualisation » des petites filles. « Mais ce terme n’est pas adapté, souligne le sociologue Michel Fize. Elles sont certes érotisées, mais elles n’ont pas conscience que leurs tenues et leurs attitudes véhiculent des messages sexuels. Pour elles, c’est simplement une manière d’être populaires, de plaire aux copines plus qu’aux garçons. » Tous ceux qui ont étudié le phénomène s’accordent pour dire que c’est parce que la société toute entière est hypersexualisée que les fillettes le sont également.

Le porno à portée de clic 

Il est de plus en plus fréquent, voire systématique, de donner un caractère sexuel à des produits ou des services qui n’en possèdent a priori pas. Les clips vidéo des chanteuses, ou les publicités pour les yaourts s’appuient sur les codes de la séduction. Derrière ce phénomène, c’est bien la banalisation de la pornographie qui est en cause. « Les enfants sont exposés à des images qui ne sont pas de leur âge, se désole Béatrice Copper-Royer, psychologue spécialiste de l’enfance et de l’adolescence. Il suffit de quelques clics pour visionner un film pornographique. Filles ou garçons, ils n’ont pas encore la capacité de décrypter ces messages et de prendre du recul face à toutes ces images érotisées qu’ils aperçoivent dans la rue, sur internet ou dans les médias. Et comme ils veulent faire comme les grands, ils imitent. »

Saint-Valentin version gamin

Parfois, les enfants eux-mêmes sont mis en scène. Concours de mini-miss, ou encore poses suggestives dans les magazines. En décembre 2010, quelques pages de la version française de la revue Vogue avaient fait scandale. On y voyait des fillettes à peine formées photographiées dans des positions érotiques.

Dernier ressort de ce phénomène : le marketing. Pour vendre leurs produits, les acteurs économiques n’hésitent pas à s’appuyer sur le concept de pré-adolescence. Les frontières entre les âges sont brouillées. Il est alors possible de proposer des strings ou des soutiens-gorge ampliformes en taille 10 ans. Le magazine Julie, destiné aux 9-13 ans, publiait en février un article sur la Saint-Valentin. En quelques jours, 220 commentaires ont été postés sur le blog de Julie par des fillettes : « Moi, j’me suis sentie seule car je venais de casser avec mon amoureux il y a une semaine ! J’ai vu mon ex embrasser une autre fille, devant moi, alors qu’il sait que je l’aime encore. Il est allé avec une fille canon. »

Objets sexuels malgré elles

Ce phénomène des bimbo-juniors reste marginal : à moins d’assister à un concours de mini-miss, croiser une petite fille perchée sur des talons relève de l’exception plus que de la norme. Mais les conséquences de l’hypersexualisation ne s’arrêtent pas à ce qui est aussi visible qu’une mini-jupe

« La dictature de l’image est terrible, et elle commence de plus en plus tôt, s’alarme Michel Fize. Le simple fait que ce ne soit plus un jeu est dangereux. Accepter de devenir un objet de séduction n’est jamais neutre. » Les enfants devenus adultes peuvent avoir du mal à envisager une relation amoureuse sous un autre modèle que la femme sexy soumise à un homme dominateur et performant.

Le constat est partagé par Marie-Pierre Martinet, secrétaire générale du Planning familial : « Les jeunes qui sont mal dans leur peau répondent à des sollicitations extérieures qui ne correspondent pas à ce qu’elles veulent. D’où, parfois, des expériences sexuelles précoces et destructrices. »

Pour lutter contre ce phénomène de société, Roselyne Bachelot, ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, a réuni un groupe de travail fin novembre. Autour de la table, différents acteurs du monde de l’enfance ont planché avec des syndicats de journalistes et des représentants du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). La charte qu’ils ont rédigée et signée en février vise à protéger l’image des enfants dans les médias. Malheureusement, les articles du texte ne sont que de simples engagements, dont les contours restent assez flous. La sénatrice Chantal Jouanno a par ailleurs publié un rapport conséquent (voir aussi l’interview de Chantal Jouanno dans ce dossier), accompagné de douze préconisations pour protéger les enfants. Mais les solutions proposées ne pourront être mises en œuvre qu’à partir de la rentrée 2012… Encore faut-il que le prochain gouvernement en fasse une priorité.

 

Il est normal que les enfants veuillent aller plus vite que la musique. Mais il ne faut pas les laisser faire. Parents, vous avez votre mot à dire. Action !

«Les parents ont un rôle immense à jouer dans ce phénomène de société. C’est même par eux que passe la majeure partie de la solution. » Béatrice Copper-Royer, psychologue spécialiste de l’enfance et de l’adolescence, répète souvent aux parents de ses patients qu’ils ne doivent pas être démissionnaires. « Ils restent les premiers éducateurs de leur progéniture. » Le meilleur moyen de savoir ce qui est normal et ce qui l’est moins, c’est de respecter les phases de développement de l’enfant. La période de latence s’étend entre l’âge de 5-6 ans et le début de la puberté. Les pulsions sexuelles observées à l’école maternelle deviennent moindres. Elles laissent place à la curiosité intellectuelle et à une grande ouverture sur le monde. Ne pas éveiller de désirs sexuels ou de jeux de séduction permet aux enfants de vivre pleinement l’âge de l’enfance, afin de mieux se construire à l’adolescence. Avant d’imposer un interdit, le sociologue Michel Fize suggère de « demander à ses enfants d’exprimer ce qu’ils veulent dire par leur apparence : “Je ne comprends pas bien pourquoi tu veux aller à l’école habillée comme ça.“ » Parfois, il faut dire non et interdire. L’argument choc ? « Ce n’est pas de ton âge. On en reparlera lorsque tu auras 14 ans. » Les enfants savent bien qu’ils ne sont pas encore des « grandes personnes ».

Les fillettes et jeunes adolescentes ont rarement conscience que les messages qu’elles envoient ont une connotation sexuelle. Sur ces questions, les pères de famille ont un rôle crucial à jouer. Béatrice Copper-Royer estime même qu’ « ils sont les mieux placés pour expliquer à leur fille les signaux que reçoit un garçon face à une mini-jupe ou un string qui dépasse du pantalon. » De la même manière, les enfants ont besoin d’apprendre à décrypter les messages véhiculés par les clips des chanteuses ou par la publicité, pour repérer les tentatives d’instrumentalisation. Face aux conquêtes amoureuses des enfants, mieux vaut éviter de s’extasier : « Est-ce que tu es sûr(e) que ce n’est pas plutôt de l’amitié ? » Les parents ne répèteront jamais assez qu’il n’est pas anormal de ne pas avoir de petit copain lorsqu’on est encore qu’un enfant. C’est même tout ce qu’il y a de plus souhaitable.

 

 Article réalisé par Sarah Castilles

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