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Et s’il ne m’aimait plus… autant qu’avant ?

Anne élève seule sa fille de 15 ans, Ségolène. En ce moment à la maison, l’ambiance est électrique.  Anne interdit à sa fille de sortir le soir avec ses copines. En retour, Ségolène ne mâche pas ses mots.  « Elle me dit qu’elle ne m’aime pas, que je suis trop nulle. Bien sûr, c’est sous le coup de la colère mais, quand même, plus rien ne lui plaît me concernant. J’ai l’impression que nous n’avons pas grand-chose en commun », s’inquiète la maman.

Le temps des doutes 

Finie la période où votre enfant chéri vous racontait sa vie par le menu ! Vous n’entendez plus votre fille vous dire que plus tard elle aimerait vous ressembler, ni votre garçon vous répéter que vous êtes une jolie maman. Aujourd’hui, vous cherchez la moindre étincelle d’amour dans leur regard… en vain. Ils critiquent ce que vous faites, s’opposent à ce que vous dites. Vous avez  beau vous rassurer en vous disant que c’est un peu  normal de n’être plus leur modèle, qu’ils grandissent  etc., vous ne pouvez pas vous empêcher de remettre  en question vos compétences parentales. Vous finissez même par vous demander si vos chers petits ne vous aimeraient pas moins qu’avant.

Symptôme d’un attachement fort à votre égard

Au contraire, et c’est la première bonne nouvelle, ce basculement de votre enfant, passé en quelques années d’un petit adorable à un ado quasiment odieux, est symptomatique d’un sentiment d’attachement fort à votre égard ! « Les adolescents sont pris entre cet attachement à l’enfance et la nécessité impérieuse de s’autonomiser par rapport à vous. Voilà pourquoi ils sont obligés d’en rajouter de façon bruyante, fatigante et souvent désagréable à votre égard », explique le psychiatre Philippe Jeammet. Ils s’opposent pour devenir quelqu’un. Pour gérer la situation, vous avez intérêt à vous armer d’une bonne dose de souplesse, d’humour et, surtout, de prendre la distance suffisante.

S’adapter au changement 

Essayez de l’accompagner dans ce changement, en trouvant la juste mesure qui consiste à ne pas dramatiser ses réactions, mais à ne pas le laisser faire non plus… Nicole, elle, se sent aujourd’hui en complet décalage avec son fils, elle déprime. « J’ai toujours inculqué à mon fils des valeurs libérales. Aujourd’hui, il adopte des positions contraires aux miennes. Je ne comprends pas. » Pour Nathalie Isoré, psychologue à l’Ecole des Parents, il n’y a pourtant pas lieu de se désespérer. « Il est important de continuer à avoir ses propres valeurs, mais il faut arrêter d’essayer de les inculquer à coups de marteau à ses enfants. » La solution consiste à établir le dialogue à l’occasion d’un événement extérieur, film ou actualité sociétale. Bref, il faut essayer de sortir de la conversation butée qui implique directement votre enfant, débouche sur une crise et tétanise tout le monde.

Rester maître de la situation 

Le « je ne t’aime pas » qu’il vous jette à la figure est avant tout lié à une situation particulière et aux limites que vous posez en tant que parent. Ce qu’il n’aime pas, c’est la fin de non-recevoir que vous lui opposez, l’interdiction de sortir ou d’utiliser l’ordinateur toute la nuit, le refus d’acheter un vêtement de marque… Ce qui n’a rien à voir avec ce que vous êtes. Il n’y a aucune raison de vous laisser déstabiliser par ce type de réaction et encore moins de déprimer en vous disant que vous êtes la plus mauvaise mère du monde. Et surtout, à aucun moment vous ne devez perdre votre légitimité de parent.

Lui dire qu’on l’aime quand même 

Une fois l’orage passé, il est même important de passer le message, sans se laisser humilier. « On peut très bien lui dire que la période qu’il traverse n’est pas forcément facile, mais que l’on doit pouvoir continuer à se parler correctement », estime Françoise Rougeul, neuropsychiatre et thérapeute familiale.  « Et pourquoi ne pas prendre le contre-pied en lui disant, par exemple, “même si cela t’agace et même si ce n’est pas forcément de cette façon que tu le souhaites, moi, je t’aime !”, poursuit Françoise Rougeul. C’est un excellent moyen de prendre en compte sa rébellion et de l’inviter à confier son ressenti, ce qui est une façon de renouer le dialogue. »

Rester présent quoi qu’il arrive

Parmi les gentillesses que Maël sert régulièrement à sa mère, il y a des remarques sur ses rides ou sur l’idée qu’il préfère passer du temps avec ses copains plutôt qu’avec elle. « J’encaisse en essayant de rester zen même si, de temps en temps, c’est un peu rude », reconnaît-elle. Quelle que soit l’intensité des paroles prononcées ou de l’indifférence blessante qu’ils peuvent vous manifester, il est important de leur montrer que vous restez présent. Il faut qu’ils entendent que leurs parents ne se lasseront jamais d’eux. Sous-entendu : tu nous casses les pieds, mais on est là quand même !

Penser à déléguer 

« Essayer de déléguer des moments à des tiers : grands-parents, parrains, marraines, etc. Car l’idéal familial se borne trop souvent à la cellule père, mère, enfant. Or cette proximité devient étouffante en cas de crise », observe Anne-Catherine Pernot-Masson, pédopsychiatre. Un point de vue que partage le docteur Philippe Jeammet : « Il faut savoir être un peu moins ensemble, accepter par exemple que ses enfants partent en colo avec d’autres, car la crise est souvent proportionnelle à ce côté fusionnel. On a perdu l’habitude des activités extrascolaires en groupe.  Le seul recours est le collage aux parents, qui devient insupportable en cas de crise », décrit-il. Cette prise de distance est parfois difficile à mettre en œuvre pour certains parents. C’est le cas de Sylvie, qui avoue avoir suivi le bus qui emmenait sa fille en colo à l’autre bout de la France, juste pour s’assurer que tout allait bien ; ou de Véronique, qui revendique « une totale fusion avec sa fille de 15 ans ».

Honte ou détestation ? 

« Il est indispensable, à un moment, de laisser le jeune face à ses responsabilités, sans pour autant jeter l’éponge », estime Nathalie Isoré, à l’Ecole des Parents. En revanche, il faut savoir faire le distinguo parmi les reproches que l’on essuie. Par exemple, ne pas entendre de la même oreille un « je te déteste » et un « j’ai honte de toi ». Le « j’ai honte de toi » révèle un degré supplémentaire, prévient le docteur Jeammet. « Néanmoins, on est toujours en miroir, observe-t-il. L’ado qui a honte de ses parents a très souvent honte de lui-même. » Il conseille encore en pareil cas de réaffirmer sa position de parents, sans se laisser humilier. Pour Françoise Rougeul, « le sentiment de honte exprimé par un ado peut être réel.  Si l’enfant a honte d’un de ses parents pour des raisons  morales, c’est plus compliqué », prévient la spécialiste.  Il faut donc faire la différence entre un ado qui a honte de sa mère parce qu’elle ne sait pas utiliser Internet correctement, et celui qui a honte parce qu’il remet en question la moralité de ses parents par exemple.

Distinguer l’énervement de l’inquiétude

Quoi qu’il en soit, il n’est pas question de laisser passer, il faut provoquer la discussion pour comprendre les raisons de ce malaise.  « D’autant que les enfants sont particulièrement lucides vis-à-vis de leurs parents », poursuit Françoise Rougeul, évoquant le cas d’une jeune fille qui reprochait à ses parents de s’être perdus de vue et désintéressés de la cellule familiale au profit de leur travail. Au point qu’elle leur disait avoir honte de ce qu’ils étaient devenus et n’avoir aucune envie de leur ressembler plus tard… Au bout du compte, il faut faire la différence entre ce qui vous énerve et ce qui vous inquiète. Ainsi, un ado qui est insupportable à la maison agace, mais c’est plus inquiétant si c’est aussi le cas à l’école et chez des amis. Même chose si, en plus de comportements agressifs, il adopte des comportements à risque (consommation d’alcool, de substances illicites, violences à la maison ou à l’extérieur). Une crise qui s’installe dans la durée doit aussi attirer votre attention.

Demander conseil

À la maison, sachez saisir les moments heureux – il y en a toujours ! – avec votre ado, même s’ils ont été précédés d’une séance tumultueuse. Et quand vraiment rien ne va plus, demandez conseil. C’est l’occasion de partager des avis, de trouver des pistes et des solutions. Très souvent, un entretien-diagnostic et un avis extérieur suffisent à dédramatiser les situations. « Se faire aider par le biais de groupes de parole permet aux parents d’évaluer la situation et de faire la part des choses entre ce qui est vraiment problématique et le reste », constate Nathalie Isoré.  « Les adultes remettent en question toutes leurs compétences parentales, observe-t-elle, ils se disent trop impulsifs et pensent ne pas savoir y faire. Je leur répète d’arrêter de se dévaloriser, car les enfants ressentent leur fragilité. » Analyser la situation avec un tiers permet de prendre du recul, de ne pas se prendre au jeu de la provocation, de ne pas de faire embarquer émotionnellement.  À vous de jouer !

 Article réalisé par Béatrice Girard

A lire :

  • Faire son bilan de parents, d’Anne Catherine Pernot-Masson, pédopsychiatre et thérapeute de famille. Editions Payot-Rivages, 15 e.
  • Pour nos ados, soyons adultes de Philippe Jeammet, psychiatre, psychanalyste.  Editions Odile Jacob, 22,50 €.
  • Comprendre la crise d’adolescence Guide pratique à l’usage des parents, de Françoise Rougeul, neuropsychiatre et thérapeute familiale.  Editions Eyrolles, 10 €.

Zoom : Pas de panique, ils vous aiment !

Essayez d’arrêter de toujours lui inculquer vos propres valeurs à coups de marteau sur la tête !  Malgré tout ce qu’ils peuvent dire ou ne pas dire, faire ou ne pas faire… ils vous aiment ! C’est en tout cas ce qui ressort d’une enquête réalisée auprès de 7 000 jeunes âgés de 11 à 15 ans*.  La famille – et donc vous, leurs parents – sont cités par un ado sur deux comme une valeur qui compte, juste après l’amitié et le rire. 86 % d’entre eux déclare bien s’entendre avec vous, et 65 % disent que vous les comprenez.  Mais la conquête de la liberté apparaît clairement comme leur priorité. Voilà qui explique sans doute leurs coups de griffe à votre égard. Ils sont dans une période de rébellion active, mais ils n’ont globalement pas l’intention de se passer de vous tout de suite… Rassurés ?

*Source : Enquête conso junior 2008.

 

Parole d’expert : Françoise Rougeul (professeur émérite de psychopathologie clinique, neuropsychiatre et thérapeute familiale)

Vous dites qu’il ne faut pas considérer la crise d’adolescence comme un drame à éviter, mais qu’il faut au contraire accompagner le changement ?

Oui, car toute crise appelle à un changement et toute la famille est invitée à changer pour accompagner l’ado. La crise en soi est une bonne chose.  L’adolescent a besoin de s’opposer pour se différencier, peu importe par rapport à quoi.  L’important, c’est qu’il puisse dire à ses parents : je ne suis pas comme toi, je n’ai rien de commun avec toi et, même, je ne t’aime pas. Par ce biais, il essaye de trouver son identité et c’est comme cela qu’il faut l’entendre en tant que parent.

Comment réagir à ces phrases ou à ces actes blessants qui remettent l’amour en question ? 

Les parents ne doivent jamais perdre de vue que ces conduites sont réactionnelles, donc il ne faut pas les prendre au pied de la lettre. Les enfants ne pensent pas vraiment ce qu’ils disent.  Les parents doivent donc s’armer de patience tout en restant vigilants, comprendre tout en continuant à poser des limites, et cela sans culpabiliser ou se laisser humilier. C’est dire que le « bon parent » est un mythe, tant il est impossible de répondre de façon adéquate aux demandes contradictoires de l’adolescent.

Qu’est ce qui justifie de se faire aider à l’extérieur ? 

Lorsque les choses deviennent vraiment trop tendues à la maison. Mais à une condition : que tout le monde soit d’accord pour participer à une séance ou à un groupe de discussion.  Si c’est imposé à l’ado, l’échec est probable. Il ne faut pas non plus que cette démarche soit présentée dramatiquement.  Je conseille encore aux parents de ne pas trop s’inquiéter ni de mettre la pression sur leurs enfants mais de rester vigilants.  Certaines choses doivent attirer l’attention : un jeune qui se replie sur lui-même, passe des heures devant son ordinateur, ne téléphone plus et ne voit plus ses amis, ainsi que les conduites agressives en dehors de la maison, les prises de drogue ou d’alcool, les fugues.

Propos recueillis par  Béatrice Girard

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