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UN RIEN DE PSYCHOLOGIE Du bon usage des vertus communes, en temps de catastrophe commune

Temps de lecture estimé : 4 minutes

« Elles sont un remède dans le mal » disait Jean Starobinski
Elles sont un baume déposé sur la douleur de vivre.

Ces jours qui sont à nous, si nous les déplions
Pour entendre leur chuchotante rêverie
Ah ! c’est à peine si nous les reconnaissons.
Quelqu’un nous a changé toute la broderie.
Jules Supervielle, extrait du recueil Le Forçat innocent

Carlo Ossola, historien, a eu l’excellente idée de publier de manière récente, en octobre 2019, la somme de nos vertus communes sous forme d’un livre discret et mesuré, 104 pages, publié aux Belles Lettres. Sous un titre simple, Les vertus communes.

Chacun fera son bouquet parmi ces douze vertus modestes : l’affabilitéla discrétionla bonhomiela franchisela loyautéla gratitudela prévenance, l’urbanitéla mesurela placiditéla constancela générosité.

Nous vous en proposons une petite sélection, petit kit de survie…

La gratitude

Nous la pratiquons, tous les soirs, à 20 heures et au balcon, mais pas seulement. Nous la retrouvons pour saluer les femmes et les hommes en blanc et leur travail de soignant/es. C’est une attitude de l’esprit de partage de la reconnaissance pour l’offrir à la grande élite de la base : nos personnels médicaux qui, soudain, ne sont plus fondus dans une masse invisible et anonyme : ils/elles témoignent à voix nues sur les grandes chaînes, du dénuement, justement, dans les services débordés et ils y pratiquent, malgré tout l’héroïsme quotidien.

Mais la gratitude, nous la ressentons aussi, en ces temps troublés, pour le tiers d’entre nous (30 % de la population reste au travail direct afin d’assurer la vie de la nation). Nous la ressentons pour les caissières, pour les boulangers, pour les dépanneurs de chaudière, pour les pompiers, pour les policiers, pour les agriculteurs, pour tous ceux qui assurent, sans masque, la logistique quotidienne de la France à l’arrêt, pour ne pas dire, aux arrêts.

La gratitude ; nous la ressentons aussi pour ce voisin qui, à distance, invente un salut rien que pour vous, assorti d’un sourire de tendresse à se reconnaître vivants l’un et l’autre par-delà la distance.

L’urbanité

C’est une vertu dont nous usons quand nous saluons, plus ostensiblement qu’avant, les autres humains que nous croisons, de loin, dans ces contacts humains désertés, dans cette rue vide du village, au détour de nos sorties dérogatoires au confinement, forcément et volontairement limitées. Nos gestes amplifiés, lointains sémaphores de la courtoisie, nos postures signifiantes d’affects, nos mimiques exacerbées (si nous ne portons pas le masque) sont des marques d’urbanité et de prévenance pour ces autres « croisés » de cette guerre contre la montre et contre la covid-19. Dans le respect strict des gestes barrières qui sont aussi des gestes de prévenance.

Le discernement

C’est sûrement la plus difficile des vertus à conduire en ces temps de détresse. Car envahi/es, nous le sommes par les émotions négatives, par les poussées de la pulsion de mort qui fait sans cesse retour depuis trop longtemps déjà et pour longtemps encore peut-être. Le discernement serait-il la vertu la plus nécessaire pourtant, à ce point du temps ? Au moment où notre planète, devenue si globale et si fluide (plus de lieu préservé et la barrière entre les espèces qui pourrait bien craquer), notre planète, donc, réagit : nous sommes submergés par le flux. Le flux, pour le moment inexorable de la maladie dite covid-19 et les flux de communication sur le désastre. Des flux disponibles en continu sur les chaînes éponymes.

La situation de rupture « planétaire » que nous connaissons dans tous les domaines, y compris affectif, affole tous les modèles de pensée, jusqu’au départ sans retour ni adieu à nos proches touchés qui ne reviendront pas de réanimation et partiront dans la solitude du mourant. Nous ne savons pas encore gérer, éliminer ces maux, qui, malheureusement, s’empilent.

Nous ne savons pas encore gérer, assumer l’état de la situation et les informations parfois contradictoires, souvent partielles mais surtout alarmantes. La pénurie de masques, de gels, de gants, de respirateurs maintenant… La situation de confinement ajoutée à la situation d’alerte permanente provoque une sidération de la pensée, sidération de type traumatique, avec dissociation psychique. Les réflexes les plus archaïques se confrontent alors à nos capacités à construire une résilience. L’ambivalence de l’enjeu : se garder « soi », se protéger, « nous » crée des fractures. Non pas entre les êtres qui souvent s’aiment. Mais des fractures entre les modes de fonctionnements hétérogènes. D’aucuns trouveront ainsi que le respect, jugé trop scrupuleux, des gestes barrières, c’est seulement une psychose. Le mécanisme de défense à l’œuvre est le déni (ponctuel et partiel) de la réalité. D’autres trouveront que de petites ruptures de la chaîne de vigilance sont de l’inconscience, voire de la malveillance ou une paresse et une désinvolture, parfois un désamour pour la compagne ou pour le compagnon, des écarts, des abandons, potentiellement létaux. On ne joue pas à la roulette russe avec le SARS-covid-2.

Nous ne savons pas gérer ce qui nous sépare. Nous ne savons pas encore totalement que ce qui peut nous séparer c’est de ne pas avoir discerné que la seule menace entre nous, ce n’est pas la divergence des points de vue. La seule chose qui risque de nous séparer, c’est le trajet invraisemblable du coronavirus.

En d’autres temps, pour le sida, le discernement était de dire « Il ne passera pas par moi ». C’était, déjà, une question d’amour et de discernement au cœur d’une épidémie.

La mesure, la constance et la patience

Ces vertus communes s’offrent à nous dès lors que notre discernement reste éveillé au monde et à l’autre. Elles seront des alliées cardinales sur le chemin que nous devons accomplir, avec amour et gratitude. Le plus discrètement possible. « Le plus d’amour possible dans le moins d’être possible [confinement oblige]. Le moins de mots possible pour le plus de sens possible », Vladimir Jankélévitch, Paradoxe de la morale.

Marion Pasquinel, psychologue

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