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Nous tiendrons… et je sortirai des sentiers battus

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L’intervention du président de la République ne nous a rien appris, sinon qu’il va falloir bien comprendre qu’il veut vraiment changer la France, ce pays dont il a « une certaine idée », comme un certain De Gaulle…

Olivier Magnan, rédacteur en chef

Aucune surprise dans les propos du président de la République, puisque les mesures clés étaient déjà toutes connues des médias. La preuve, l’avalanche de reportages et sujets déjà en boîte qui nous furent servis, tout montés, dans la foulée d’une intervention léchée. Même la date du 11 mai n’aura été une info que pour le grand public, lequel savait déjà que le confinement strict serait prolongé au moins un mois. Le reste – une rentrée anticipée pour les crèches, les écoles, les collèges, les lycées, mais pas l’université ni les grandes écoles, le retour graduel sur les lieux de travail de salarié/es protégé/es, le port du masque obligatoire dans les transports en commun, aucune réouverture en hôtellerie, restauration, spectacles, musées, le déconfinement graduel et les « plans massifs », les tests généralisés, tout était attendu et fut confirmé.

Seuls le ton, les mots, la construction même de la parole macronienne donneront de la matière à analyse aux décrypteurs. Et dans ce domaine, ses « plumes », et sans doute le président lui-même, ont bien travaillé.

Si je n’ai pas 4 heures pour « commenter », comme au bac, je dirai simplement que le « plan » du discours fut savamment déployé.

Il fallait commencer par le pire (« les jours difficiles, la peur, les angoisses, le deuil, le chagrin, la violence, la solitude, la tristesse »), mais très vite poursuivre par le positif, « chaque jour nous avons progressé », rendre hommage à tous les métiers de première, deuxième ligne, cités en détail et clore sur cette 3e ligne, nous tous, les confiné/es, qui fûmes « civiques et responsables ».

De quoi rebondir par « les vraies réussites » et la renaissance de l’espoir, pour préparer aux concessions : le « pas assez préparés », les « failles », les « insuffisances », la « pénurie » reconnus en quelques phrases, ont facilité la glissade sur les « masques » : non pas l’aveu attendu d’un défaut d’anticipation et d’un stock 0, mais un « nous n’avons pu distribuer assez de masques » ce qui, dans le domaine de l’euphémisme, vaut un 20/20.

Ce délicat passage négocié, il restait au président à parler plus concrètement et à promettre : des mesures pour le chômage « prolongées », un « fonds de solidarité » pour les commerçants et les indépendants abondé, davantage d’aides, simplifiées, et le message aux banques, priées de décaler les prélèvements, et aux assurances, invitées à être « au rendez-vous » (qu’elles ont raté magistralement jusqu’ici).

Il manquait le chapitre rassurant du devin omniscient : à quand le retour à la « normalité » ? Emmanuel Macron s’est gardé de tomber dans le piège, soudain humble : « J’aimerais vous répondre… » Il ne le peut, et cette réserve résonne enfin comme l’aveu attendu que le roi ne soigne pas les écrouelles. Il ne peut qu’évoquer les vaccins à venir… dans plusieurs mois, et les traitements pour lesquels « toutes les options sont ouvertes ». Remarquable rhétorique qui siéra aux infectiologues anti-chloroquine car le mot maudit n’a pas été prononcé et aux pro-chloroquine qui ont bien entendu « toutes les options ».

La « péroraison » du propos devait laisser place à l’avenir et aux confirmations d’engagements déjà formulés, mais sur lesquels il est revenu. Ceux de « bâtir un autre projet, une raison de vivre ensemble », servis par ce retour de la personnalisation du pouvoir : « Je dessinerai ce chemin ». Et sur ce chemin, Emmanuel Macron bâtira des hôpitaux suffisamment dotés en lits, au personnel soignant aujourd’hui « mal rémunéré » enfin mieux payé, il favorisera les « solutions carbone », la « prévention », « la résilience ». Écoutons cette petite musique émaillée de pistes on ne peut plus concrètes, y compris la rarissime allusion à l’Afrique et son intention de l’aider. Ce qu’il a distillé le soir du lundi de Pâques vaut assurément une messe républicaine, servie par un jeune homme qui dit avoir « une certaine idée de la France ». Doctrine gaullienne à commenter à l’infini, tout comme ce « Nous tiendrons » final. Tenir, c’est le titre du numéro d’avril d’ÉcoRéseau Business que nous avons fait paraître contre vents et marées (il est en kiosques !). Nous avons ajouté « …et réfléchir ». C’est tout le discours entendu au soir du 13 avril.

Olivier Magnan, rédacteur en chef

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