Site icon Parenthèse Magazine

Enquête – Les vrais salaires des profs

Temps de lecture estimé : 4 minutes

 

 

Aurélie a 26 ans. Après une maîtrise d’histoire-géo et trois tentatives au Capes, elle a réalisé son rêve d’ado : devenir professeur. « J’ai eu des doutes après mes deux échecs au Capes, raconte-t-elle. C’était dur à vivre. J’ai alors pensé à me réorienter vers des métiers plus accessibles et mieux payés, comme bibliothécaire. » À la rentrée, pour sa première année d’enseignement, Aurélie gagnera 1 300 € net. Pour compenser ce bas salaire, elle a déjà prévu de donner des cours particuliers en s’inscrivant à Acadomia. Son objectif : toucher 300 € en plus par mois pour atteindre 1 600 €, soit le salaire d’un professeur devenu titulaire après deux ans d’expérience. Fonction publique oblige, les évolutions de salaire sont en effet dictées pour l’essentiel par l’ancienneté. Le constat établi par le syndicat des enseignants du second degré (Snes) est clair : un professeur certifié touche en début de carrière 1,25 fois le Smic, tandis que son aîné en percevait plus du double en 1981. Autre chiffre alarmant : le salaire moyen net d’un enseignant représentait 64% de celui d’un cadre du privé et 67% de celui d’un cadre de la fonction publique en 2004. « On constate un vrai décrochage de nos salaires, explique Frédérique Rolet, secrétaire générale du Snes. Les jeunes profs rencontrent de plus en plus de difficultés, notamment pour se loger. » À l’échelle européenne, c’est sur le critère de la rémunération que le métier d’enseignant semble moins attirant en France. Selon une étude réalisée en 2005 par le réseau d’information sur l’éducation en Europe, Eurydice, le salaire de base d’un enseignant certifié en fin de carrière, rapporté en pourcentage du PIB national par habitant, stagne à 183% en France (et à 99% en début de carrière). Là où il est déjà à 230% en Espagne ou à 320% au Portugal.

Vers la revalorisation du métier d’enseignant

Dans son rapport rendu au ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos, en février dernier, la commission Pochard a lancé plusieurs pistes pour revaloriser financièrement le métier d’enseignant. Première préconisation : donner une prime de début de carrière aux jeunes profs qui, dès 2010, devront décrocher un master (bac + 5), et non plus une licence (bac + 3), pour exercer. Mais cette mesure ne bénéficiera pas aux 800 000 enseignants déjà en poste. Pour ceux qui veulent « souffler » au cours de leur carrière, le rapport préconise le développement de passerelles avec le privé, mais aussi avec d’autres corps de la fonction publique. En contrepartie, l’accent est mis sur une meilleure évaluation du travail des enseignants. Avec une augmentation du nombre d’inspecteurs et un renforcement du rôle de chef d’établissement. En filigrane, même si elle ne dit pas son nom, se dessine une rémunération au mérite, déjà pratiquée dans les pays anglo-saxons.

Le spectre de la rémunération au mérite

Dans son dernier ouvrage intitulé « Payer les profs au mérite » (1), Thomas Lamarche, enseignant chercheur en sciences-économiques à l’université Lille III , analyse les difficultés de mise en place de la rémunération à la performance et ses effets pervers. « Se pose d’abord la question des critères d’évaluation, explique-t-il. Les profs auront-ils une obligation de moyens ou de résultats ? Qui doit les noter ? De quelle manière ? À quelle fréquence ? Cette culture du résultat venue du monde de l’entreprise va entraîner une sélection accrue des élèves et nuire au travail collectif du corps enseignant. » Cette inquiétude est largement partagée par les syndicats de professeurs et par les spécialistes de l’éducation. Fondateur des IUFM, Philippe Meirieu souligne que « le salaire au mérite pourrait généraliser des pratiques normalisatrices pour obtenir des résultats, peu importe les moyens déployés. »

 

Le temps de travail

Autre question polémique : le temps de travail des profs. Actuellement fixé à 18 heures pour un enseignant du secondaire titulaire d’un Capes, le temps de présence devant les élèves est la seule donnée prise en compte. Or, s’ajoutent de multiples tâches qui vont de la correction des copies à l’organisation des conseils de classe. « Je travaille environ 45 heures par semaine, témoigne Christophe, 28 ans, professeur d’histoire-géo dans le nord de la France. Je passe la plupart de mes soirées à relire et modifier mes cours ou corriger des copies. » Plusieurs scenarii sont envisagés, dont la mise en place d’un temps de présence obligatoire incluant toutes les activités annexes des profs. Ce temps pourrait rester hebdomadaire ou être annualisé. Il est aussi envisagé de donner une prime indemnitaire ou d’offrir des heures supplémentaires pour toutes ces tâches complémentaires. Dernière piste : donner deux mois de salaire de plus à ceux qui accepteraient d’effectuer 22 heures d’enseignement par semaine. « Je suis contre les heures sup, explique Danielle, professeur de maths à Esbly, en Seine-et- Marne. Mieux vaudrait créer des emplois. » Mais n’est pas au programme. Pire : 11 200 réductions de postes sont prévues à la rentrée 2008, essentiellement dans le secondaire.

Les passerelles

« La commission Pochard est passée à côté du sujet, estime-t-on au Snes, nous attendions une revalorisation du métier, on nous répond annualisation du temps de travail et heures supplémentaires.» Une déception partagée par la majorité des enseignants. Selon une enquête de l’institut CSA (2), quelques 93% d’entre eux jugent leur profession dévalorisée. Lorsqu’on leur demande s’ils souhaiteraient changer de métier au sein de la fonction publique, près de la moitié (44%) répond oui, dès maintenant. « Il y a un vrai malaise, raconte Danielle, qui enseigne depuis plus de dix ans. Le manque de reconnaissance sociale est important, notamment par rapport à certains parents. Le travail au quotidien est aussi difficile : on nous demande d’individualiser notre enseignement, mais cela est impossible quand on a 30 élèves à gérer. » En plus du niveau des salaires, ce sont plus généralement les conditions de travail qui préoccupent le corps professoral. Une profession qui se sent mal aimée et doit parfois affronter des situations de violences au quotidien. Il y a donc urgence à revaloriser la place des « hussards de la République » qui risquent sinon de se consacrer à des batailles corporatistes et à la défense de leur statut. Au détriment du combat pour l’école et la réussite des élèves.
(1) « Payer les profs au mérite », de Thomas Lamarche, Alain Chaptal et Romuald Normand, éditions Eyrolles.
(2) Sondage réalisé auprès d’un échantillon national représentatif de 503 enseignants par téléphone du 25 au 29 mars 2008.

 

Quitter la version mobile