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Les modes d’expression de la souffrance des adolescents ont changé. Défonce, scarification, blogs, polyaddiction, binge drinking… Etat des lieux de ces nouvelles formes d’appels au secours et perspectives.
Dans un rapport remis au gouvernement le 22 novembre dernier, la Défenseure des Enfants Dominique Versini met en alerte les pouvoirs publics. Chargée depuis un an d’enquêter sur le terrain sur la prise en charge des adolescents en France, elle dresse un constat inquiétant sur les nouvelles formes de souffrances psychologiques des adolescents, pointe du doigt l’insuffisance des structures nationale de prise en charge et formule 25 propositions au gouvernement. Dominique Versini dévoile à Pédagogies Magazine les résultats inédits de cette enquête.
Suicides
40 000 jeunes tentent de se suicider chaque année
Etat des lieux
Si le nombre de suicides a baissé depuis 2000, il reste la deuxième cause de mortalité chez les ados. Environ 15 % d’entre eux auraient déjà fait une tentative de suicide. Pour la moitié d’entre eux, elle passe inaperçue.
Dispositif actuel
Actuellement, les Maisons des adolescents sont en nombre insuffisant, les consultations médico-psychologiques ont des listes d’attente de 3 mois à 1 an et 16 départements manquent de lits d’hospitalisation en pédopsychiatrie. Seul un tiers des adolescents suicidants est hospitalisé.
Préconisation
Les dispositifs de prise en charge des adolescents devraient être considérablement renforcés pour répondre à la demande croissante de soins (+70% en 15 ans). 12 700 personnes en contact avec les jeunes ont déjà été formées dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre le suicide, mais ce progrès reste insuffisant.
Polyaddictions
34% des adolescents mélangent tabac, alcool et cannabis
Etat des lieux
La polyconsommation a doublé en 10 ans. Les mélanges « festifs » alcool-tabac-cannabis démarrent en 6e et s’intensifient en fin de collège et au lycée.
38% des jeunes de 15-16 ans ont déjà fumé du cannabis. Dans 75 % des cas, les parents ne sont pas au courant. La banalisation de cette drogue inquiète enseignants et professionnels de la santé en raison des effets secondaires sur la scolarité et des risques de schizophrénie qu’elle génère.
Dispositif actuel
Le tabagisme régulier est en recul chez les ados, ce qui montre l’efficacité des politiques actives de prévention. La politique de lutte contre le cannabis ne les touche pas et pour cause… Elle est orientée sécurité routière et les ados ne conduisent pas !
Préconisation
Les adolescents doivent entrer dans la cible des campagnes de prévention contre le tabagisme et le cannabis.
Psychotropes
La France est le 3ème pays consommateur de psychotropes chez les ados
Etat des lieux
En Terminale, 26% des adolescents ont déjà consommé des neuroleptiques, antidépresseurs, hypnotiques ou anxiolytiques. Une fois sur deux, c’est un médecin qui a recommandé la prise de ces médicaments. 83% des adolescents ont rencontré un médecin généraliste dans l’année.
Dispositif actuel
Les médecins généralistes ne disposant pas du temps nécessaire pour écouter les jeunes montrant de l’anxiété, la prescription de psychotropes est souvent leur seule réponse possible. D’autant qu’ils peuvent difficilement les orienter vers des centres médico-psychologiques engorgés.
Préconisation
Dans le cadre d’un plan national permettant de régler la crise des centres médico-psychologiques, le développement d’unités de soins-études pour les adolescents devrait permettre aux médecins de traiter autrement l’anxiété des ados en les orientant vers des structures relais.
Troubles du sommeil
25 % des ados souffrent de troubles du sommeil
Etat des lieux
Un quart des adolescents a des difficultés à s’endormir ou souffre d’insomnies, de cauchemars ou de fatigues. En Terminale, un tiers des filles et 1 garçon sur 6 ont déjà eu recours à des médicaments pour lutter contre le stress et l’anxiété ou pour parvenir à dormir.
Dispositif actuel
Le numéro national Fil Santé Jeunes, qui reçoit les appels des adolescents en souffrance, n’est pour l’instant ouvert que jusqu’à minuit et n’est pas gratuit depuis les portables.
Préconisation
Les plages d’accessibilité du 0800 235 236 devraient être étendues jusqu’à 24h/24 pour assurer une présence auprès des jeunes aux heures où les angoisses sont les plus fortes.
« Binge Drinking »
Près de 3 ados sur 10 s’enivrent.
Etat des lieux
28% des 15-19 ans ont été ivres plus de quatre fois dans l’année (35 % des garçons et 21 % des filles). La consommation d’alcool jusqu’à la défonce est une tendance observée chez des adolescents de plus en plus jeunes : les médecins urgentistes s’inquiètent de recevoir un nombre croissant de 12-13 ans en coma éthylique. Le « Binge Drinking » augmente de façon importante à la fin des années collège, entraînant parfois bagarres et violences sexuelles.
Dispositif actuel
Aucun dispositif particulier n’est mis en place.
Préconisation
Les médecins scolaires devraient réaliser un nouvel entretien de santé en classe de 5ème, très important pour le dépistage de la souffrance et l’information sur les dangers de la consommation excessive d’alcool. La formation au repérage précoce de la souffrance psychique des adolescents devrait également être rendue obligatoire aux médecins urgentistes.
Pornographie
A 14 ans, plus d’un ado sur deux a déjà vu un film porno
Etat des lieux
Deux garçons sur trois et 36% des filles ont déjà visionné un film pornographique avant leur entrée en classe de troisième. Des images pornographiques sont accessibles via Internet, malgré les logiciels parentaux mis en place par les pouvoirs publics. Cela a un impact non négligeable sur des scènes d’agressions sexuelles.
Dispositif actuel
Les associations de prévention et de lutte contre la pornographie existent, mais peu de parents en ont connaissance. De manière générale, les parents sont mal informés et très démunis.
Préconisation
Un portail grand public rassemblant toutes les informations utiles pour les jeunes et pour leurs parents devrait être créé, ainsi qu’une ligne nationale d’écoute pour parents d’adolescents.
Comportements alimentaires
10% des ados ont un rapport maladif avec la nourriture
Etat des lieux
Un adolescent sur dix souffre d’anorexie, de boulimie, de crises d’hyperalimentation ou d’autres formes de troubles du comportement alimentaire. 1% présente des formes très graves de ces troubles, en majorité des filles. La grande majorité des troubles alimentaires chez les adolescents ne nécessitent pas d’hospitalisation, mais sont révélateurs d’un mal-être qui demande à être pris en charge.
Dispositif actuel
Les structures d’accueil susceptibles de leur apporter une aide ponctuelle sont souvent inadaptées à leur mode de vie.
Préconisation
Les structures d’accueil devraient devenir libres d’accès les soirs, week-ends et vacances.
Absentéisme et déscolarisation
5% des adolescents ont au moins 4 demi-journées d’absence par mois
Etat des lieux
250 000 collégiens et lycéens sont absents plus d’une semaine par trimestre. Plus de 50% des absentéistes déclarent une grande insatisfaction scolaire. Il existe un nombre non négligeable d’élèves en décrochage total qui restent enfermés chez eux et développent souvent une cyberdépendance.
Dispositif actuel
Des équipes mobiles de pédopsychiatres se déplacent chez les adolescents. Ils reçoivent les jeunes devant chez eux, dans un camion et traitent les problèmes émergents avant une éventuelle crise.
Préconisation
L’approche novatrice existante doit être encouragée pour apporter une aide aux adolescents qui ne formulent pas de demande explicite de soins.
Scarifications
425 000 adolescents se font mal volontairement
Etat des lieux
11% des filles et 6% des garçons s’incisent volontairement la peau des poignets, cuisses ou ventre à l’aide d’un rasoir, d’un cutter ou autre objet coupant pour exprimer leur souffrance. La scarification est considérée comme un signe de crise grave justifiant une hospitalisation. De fait, elle fait partie des seuls moyens qu’ont aujourd’hui les adolescents (avec les tentatives de suicide, les crises d’anorexie…) pour se faire prendre en charge rapidement.
Dispositif actuel
Les enseignants sont souvent les premiers avec les parents à pouvoir repérer ces signes de mal-être
Préconisation
Les enseignants devraient être formés à la psychologie de l’adolescent et au repérage des signaux d’alerte dès l’IUFM. Des procédures sur les comportements à tenir et les personnes à alerter devraient être élaborées dans tous les établissements scolaires.
Violence
8 % des adolescents ont été frappés ou blessés physiquement lors des derniers 12 mois
Etat des lieux
On note aujourd’hui une augmentation des bagarres et des brimades, ainsi qu’une augmentation des jeux dangereux du type « jeu du foulard ». Un tiers des enfants frappés ou blessés lors des 12 derniers mois l’ont été à plusieurs reprises.
Dispositif actuel
Les Points d’Accueil Écoute Jeunes, qui constituent un dispositif d’accueil de proximité et aident les adolescents à exprimer leur mal-être autrement que par la violence, fonctionnent bien.
Préconisation
Les Points d’Accueil Écoute Jeunes devraient être développés sur tout le territoire, en particulier dans les zones rurales.
Blogs
2 à 3% des blogs montrent des propos inquiétants
Etat des lieux
Un quart des jeunes de 12 à 18 ans ont un blog. Entre 2 à 3% expriment de la souffrance psychique et des idées suicidaires. Le blog est devenu l’un des moyens d’expression les plus utilisés par les adolescents. Ils sont créés principalement par le site de Skyrock. On remarque que, pour régler leurs problèmes, les adolescents se confient beaucoup aux animateurs de radios destinées aux jeunes.
Dispositif actuel
On observe que, pour régler leurs problèmes, les adolescents se confient beaucoup aux animateurs de radios destinées aux jeunes.
Préconisation
Devant le nombre croissant d’adolescents confiant leurs difficultés aux animateurs radio ou sur les blogs, Skyrock mettra en place un partenariat avec Fil Santé Jeunes et l’association Phare pour mieux orienter les ados en souffrance.
Trois questions à Dominique Versini, Défenseure des Enfants
Pourquoi avez-vous décidé de vous pencher sur la souffrance des adolescents dans votre rapport annuel ?
« En tant que Défenseure des enfants, j’ai connu des cas de suicides d’adolescents. J’ai été très marquée par le cas d’un jeune en particulier, Benjamin, qui a mis fin à ses jours à l’âge de 18 ans après maints appels au secours. J’ai décidé d’interroger le fonctionnement de nos institutions et l’état de nos pratiques professionnelles pour comprendre pourquoi le repérage de adolescents en souffrance n’était pas fait dans les temps. »
Qu’avez-vous découvert en enquêtant sur le terrain ?
« Les politiques publiques destinées aux adolescents et mises en place en 2000 sont insuffisamment coordonnées. Il existe un manque d’information des adolescents en souffrance et une insuffisance de réactivité ou d’adéquation des dispositifs. Les parents ne sont pas accompagnés. Les professionnels au contact des ados sont inégalement formés au repérage et travaillent peu en réseau. Les institutions médicales, psychiatriques et sociales sont débordées ou inadaptées. Les conséquences sont graves, voire dramatiques, sur les adolescents. »
Sur quoi se fondent ces 25 recommandations pour l’élaboration d’une stratégie nationale de prise en charge que vous présentez au Président de la république ?
« Sur les constats résultant de toutes les visites et rencontres effectuées pendant un an, ainsi que sur l’observation de pratiques de ceux qui ont imaginé de nouvelles solutions pour aider les jeunes en souffrance. Des initiatives innovantes ont été prises, qui montrent la voie à un renouvellement des pratiques. »
Florence PERCEVAUT