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Débat de comptoir ou réalité ? Parenthèse a mené l’enquête.

Un record à relativiser ? 88,5 % des terminales ont obtenu leur Bac en 2016. Et sur l’ensemble des bacheliers, presque un sur deux (48 %) a obtenu une mention. Ces chiffres pourtant flatteurs ne demeurent pas exempts de toute critique qui dénaturerait la valeur du diplôme, à la manière du Brevet en comparaison au certificat d’études. La faute à une idée que nous avons tous eue une fois : les jeunes sont moins bons qu’avant, ne savent plus écrire, n’ont plus le goût du travail. L’idée est d’ailleurs corroborée depuis plusieurs années par toute une littérature sérieuse – entre autres, « La fabrique des crétins, la mort programmée de l’école » de Jean-Paul Brighelli – et des études statistiques inquiétantes. Mais qu’en est-il réellement ?

Un niveau global à la baisse

En 2011, une étude de l’INSEE, intitulée « Portrait social de la France », caractérisait le pourcentage en difficulté face à l’écrit en très forte hausse depuis une dizaine d’années.

Un élève sur cinq en date de l’étude aurait été concerné à l’entrée du collège contre 15 % auparavant. Des difficultés en lecture et en mathématiques qui se reproduisent bien évidemment au collège. Rappelons que « le socle commun de connaissances et de compétences » est fixé selon deux paliers : le premier en CM2 avec les évaluations nationales et le second en fin de troisième pour être mis en relation avec le programme PISA (Program for International Student Assessment).

Effectivement, la dernière enquête triennale PISA, menée auprès des jeunes de 15 ans dans les pays industrialisés, indique que la position dans le classement des collégiens français en matière de culture mathématiques s’aggrave. De même avec les compétences numériques ou la maîtrise de la langue. À titre indicatif, l’Asie truste les premières places. Singapour, Hong Kong, la Corée du Sud, le Japon et Taïwan montent sur les cinq premières marches. La France, 25e, reste cependant devant les États-Unis et le Royaume-Uni. Alain Bentolila* alerte : « Nous ne pouvons pas tomber dans la nostalgie et le baratin habituel. Cela ne repose sur rien. Seul le statut de l’orthographe a été étudié sérieusement en France. Sur une épreuve passée dans les années soixante, la différence est très significative. Ce qui devient inquiétant, ce sont la difficulté et l’insuffisance en termes de pouvoir linguistique. Le propre de l’homme revient à faire passer son intelligence dans l’esprit d’un homme avec une chance raisonnable de ne pas être trahi que ce soit par le langage oral ou par l’écriture que j’adresse ou que je reçois. Sans cette maîtrise, l’homme peut être sujet à la manipulation, à la violence et à la brutalité. Par ailleurs, côté vocabulaire, nous remarquons aussi de grands écarts : sur 1 000 enfants rentrant en CP, le nombre de mots des « plus nantis lexicalement » sera neuf fois plus important que les derniers 20 % ! Cet écart crée des distorsions : on ne vit pas dans le même monde et on ne dit pas le même monde. Et par conséquent on n’apprend pas à lire de la même manière quelle que soit la méthode de lecture. Le drame de notre affaire, c’est qu’on n’apprend pas cela à nos futurs professeurs des écoles au profit d’une formation jargonnante psycho-cognitive alors que tous les instituteurs devraient s’intéresser à cette conscience lexicale et syntaxique et à la manière de l’éveiller. »

Les meilleurs toujours aussi bons, les moins bons encore plus en difficulté…

Plus que le niveau global, les études mettent en exergue l’accentuation de l’écart entre les meilleurs et les moins bons. Nos bons élèves sont très bien placés dans les études PISA. Ceux qui accusent un retard sont plus faibles et surtout plus nombreux d’où la rétrogradation dans les classements et études comparatives internationales.

Le plus inquiétant dans ce constat demeure par ailleurs la corrélation entre le milieu social et le niveau des élèves. En d’autres termes, l’école et le secondaire qui doivent incarner une passerelle sociale et républicaine remplissent de moins en moins bien leur mission. D’une école qui reproduisait les inégalités sociales déjà critiquées, nous passons à un modèle scolaire qui les accentue malgré la valse des ministres et des réformes éponymes.

Alain Bentolila ajoute : « Les statistiques de l’OCDE qui concernent le taux de résilience sont des plus inquiétantes. Sur 1 000 enfants suivis pendant sept ou huit années, choisis selon des facteurs qui rendraient leur réussite plus difficile à l’école (famille mono-parentales, CSP,…), l’étude s’attache au nombre d’enfants que l’école en récupère. Résultat, le taux de résilience baisse depuis 15 ans. Mais, soyons clairs. Je ne dis pas que c’était mieux avant… »

*Chercheur, écrivain, entrepreneur, Alain Bentolila est né le 21 avril 1949 en Algérie. Il est professeur de linguistique à l’université de Paris-Descartes depuis 1985.

Il a construit et dirigé un dispositif national de prévention de l’illettrisme : le réseau des observatoires de la lecture (ROLL) qui accompagne plus de 100 000 élèves en difficulté en France et à l’étranger. De 2000 à 2009, il a été le directeur scientifique du projet « medersat.com » (fondation BMCE) qui a créé dans toutes les régions du Maroc des écoles rurales dotées d’un dispositif éducatif adapté aux besoins du monde rural et périurbain marocain. Il préside, depuis novembre 2010, le Centre international de formation à distance des maîtres (CI-FODEM) créé à l’université Paris-Descartes. Alain Bentolila est officier des Arts et lettres, chevalier de la Légion d’honneur et officier de l’Ordre du mérite national. Il a obtenu, en 1997, le grand prix d’Académie française pour son livre « De l’illettrisme en général et de l’école en particulier » en 2007. Il est notamment l’auteur de « Pourquoi sommes-nous devenus aussi cons ? », 2 014 (First) et de « Reprenons nos esprits ! Comment résister à l’imbécillité heureuse », 2016 (First).

Geoffroy Framery

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