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Multimédia : Les nouveaux défis pour les parents

Temps de lecture estimé : 10 minutes

« Je le dérange à chaque fois que je lui parle »

Depuis quelques temps, vous avez pris l’habitude de gesticuler dans tous les sens pour attirer l’attention de votre enfant avant de vous adresser à lui. Ou de répéter deux fois la mêm

e phrase (« Il fait beau, n’est-ce pas Kévin ? ») pour vous entendre répondre : « C’est pour me dire ça que tu me fais enlever mes écouteurs ? » Le dialogue est parfois difficile… Pourtant, contrairement aux apparences, « si les adolescents sont multibranchés, ce n’est pas seulement parce qu’ils sont ouverts aux technologies modernes. C’est aussi révélateur d’un besoin d’être en lien avec les autres ou avec eux-mêmes, analyse Jean-Marc Louis. Cela doit nous interroger sur la réponse que nous leur donnons en terme de lien et de communication ». Tout l’art réside dans le fait de savoir à quel moment leur proposer le dialogue… et comment.

Instaurer des moments de t’chat en famille

Ouvrir des espaces de dialogue de qualité tout en respectant ses moments d’intimité : une recette gagnante. « Tout comme l’ado a des espaces de communication ouverts avec les nouvelles technologies, nous devons ouvrir des espaces en famille de rencontre et d’échange, explique le pédagogue. Si ces espaces sont marqués du signe du respect et qu’il y a une écoute active, l’adolescent viendra. Il en a besoin. Trop souvent, c’est l’adulte qui sait, qui enseigne, qui parle

. Or l’adolescent désire être reconnu pour ce qu’il est : un interlocuteur intelligent. » Ces espaces peuvent être le moment des repas. « L’adolescent y retrouvera ses références. Cela peut être également des moments ritualisés dans la semaine, où l’on fait le point familial ; ou un espace “bilan et perspectives” quand on remet l’argent de poche », propose Jean-Marc Louis. À travers les nouvelles technologies, l’adolescent recherche le contact, parfois aussi la solitude. Il en a besoin pour rêver, faire un retour sur lui-même, se construire. Au parent d’apprendre à respecter cette nouvelle distance instaurée par son enfant. « Si on lui reconnaît des espaces personnels, il reconnaîtra les espaces collectifs », assure Jean-Marc Louis, qui est aussi père de famille. Partir, pour lui permettre de mieux revenir à vous…

« Il passe son temps devant ses ÉCRANS »

Accro. Lorsque votre adolescent n’utilise pas son mobile pour téléphoner ou envoyer des sms, il s’en sert comme lecteur de CD, console de jeux, appareil-photo, caméra, télévision… Idem pour son écran d’ordinateur, sur lequel il garde les yeux rivés pour effectuer les tâches qui nécessitaient autrefois de se déplacer de son poste de radio à sa télévision, voire d’aller au vidéoclub. Lentement, mais en profondeur, la convergence des médias s’opère en silence, rendant nos enfants de plus en plus attachés à leurs objets multimédias. D’après Jean-Marc Louis, auteur de Communiquer avec les ados sans se les mettre à dos (Presses de la Renaissance), « ces objets ont une âme à leurs yeux, ils représentent les relations que les ados entretiennent ». Selon Pascal Lardellier, sociologue et auteur de Le Pouce et la Souris (Fayard), « entre MS N, le portable, Internet, l’iPod et les jeux vidéo, la génération suréquipée passe beaucoup plus de temps que la moyenne des adultes sur leurs écrans ». Une étude de l’agence G2 Paris estime ce temps à 4 heures et 17 minutes par jour exactement, tous écrans confondus. De quoi rendre les parents inquiets ou… excédés.

GARDER des moments « vie à l’ancienne »

Les nouvelles technologies sont fascinantes mais elles ne doivent pas nous faire oublier la « vraie » vie. Celle où l’on n’est pas dérangé à tout bout de champ par des sonneries, des petits bips ou des vibrations. Vos enfants ont besoin de ces moments de répit. « Il faut poser des limites de temps. Pas de portable quand on mange, ni de jeux vidéo trop tard le soir, au risque d’être fatigué le lendemain en cours. Il faut être strict et tenir bon, encourage Catherine Roche, coordinatrice de troisièmes au lycée Sainte-Thérèse, à la Fondation d’Auteuil à Paris, même s’il est plus facile de céder. » Pascal Lardellier estime qu’il faut aussi « garder une place pour la diversité culturelle, comme le livre ou le cinéma ». Quant à Jean-Marc Louis, il préconise de « poser la loi dans l’utilisation de ces appareils, tout en faisant comprendre à son ado que la démarche adulte n’est pas là pour le contrarier ». Le pédagogue met cependant en garde les parents. « Lier les nouvelles technologies uniquement aux interdits, c’est prendre le risque que l’adolescent les brave pour s’affirmer. Il faut aussi s’intéresser à ce qu’il fait devant ses écrans. Qui voit-il, que perçoit-il, comment vont ses copains ? Les technologies représentent des situations d’accroche pour la communication. »

« Il s’ennuie lorsqu’il n’est pas branché »

Lorsque vous lui demandez de renoncer quelques heures à ses objets multimédias, votre enfant s’ennuie. Le quotidien lui semble plus pesant sans musique, le rythme de la journée plus lent (qu’un jeu vidéo), les relations moins drôles (que sur MS N). « Les adolescents sont entourés de machines interactives qui clignotent, vibrent, envoient des messages, mettent en relation avec des amis », rapporte le sociologue Pascal Lardellier. Ils se sont habitués à une excitation qui rend la vie sans écran presque soporifique. « On observe des changements comportementaux dans cette génération et la montée en puissance d’une impatience, affirme le sociologue et professeur à l’université de Bourgogne à Dijon. Les ados ne veulent pas de “prise de tête”. Leur rapport au monde et aux autres doit être ludique. » Résultat ? « Le retour à la vie réelle semble encore plus faite de pesanteur, de contraintes », constate ce spécialiste. Et si vous appreniez la vie à votre enfant ?

Poussez-le à faire de sa vie un roman

L’attrait de votre enfant pour les nouvelles technologies part d’un beau désir. Celui d’être en lien avec les autres, mais aussi de vivre des sensations qui lui permettent de se sentir « vivant ». Peur, joie, tristesse, sentiment d’aimer ou de souffrir… Les sensations vécues par les ados sont réelles, mais leur ancrage dans la vie est parfois totalement artificiel – comme lorsqu’on pleure devant un film. « Il faut essayer de leur rappeler que l’on peut faire les choses en vrai, affirme Pascal Lardellier. Nous devons les engager à garder une place pour la vraie vie. » Si votre enfant regarde la vie comme il regarde ses écrans, en attendant passivement qu’elle lui apporte une distraction, il risque d’être déçu. Sortir, prendre des risques, oser des choix, des conversations, monter des projets : c’est à vous, parents, de le pousser à réaliser sa vie au lieu de la rêver. « L’adolescent est en deuil de son enfance et il pense qu’il ne peut grandir qu’en perdant son esprit d’enfance, explique Jean-Marc Louis, auteur et spécialiste. C’est une erreur. C’est au contraire le socle sur lequel un adulte doit se construire. On peut être sérieux et assumer des responsabilités tout en portant un regard d’ouverture sur le monde, en partageant des plaisirs, en ayant de l’humour, en laissant la place au rire et au jeu. » Il n’y a pas que sur les écrans que la vie est captivante !

 « Il réclame le iPhone dernier cri »

C’est toujours comme ça qu’il vous piège : « Ce sera mon cadeau de Noël ET d’anniversaire ! » Alors que son portable est encore en parfait état, il vous demande de lui offrir un appareil hors de prix combinant les usages d’un téléphone mobile, d’un terminal Internet mobile, d’un assistant personnel et d’un baladeur numérique ! Selon une étude réalisée par l’EIAA (European interactive advertising association), 93% des jeunes européens possèdent un téléphone portable et 38% s’en servent pour surfer sur Internet. Et quelque chose vous dit que votre ado souhaite très certainement faire partie de ces 38%-là… « Il y a un phénomène d’émulation entre ceux qui ont le plus beau portable, explique Catherine Roche, coordinatrice de troisièmes à la Fondation d’Auteuil. Les adolescents sont prêts à dépenser des sommes astronomiques pour avoir le mobile dernier cri ! Cela génère des bagarres et des vols. » Entre les principes que vous aimeriez conserver et les mille stratagèmes qu’il use pour vous convaincre de céder à sa demande, vous hésitez sur la conduite à suivre. Pas de panique : de votre côté, il est aussi possible d’opter pour une stratégie efficace, et toute simple.

Dites-lui d’attendre !

En laissant passer les semaines, vous bénéficiez d’un double avantage. Le premier : une baisse notoire des prix. En effet, selon Edouard Barreiro, chargé de mission télécom à l’UFC Que choisir, « en six ou sept mois, les prix des téléphones portables baissent car ils ne sont plus à la mode ». Second avantage : attendre laisse à votre enfant la possibilité de… changer d’avis. Avec le temps, vous pourrez l’aider à identifier si sa demande relève du réel besoin ou du simple caprice. « Cela a-t-il un intérêt de donner à un ado un portable qui fasse à la fois téléphone, agenda, lecteur mp3 et GPS ? », s’interroge Edouard Barreiro. « Des parents dépensent toutes leurs économies pour offrir le dernier portable à la mode à leur enfant, constate Catherine Roche, de la Fondation d’Auteuil. Pour certains adolescents, c’est un signe extérieur de richesse, comme les Nike. Ils pensent que cela les aidera à avoir une certaine reconnaissance sociale. » Aux parents, la pédagogue conseille de « dire aux ados qu’ils ne seront pas plus aimés parce qu’ils ont des objets à la mode. Les filles préfèrent les garçons gentils et affectueux plutôt que ceux qui ont le dernier portable ».

 

« Au secours, mon ado devient un Cyborg ! »

En touré de câbles, une oreillette greffée sur le côté du visage, les touches du clavier à fleur de pouce, votre ado ressemble parfois à un être mi-homme mi-robot. Votre impression de vivre avec un cyborg se renforce lorsque vous observez votre enfant devant son ordinateur, conversant avec ses amis sur Internet, téléphone en main, iPod dans une oreille et série télé en fond d’écran. « Les ados sont des connectés permanent, remarque le sociologue Pascal Lardellier, ils font partie de la génération qui a grandi avec un téléphone dans une main et une souris dans l’autre. » Les objets technologiques semblent n’être qu’une prolongation d’eux-mêmes… Même en classe, ils ne se déconnectent pas. Et une fois à l’université, les habitudes restent. « Les élèves écrivent des SMS sous la table pendant qu’ils prennent les notes du cours et répondent à mes questions », soupire Pascal Lardellier, sociologue et professeur.

Débranchez-le

Apprenez à votre cyborg qu’il existe des moments plus ou moins opportuns pour rester connecté. S’il vous regarde avec des points d’interrogation dans les yeux, considérez que, pour des enfants nés dans un monde saturé de technologies, le mélange virtuel-réalité est aussi naturel que l’air qu’on respire. Alors pourquoi essayer de le dissocier ? Parce qu’« il y a un temps pour tout », résume Catherine Roche. Une évidence que les parents doivent se faire une mission de répéter tant qu’elle n’est pas prise comme telle. Idem pour les cours : éteindre son mobile est une question de politesse comme un moyen d’améliorer sa concentration. Qu’il rencontre aussi ses amis au lieu de passer des heures connecté à distance. L’aider à se débrancher lui permettra de réduire le nombre de sollicitations par minute qui l’entourent – et donc sa dose de stress. « Certains troubles du comportement comme l’hyperactivité ou l’irritabilité proviennent de là », estime Etienne Cendrier, porte-parole de l’association Robin des toits et auteur de Et si la téléphonie mobile devenait un scandale sanitaire (Rocher). Mais attention, « c’est une erreur de confisquer le portable, prévient Jean-Marc Louis. Mieux vaut leur apprendre à gérer leur temps, à en faire une utilisation rationnelle ». Une analyse que partage Etienne Cendrier : selon lui, tout l’enjeu éducatif est d’« apprendre aux ados à se servir de leur mobile comme d’un outil et non comme d’un jouet ». Allez, on commence par montrer l’exemple ?

 

Téléphone Portable : les 10 précautions des experts

  1. Ne pas autoriser les enfants de moins de 12 ans à utiliser un portable sauf en cas d’urgence.
  2. Utiliser un kit mains libres et maintenir le portable à plus d’un mètre de soi lors des communications. Rester à plus d’un mètre de distance d’une personne en communication.
  3. Eviter d’utiliser son portable dans les lieux publics afin de ne pas exposer ses voisins.
  4. Eviter de porter sur soi un téléphone allumé, même en veille, ou de le laisser près de soi la nuit, par exemple sur la table de chevet ou sous l’oreiller.
  5. S’assurer que la face « clavier » est dirigée vers le corps et la face « antenne » vers l’extérieur si l’on doit porter un téléphone sur soi.
  6. N’utiliser le téléphone portable que pour des conversations de quelques minutes seulement.
  7. Pendant un coup de fil, il est conseillé de changer d’oreille régulièrement.
  8. Eviter de téléphoner lorsque la force du signal est faible ou lors de déplacements rapides (en voiture, dans le train).
  9. Favoriser les SMS plutôt que la conversation téléphonique.
  10. Choisir un appareil dont le DAS (débit d’absorption spécifique) est le plus bas possible. Un classement est consultable sur www.guerir.fr.

 

3 questions à Bénédicte Parmentier Enseignante et auteur de « Flux et reflux ; des adolescents à la maison de retraite » (L’Harmattan)

Vous avez conduit vos élèves de première à la rencontre des personnes âgées. En quoi cela leur a-t-il permis de s’extraire de leur univers multimédia ?

 En arrivant dans un monde où l’on utilise à peine le téléphone, les jeunes ont dû s’adapter, laisser leurs certitudes de côté. Ils étaient branchés en arrivant à la maison de retraite. Certains ont tenté de partager leur musique avec des vieillards en leur mettant le baladeur mp3 dans les oreilles, mais ils se sont vite retrouvés démunis. Ces adolescents ont dû se mettre à leur portée. Ils se sont progressivement dépouillés de tout ce qui faisait leur univers. Cela les a fait grandir et évoluer.

À votre avis, que leur manquent-ils ? La patience. Les adolescents sont très vite agacés. Auprès des retraités, le temps n’a pas la même valeur. Il faut prendre le temps de faire chaque chose et d’instaurer le dialogue, de répéter sans cesse, de parler fort. Il faut s’adapter à un rythme particulièrement lent. Ils ont beaucoup pris sur eux car ce n’est pas du tout leur mode de fonctionnement. Ils ont fait preuve d’une patience étonnante. Au fil du temps, ils sont devenus plus respectueux de manière générale.

Avec la société multimédia, nos ados ont développé quelques « travers ». En quoi les personnes âgées les ont-elles encore aidés ?

Auprès d’eux, les élèves voulaient des révélations, des scoops sur le passé. On est dans une société de l’événementiel. Or, il n’y avait pas de héros parmi les résidents. Avec les personnes âgées, il ne se passe rien de spectaculaire. Les gens n’ont pas grand- chose à raconter et c’est cela qui est intéressant. Les jeunes ont appris à dépasser le côté exceptionnel, nouveau. On travaillait ensemble sur du « pas grand-chose » et certains ont été complètement transformés. Auprès des vieillards, les adolescents ont aussi reconsidéré leur notion de la beauté. Ils ont compris par exemple qu’une personne n’avait pas besoin d’être lisse ou parfaite pour être belle. Il suffit qu’elle ait la vie en elle.

 

 Vivre sans écran ?

Que feriez-vous pour que votre enfant vous parle un peu plus ? La méthode est toute simple : arrêter l’écran ! C’est la nouvelle voie de communication trouvée par une école strasbourgeoise en mai dernier. Pendant dix jours, près de trois cents élèves de 6 à 11 ans se sont privés de leurs écrans, soutenus par leurs parents et leurs enseignants. Les résultats ont été plus que positifs : diminution de la violence verbale et physique, davantage d’activités extrascolaires, meilleure alimentation et… plus de communication en famille ! S’ils l’ont fait, pourquoi pas vous ?

 

Propos recueillis par Florence PERCEVAUT

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