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La partie de ping-pong pour savoir qui, de la poule ou de l’œuf, est responsable de la dégradation du dialogue parents-profs, peut être surmontée. Encore faut-il ramener la bienveillance dans les murs de l’école, ce qui passe par des actions concrètes, au-delà des exhortations bien pensantes et des préjugés de bas étage.
L’apologie de la co-éducation, cet idéal rêvé telle l’utopie de l’abbaye de Thélème dans le « Gargantua » de Rabelais, se heurte souvent au mur d’incompréhension maçonné de concert entre le corps professoral et les parents.
Une relation à construire au cas par cas et qui ne s’improvise pas ?
La famille a souvent du mal à s’y retrouver. Car elle doit se réinventer et composer avec un nouvel acteur dans l’éducation des enfants. L’enfant devient l’élève et le couple – idéalement… – cède une partie de ses prérogatives. Ils ne sont plus surtout la seule autorité légitime, ni les seuls moteurs de l’éducation. L’enseignant doit donc construire une relation qui n’existe pas de fait. « Le rapport et le dialogue parents-prof ne se font pas naturellement. C’est un rapport à construire qui dépend de multiples facteurs comme le contexte familial, l’emploi du temps des parents, la situation de l’élève dans et hors de l’école, notre disponibilité en tant qu’enseignant… Par exemple, il m’est arrivé de proposer à l’ensemble des parents d’une classe des créneaux horaires, sorte de permanence mais finalement peu de parents ont saisi l’opportunité », illustre François Dupont, enseignant du primaire depuis presque dix ans. Parmi les facteurs, l’emploi du temps des parents est le principal écueil. D’autant plus à une époque de parité professionnelle. Ce n’est toujours pas rentré dans les mœurs d’entreprise de s’absenter plus tôt pour une réunion d’école ou arriver plus tard au travail pour pouvoir assister à l’un des cours de son enfant.
Un dialogue avec double sourdine
Le dialogue parents-prof est bien souvent figé dans les préjugés et les biais qui renforcent une dichotomie qui a fait couler beaucoup d’encre : d’une part, les parents démissionnaires ou aux emplois du temps inconciliables avec l’institution, et d’autre part, le corps enseignant, niché dans sa tour d’ivoire, souvent nécessairement ignorant de ce qui meut les enfants hors les murs de l’enceinte scolaire. « Il est possible qu’un élève en difficulté raccroche les wagons, ce qui est une réussite particulière, le sentiment du « devoir accompli », a priori ; mais j´ai encore en mémoire un élève dans ce cas dont les parents se moquaient de lui parce qu’il ne correspondait plus à l’image du cancre que les parents cultivaient également à la maison », constate François Dupont, non sans amertume…
La tendance n’est pas neuve. L’époque des parents confiant les yeux fermés leurs enfants à l’école de la République n’est plus. Si tant est qu’elle eût existé hors du monde des idées. L’époque des parents partenaires voulant suivre l’esprit de la loi Jospin de 1989 n’aura également pas porté ses fruits. Aujourd’hui, un flou artistique régnerait quant à la définition d’un dialogue parents-prof d’autant que selon la sociologue Françoise Lorcerie, nous vivons l’ère des « parents clients ». Et dans cette relation, le corps enseignant jouerait le rôle de la direction de la relation client qui devraient se défendre de nombreux thèmes accusateurs : incompréhension des méthodes pédagogiques, demande d’un suivi plus individualisé, remise en cause de la compétence des enseignants. En parallèle, les parents seraient davantage en demande pour rentrer davantage en rapport avec l’institution.
Selon un sondage publié en mai 2014, dernière étude fiable en date, par l’association de parents d’élèves du privé Apel, 56% des parents interrogés évoquent un manque d’information sur le sujet des réussites, des progrès ou des difficultés des enfants. 49% mettraient en exergue un manque d’écoute tandis que 46% du panel souffriraient d’un manque d’accompagnement pour aider leurs enfants. De là à extrapoler pour le public, rien n’est moins sûr… « L’état des relations école-parents, entre méfiance, défiance et bienveillance », réalisé en 2014 par Georges Fotinos, a le mérite de mettre en valeur une toute autre réalité : presque la moitié des directeurs d’écoles élémentaires et maternelles ont témoigné d’une agression qui prenait la forme d’un harcèlement ou de menaces par des parents d’élèves au cours de l’année scolaire précédant l’étude.
Des raisons d’espérer ?
Pourtant l’institution rêve toujours d’un dialogue riche entre les deux parties qui permettraient à l’enfant de tirer parti des deux grandes autorités qui l’éduquent et l’instruisent. La dialogue vu comme un idéal se retrouve dans la loi de refondation de l’école de 2013, qui prévoit la création, au sein de tous les établissements, d’espaces destinés à accueillir les familles.
Jean-Michel Blanquer actuel ministre de l’institution, mise beaucoup sur la mallette des parents, dispositif qu’il avait déjà en place en 2010 dans l’académie de Créteil alors qu’il en était le recteur. S’adressant d’abord aux élèves qui entrent au CP, le dispositif serait élargi aux élèves de sixième, autrement dit les deux années jugées les plus sensibles par l’institution.
La mallette serait donc un accompagnement réalisé par des professeurs sur la base du volontariat avec le concours de parents dit délégués. Elle se composerait de plusieurs supports tels qu’un DVD – très actuel… –, des fiches de méthodologie et un site dédié pour caler les rendez-vous entre parents et enseignants. L’idée de la mallette pour le CP est bel et bien de faire comprendre comment l’apprentissage de la lecture se déroule durant l’année et comment les parents peuvent venir en aide à leurs enfants sans pour autant devenir de nouveaux Freinet ou Dolto. Si en sixième, la méthodologie demeure la même, les défenseurs de ladite mallette souhaitent également avoir une portée civique. Renouer le dialogue permettrait ce faisant de réduire l’absentéisme et la violence en faisant davantage rentrer les parents dans l’école. Le dispositif serait également élargi à la dernière année du collège pour doter les parents d’un outil supplémentaire en termes d’orientation. Le dispositif semble porteur de bonnes intentions. A ceux qui pourraient le taxer d’être théorique ou utopiste, le kit comprend également des fiches reprenant des projets concrets, mis en œuvre et couronnés de succès.
Des initiatives ponctuelles mais fructueuses
« Souvent, lorsqu’on ne dit rien aux parents, c’est que ça va… Nous leur faisons signer le carnet de liaison, le cahier du jour, également une fiche hebdomadaire de comportement. Et à chaque trimestre, nous remettons les livrets scolaires en main propre. Mais ce rendez-vous n’est pas systématisé dans toutes les écoles », note Claire Ribreau, professeur des écoles CE1-CE2 depuis huit ans dans le primaire, dans un groupe scolaire en REP dans l’Est parisien. Dans cette école, d’autres dispositifs existent pour renforcer les liens. L’enseignante poursuit : « Pour les enseignants qui souhaitent le mettre en place, les parents peuvent venir assister à la classe pendant une partie de la matinée dans une position d’observateur ou dans celle de l’élève. Cela permet bien souvent aux parents de réaliser comment se déroule une journée à l’école ».
Il semble également osé d’attendre des enfants qu’ils contribuent à ce lien entre adultes. Nombreux sont les enfants qui ne racontent rien ou qui racontent peu. Elsa K., mère de deux enfants, l’un en CM2, l’autre en CE2 explique : « Quand on demande avec mon mari comment s’est passée la journée, nos enfants nous disent qu’ils ont fait des activités, nous citent des noms de matières, parfois une notion de science ou une personnalité en histoire. Mais on ne peut pas attendre d’eux qu’ils conceptualisent les enseignements ou qu’ils expriment naturellement la relation avec l’enseignant. Au mieux serons-nous renseignés sur la manière dont ils auront vécu la journée au niveau de leurs émotions ». Ce constat partagé de nombreux parents, non sans frustration, pourrait être dépassé en créant un rôle nouveau pour les parents tout en permettant aux parties de mieux communiquer. « Si les parents sont pour la plupart difficiles à joindre, on remarque que certaines façons de communiquer avec eux rencontrent un franc succès. C’est le cas de notre blog tenu pendant les classes découvertes ou du site internet. Mais tenir à jour le site est extrêmement chronophage », complète Marine Kupferminc, enseignante au niveau CE2, depuis huit ans dans l’Education nationale. Effectivement, on ne peut pas attendre des enseignants qu’ils se muent en community managers. « Cela dit, il faut souligner qu’il faut prendre souvent des pincettes pour s’exprimer aux parents. Et il faut trouver la façon la plus naturelle de communiquer. Il n’est pas rare que les parents écrivent des mots difficiles à appréhender dans le carnet de liaison », note Marine Kupferminc. Quid, à l’ère du tout numérique, du carnet de liaison ?
L’idéal pour construire un climat bienveillant serait de porter des actions où les parents participent à la vie de l’école. Encore faut-il lier ces visites avec l’exigence des programmes pour créer un lien pérenne où le parent participe en bonne intelligence. « L’année dernière, un papa paléo-anthropologue est venu pour nous présenter la préhistoire, de même avec un père chef de cuisine ou une maman réalisatrice. C’est un bon moyen de nourrir un rapport nouveau à l’école car trop souvent les parents ne sont convoqués que lorsque ça va mal. Et naturellement, ils ne font plus le déplacement après. Les faire participer permet de décloisonner l’école et d’établir un climat de confiance », conclut Claire Ribreau.
Geoffroy Framery