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Rencontre avec Anne-Sophie Lapix

Temps de lecture estimé : 10 minutes

Quelle maman êtes-vous ?

J’élève mes enfants seule. Je ne suis pas ce que l’on appelle « une maman sévère », mais il y a des règles auxquelles je tiens vraiment. Concernant la sévérité, ce n’est pas encore ça peut-être. Je ne maîtrise pas tout. J’ai l’impression de crier beaucoup, mais cela ne les impressionne pas du tout. Le petit me balade un peu… Il est provocateur. L’aîné, lui, est très facile. Il n’est pas susceptible. Il aime faire plaisir. Avec lui, j’ai l’impression de n’avoir aucun mérite. Il est très facile à élever, même s’il fait du bruit… C’est un garçon… J’ai l’impression à la fois d’avoir mes règles, parce que ce sont deux garçons et que je les élève seule. Il faut les tenir. Et à la fois, c’est très cool, très câlin.

Que souhaitez-vous de plus grand pour eux ?

Mon souhait est d’avoir des enfants autonomes et épanouis. Pour l’instant, ça à l’air d’aller. Ils ont tout les deux un sourire vissé sur le visage en permanence et vont très facilement vers les autres. Ils sont très à l’aise. Ce que je désire avant tout, c’est qu’ils gardent cette capacité d’émerveillement. Ils ne sont blasés de rien. Lorsque je dis au petit que l’on va au cinéma, il ne sait pas ce que c’est, mais il se met à crier « waouh ! ! ! ». J’aime ce côté très enthousiaste. J’essaie de l’entretenir. Je veux qu’ils soient heureux, qu’ils soient bien. Je souhaite aussi qu’ils soient très autonomes. Je n’ai pas fait des enfants pour les garder près de moi et en faire des singes savants. J’aimerais qu’ils deviennent des êtres indépendants et libres, prévenants et soucieux des autres. C’est le cas de mon aîné. Avec le second, il y aura plus de travail. Quand on s’intéresse aux autres, on est forcément plus heureux. Je trouve cela extraordinaire. Lorsque l’on est recroquevillé sur son chagrin, sur ses peines, on a plus de mal à s’en sortir. Je voudrais essayer de leur transmettre cela.

Mai 68 a-t-il mis à bas l’autorité, selon vous ?

Je crois que l’on en est revenu. C’est un peu terminé. Les enfants aiment les structures. Ils aiment les horaires, les choses bien réglées. Cela leur permet de trouver leur équilibre. Je le vois avec mes propres enfants. On prend le bain à une certaine heure, on dîne à une certaine heure, on se couche à une certaine heure. Plus tout cela est réglé, plus ils sont contents. Lorsque l’on transgresse ces règles, ne serait-ce qu’un tout petit peu, le plaisir n’en est que plus grand.

Quelles qualités souhaiteriez-vous leur transmettre ?

Outre l’autonomie et le souci de l’autre, j’aimerais leur transmettre le sens de l’humour, de l’autodérision. Ce côté qui fait que tout passe mieux. Je trouve que cela aide à mieux faire passer les choses. J’aimerais qu’ils aient aussi ce trait de caractère qui consiste à voir toujours le bon coté des choses.

Quelles sont les règles ou des principes d’éducation auxquels vous tenez plus que tout ?

Le respect des autres, le partage, la politesse. Les « merci », les « s’il te plaît » ne sont pas des petites choses. C’est une façon de se comporter vis-à-vis des autres. Cela manifeste le respect, l’acceptation de la société et de ses règles. Pour moi, tout est important dans ce domaine. Je ne veux surtout pas des enfants méprisants.

Comment faites-vous pour rester présente auprès d’eux ?

En fait je suis assez présente. Je suis chez moi à 18 heures, ce n’est pas mal pour une femme qui travaille ! Le vendredi, je peux aller chercher l’aîné à l’école. J’essaie de passer beaucoup de temps avec eux, de faire des coupures, de venir les voir. J’ai beaucoup de chance de pouvoir le faire, car j’ai un métier assez prenant. Je me suis bien organisée. Tout cela, ce sont des règles que je me suis fixées. Je n’ai pas l’impression qu’il y ait un manque de ce côté-là.

Quelle est votre recette pour que vos enfants se reposent cet été ?

Je n’aime pas la suractivité pour les enfants. Je ne suis pas très favorable aux devoirs de vacances. Les miens n’en sont pas encore là, mais de toute façon, je ne les pousserai pas du tout dans ce sens. Je crois que, lorsque l’on est enfant, il faut profiter au maximum de ces plages de temps libre pour faire tout ce que l’on veut. Pour s’ennuyer, pour traîner. Je trouve cela très important. L’été, ils ont la chance d’aller au pays basque, à St Jean de luz où ils passent tous leurs étés.

Comment s’amusent-ils ?

Mes enfants n’ont aucun jouet électronique. Pour l’instant, on joue aux cartes… La télé, c’est le matin pendant 20 minutes car il y a des programmes faits pour eux que je trouve bien, mais c’est tout. Je privilégie le dialogue et la communication. Pour moi, c’est crucial que le grand s’occupe du petit. Moins il y a de jeux électroniques, plus ils joueront ensemble. Je ne vais pas pouvoir tenir cela longtemps.

Quelles dérives de l’adolescence redoutez-vous le plus pour eux ?

Pour l’instant, je garde cette question bien loin de moi. Je n’arrive pas encore à me projeter. Je crois que ce qu’il faut, c’est maintenir le dialogue. C’est ce qui semble le plus difficile. Je connais moins l’univers des adolescents garçons, puisque j’ai grandi dans une famille de fille. Ce sera une découverte. On verra… J’ai l’impression de voir tout en rose. Je me dis que non, ils ne seront pas frappés par cette espèce de bêtises qui s’abat sur eux tout d’un coup. Je crois que ce qui est difficile, c’est de passer du rôle de parent d’enfant à celui de parent d’adolescent. Je vois bien que, quand on loupe le passage, ça peut être compliqué. Changer violemment de discours et d’attitude tout d’un coup, ce n’est pas non plus recevable pour l’adolescent.

Pour quelle raison pourriez-vous surprendre à penser « j’ai hâte qu’il soit ado » ?

J’ai hâte que le second rentre à l’école. Jusque-là, ça a été un peu lourd. Je crois que je suis en train de rentrer dans une période très sympa. Je n’ai pas hâte qu’ils grandissent, mais je ne veux pas les retenir non plus. C’est une période vraiment amusante, sympa. On commence à avoir des discussions…

Comment réagissent-ils lorsqu’ils voient leur maman à la télévision ?

Ils s’en moquent totalement. Pour eux, c’est quelque chose de très naturel, qui n’a pas de sens précis. Si ce n’est que l’aîné commence à essayer de frimer avec ça dans la cour de récré. Il a vu que ça pouvait avoir un impact…

Comment avez-vous vécu votre propre adolescence ?

J’ai eu une adolescence assez facile. Ma mère me laissait sortir assez facilement, mais je ne buvais pas, je ne fumais pas, je ne me droguais pas… Elle m’a fait confiance très tôt et je ne trahissais pas sa confiance. Je crois qu’à l’adolescence, tout est une question de dialogue, même si je ne crois pas en la permissivité.

Quelles sont les qualités du système éducatif français, selon vous ?

Ce que j’ai aimé dans le système français, c’est la variété. Le fait de pouvoir toucher à tout : aux Sciences Physiques, à la Philo, au latin… je trouve que cela très riche même si, apparemment, ce n’est pas efficace. Le fait de pouvoir apprendre plusieurs langues est une chance.

Quelles langues aviez-vous choisi ?

J’ai étudié l’anglais, l’espagnol et l’allemand, alors que j’étais dans une filière scientifique.

Seriez-vous capable, aujourd’hui, de réaliser une interview dans une de ces langues sur le plateau du 20 h de TF1 ?

En anglais, je pourrais le tenter. En espagnol un peu moins déjà. En allemand, cela serait impossible. Aujourd’hui, je n’utilise plus beaucoup toutes ces langues.

Que vous a enseigné le système éducatif anglo-saxon ?

J’ai passé un an en Angleterre après la faculté et Sciences Po Bordeaux. J’ai été émerveillée par l’aisance des élèves en classe. Là-bas, la prise de parole est facile, ce qui n’est pas du tout le cas en France. Dès le plus jeune âge, on habitue les enfants à s’exprimer en public, à prendre la parole et surtout, à ne pas avoir peur de dire des bêtises. C’est tout à fait le contraire de ce que l’on fait en France. J’ai trouvé cela formidable. Jusque-là, j’avais été formatée pour faire des démonstrations, des plans « oui, mais » Là-bas, c’était : « une idée, un argument. » « Une idée, un argument » Je trouve le système anglo-saxon plus ouvert, plus épanouissant pour un élève. En France, pour ce qui est de l’oral, il y a un vrai problème. Personnellement, j’ai tendance à prendre la parole assez facilement, mais en classe il m’arrivait de rester silencieuse parce que je rentrais dans le moule. J’avais peur de dire des bêtises. En Angleterre, c’est ce qui m’a vraiment surpris.

Que reprochez-vous au système éducatif français ?

Il y a une suprématie « Math-physique » qui, à mon époque en tout cas, m’a poussé à faire un Bac Scientifique. J’ai fait un Bac C, alors que je ne voulais pas faire d’étude scientifique. Je voulais faire sciences po. C’était absolument ridicule, mais dans mon école, si l’on était un bon élément, il fallait aller vers ces filières. Je ne sais pas si cela à beaucoup évolué depuis. Je trouve cela vraiment dommage. Autre point faible du système scolaire, le niveau d’anglais des Français est assez faible. Autre point faible, pour certains apprentissages, on reste un peu trop en surface. Un peu trop scolaire. Je pense par exemple au français. Je me souviens que l’on ne favorisait pas les dissertations, on ne sollicitait pas assez l’imagination. On restait près des textes, dans une démarche scolaire. Dans mon parcours personnel, j’ai eu le sentiment d’être un peu refrénée.

Refrénée sur quel plan ?

Je trouve que l’on freine parfois l’imagination des enfants. J’ai eu le sentiment, au début de ma scolarité, d’avoir des idées à émettre, à formuler. On ne m’interdisait pas de le faire, mais au fur et à mesure je suis rentrée dans un moule. On récite des leçons… Je le ressens encore aujourd’hui avec des enfants autour de moi, avec mes nièces par exemple. On enferme les enfants dans un apprentissage et on ne les laisse pas s’exprimer.

Quel type d’établissement avez-vous choisi pour vos enfants ?

Mes enfants sont dans le privé. Il y a moins de jours de grève. Pour des parents qui travaillent, c’est plus pratique. J’ai choisi de les mettre dans une école parisienne à dimension provinciale et humaine. J’ai l’impression de retrouver l’école de quand j’étais petite. Tout le monde se connaît, tout le monde est gentil. Il n’y a pas d’esprit de compétition et je pense que, plus l’enfant est épanoui, plus il se sent bien dans son école. Plus il aura de chance de faire une bonne scolarité et d’être heureux en général. Je ne suis pas pour la compétition à tout prix. J’aime bien ces écoles à visages humains. On a l’impression que tout le monde se connaît, comme une sorte de grande famille. J’aime bien ce côté, en fait. Je ne connais pas bien le public, mais j’entends comme reproche qu’au sein de la vie de l’école, il n’y a pas d’individualisation des relations. Il y a moins de rapport affectif direct entre le personnel et les élèves.

Quel rôle vous aimeriez jouer en tant que parent d’élève, quand vos enfants seront plus grands ?

Ma mère n’a jamais contrôlé mes devoirs. Elle ne m’a jamais fait faire de devoir.

Mais vous étiez bonne élève…

J’étais assez bonne élève. De toute manière, je n’aurais pas aimé ça. Je me prenais vraiment en charge. Cela ne veut pas dire que je vais abandonner mes enfants à leur propre sort s’ils sont demandeur. S’ils ont besoin d’aide, s’ils le souhaitent, je serai présente. Cela peut d’ailleurs devenir une façon de leur consacrer un moment privilégier. Je serai à l’écoute, mais je crois qu’il faut encourager les enfants à être plus autonome. Je participe aux réunions de parents d’élèves, mais je ne suis pas très interventionniste. Je ne délègue pas non plus toutes mes responsabilités à l’école. J’estime avoir plein de choses à apprendre à mes enfants. Je sais que je ne dois pas me décharger sur l’école. Cela dépendra aussi de la relation que mes enfants auront avec leur école. Pour l’instant, je vois que l’aîné aime mettre des frontières entre les deux. Je trouve ça très bien. Il fait preuve d’une certaine forme de maturité. S’il a des demandes il les formule, mais j’aime bien ce côté là.

Qu’est ce qui a déclenché en vous l’envie de devenir journaliste ?

J’ai voulu très tôt devenir journaliste. Je pense que je devais avoir 9 ou 10 ans. Ce qui a déclenché cela, c’est le plaisir d’écrire, l’intérêt pour les autres et pour l’actualité. J’aimais bien l’idée d’interviewer les gens, de les rencontrer. Très vite, j’ai eu mon petit journal. Lorsque j’étais en CM2 CM1. Je rédigeais des poèmes, des éditos, des petits sujets… tout est parti de là. Nous étions cinq dans la classe à faire ce petit journal que nous vendions dans les rues de st jean de luz. On vendait cela cinq francs, je crois. Ce journal s’appelait « Le monde vu par les enfants ». Il y avait une grosse planète dessinée au milieu. Comme c’était photocopié, c’était très moche. Avec les bénéfices, nous allions dans un salon de thé et nous dévorions des tartines, des croissants grillés au beurre, des chocolats… C’était très sympa. On a fait ça pendant deux ou trois ans.

Quelle voie avez-vous suivi pour arriver au journalisme ?

J’ai suivi une voie assez classique : Sciences Po Bordeaux, un an en Angleterre, puis le CFJ. Lorsque je suis rentré au CFJ, je voulais être reporteur en presse écrite, comme tous ceux qui y entrent ou presque. En sortant on se rend compte que, en fonction des personnalités, des parcours se dessinent. Moi, je me suis orientée vers le reportage télé, pas tellement la présentation. Nous n’étions pas vraiment formés pour cela. En sortant, mon premier emploi a été un emploi de présentatrice de journaux sur Bloomberg TV. C’est parti comme ça.

C’est une chance de savoir très tôt le métier que l’on veut faire…

C’est une chance de savoir dès le départ ce que l’on veut faire. Cela facilite beaucoup les choses. Pour moi, ça a commencé très tôt. J’ai dû vouloir être vétérinaire pendant un an, mais la passion pour le journalisme est vite venue. J’avais une sœur musicienne. Elle faisait du conservatoire en piano. Nous avons eu des parcours très marqués, très différents. Des métiers de passion et ça, c’est fabuleux. C’est une des choses que je souhaite à mes enfants. J’espère qu’ils auront très tôt une idée assez précise de ce qu’ils veulent faire pour bien s’orienter et ne pas perdre de temps. Lorsque l’on me demande ce que j’aurais pu faire d’autre, je ne sais pas quoi répondre. Pour moi, cela s’est imposé comme une évidence…

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