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Marianne semble promise à un brillant avenir professionnel, mais est fatiguée de plafonner dans sa carrière parce qu’elle doit en plus s’occuper des enfants et faire tourner la baraque. Pour sauver son couple qui « va droit dans le mur », elle contraint son mari Bruno (Antoine de Caunes), avocat de haut vol, à partager leur quotidien plus équitablement. Au nom de leur amour, de leurs enfants et de leur avenir tout simplement, elle décide de quitter le foyer l’espace de quelques mois, le temps pour ce dernier de réaliser ce que signifie être père.
Marie Bernard : Qu’est ce qui vous a séduit dans le scénario de Catherine Castel ?
Antoine de Caunes : Je suis assez sensible à l’écriture et J’ai trouvé le scénario bien écrit. Le ton était frais et joyeux. Il parlait d’un sujet sérieux, peut-être même grave pour certains, sur le ton de la comédie. Cela est toujours pour moi un angle parfait pour parler des sujets les plus graves. Parler légèrement de choses graves, plutôt que gravement de choses légères, je suis très partisan de ça. J’ai aimé l’écriture de ce scénario. Et puis… le couple que l’on formait, avec Aure, me semblait intéressant. Ce couple avait déjà deux enfants. Il y avait entre eux beaucoup d’amour, de tendresse, mais il y a aussi du conflit. Par-dessus tout ça, ce qui a été déterminant, c’est la personnalité de Catherine (ndlr : Catherine Castel, réalisatrice). Derrière les premiers films, il y a toujours une sorte d’enthousiasme, de ferveur, de volonté de monter au feu et de faire ses preuves très communicative.
MB : Avant ce film, aviez-vous conscience de la difficulté qu’ont les femmes à concilier vie familiale et vie professionnelle ?
AC : Je ne l’ai pas découvert cela dans le scénario. Cela ferait de moi un candide limite attardé… Je suis bien sûr conscient de ces problèmes. D’autant que je suis moi-même père, que j’ai élevé des enfants. Je sais la complexité que cela représente, surtout dans le genre de métier que je fais, de concilier une vie publique, une vie privée et une vie professionnelle. Je suis ravi quand les comédies parlent de quelque chose plutôt que de rien, lorsque vous sortez du film et que vous avez envie de parler du sujet, mais je n’ai pas accepté le scénario dans un but militant. J’aime les comédies de pur divertissement et les films burlesques, mais en tant qu’acteur, je préfère participer à une comédie qui raconte quelque chose.
MB : L’équilibre vie familiale-vie professionnelle est-il utopique ou réaliste, selon-vous ?
AC : La notion même de couple exige un travail quotidien, un effort, une attention. Tout se complique dès qu’il y a des enfants et qu’il faut concilier tout ça. On vit dans des schémas préétablis selon lesquels, c’est effectivement toujours la femme qui se coltine le sale boulot. Et ce, en dépit des victoires du féminisme. Pour ce qui me concerne, j’essaye toujours de mettre la main à la pâte et de ne pas tout laisser reposer sur les frêles épaules de ma compagne…
MB : Les hommes culpabilisent-ils autant que la femme de ne pas être assez présents pour leurs enfants ?
AC : Une partie des hommes y est tout à fait indifférente. Egoïste. Personnellement, j’ai souffert de cela dans mon expérience de père. J’ai été père très tôt, or il y a un âge où l’on a besoin de prouver aux autres qu’on existe. On ressent le besoin de s’affirmer, de trouver sa place dans le monde. J’accorde beaucoup de circonstances atténuantes à l’âge. Quand on est jeune parent, que l’on n’a pas encore affirmé sa place dans le monde, il y a quelque chose de très difficile à concilier. Cela vaut pour la femme autant que pour l’homme. Je travaillais en plus dans un métier où il n’y a pas d’horaire, où les périodes de travail intense alternent avec des périodes de latence. J’ai vécu des périodes durant lesquelles il m’était très difficile d’équilibrer vie familiale et vie professionnelle. Je me suis toujours senti coupable de ne pas assez m’occuper de mes enfants. Le don qui m’a toujours semblé le plus important à leur faire, c’est le temps qu’on leur accorde. Pas les cadeaux.
MB : Fort de votre expérience de père, que diriez-vous aujourd’hui aux parents ?
AC : La raison pour laquelle on fait des conneries dans la vie, c’est la peur. Avec l’âge, on gagne normalement un peu, si ce n’est en sérénité, du moins en maîtrise de la situation. Les erreurs que l’on commet par peur à cette période de la vie, sont des erreurs qu’on regrette infiniment plus tard. Il est important de prendre sur soi et d’accorder aux enfants l’attention qu’ils méritent. Il ne s’agit pas non plus d’en faire des enfants rois et de se mettre à genou devant eux. Juste de leur accorder la place qu’ils méritent et c’est beaucoup. Beaucoup de place, d’attention et d’égard. J’ai grandi à l’époque de cette idéologie où on laissait l’enfant se développer. L’époque où il fallait le laisser libre. Je crois au contraire qu’il faut établir un cadre, délimiter un champ. C’est un travail auquel il faut accorder une vigilance quotidienne. Voilà les conseils d’oncle Antoine…
MB : Croyez-vous ce qui compte n’est pas la quantité de temps passé, mais la qualité ?
AC : C’est une manière de se défausser. La qualité, si c’est 10 minutes par semaine, je ne pense pas que ça soit suffisant. Quantité et qualité : les deux doivent être compatibles.
MB : Pensez vous qu’il soit plus facile pour une femme que pour un homme de concilier vie familiale et vie professionnelle ?
AC : Il y a évidemment un instinct maternel chez la femme, surtout pour les enfants en très bas âge. Il y a un rapport parfois assez excluant vis-à-vis du père. Mais par la suite, on est deux parents. Ce rôle là, il faut le remplir. C’est un boulot. Etre parent est une profession dans laquelle on apprend tout seul tous les jours. C’est compliqué. Pourquoi les tâches ingrates devraient toutes reposer sur les épaules d’un seul membre du couple tandis que l’autre aurait la vie beaucoup plus facile. Il faut s’équilibrer !
MB : Quel est l’enjeu principal de l’éducation, selon -vous ?
AC : Le respect de soi-même et de l’autre est la vertu la plus importante à transmettre. Elle est le fondement de tout le reste. La vertu qui, à mon sens, est cardinale. Elle consiste à sortir des schémas préconçus et des préjugés. Je pense ensuite qu’il faut apprendre aux enfants à aborder la vie légèrement, avec sens de l’humour. Il faut leur apprendre à relativiser et prendre de la distance. Je souhaite aussi leur apprendre à penser par soi-même. Transmettre tout cela est très important. C’est un travail.
MB : Nous venons de commémorer les 40 ans de mai 68. Qu’est ce que la femme en a tiré ?
AC : De l’époque on parle d’émancipation, de liberté sexuelle… Que reste-t-il de tout cela 40 ans après ? J’ai le sentiment que cela s’est refermé. Sous des apparences libérales et tolérantes, le carcan est toujours aussi strict qu’à l’époque.
MB : Quel est ce carcan ?
AC : Il se manifeste autrement. On a réinventé de nouvelles frontières. D’une certaine manière, on a répété des schémas préexistants. L’égalité des salaires, la parité… je ne vois pas du tout où cela est appliqué. Il y a de grandes déclarations, mais je vis dans un monde gouverné par les hommes, des mecs en costard-cravate qui font chier tout le monde. Je souhaiterais que les femmes soient beaucoup plus présentes. Je les trouve beaucoup plus subtiles, plus douces, plus intuitives. Un peu moins « nez de bœufs » que mes camarades de sexe masculin.
MB : Qu’aimeriez-vous que les spectateurs retiennent de ce film ?
AC : Je partage l’avis de Catherine : passer un bon moment avant tout, ce qui est déjà pas mal. Ca reste un divertissement. Qu’après ce film, cela débouche sur des conversations, sans que cela en fasse un film militant défendant une cause perdue. Si le film laisse une trace, parler du sujet du film et de l’incidence que ça a sur la vie quotidienne.