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Lettre à la CGT d’un salaud de patron

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Julien Leclercq, directeur de Com’Presse, agence de 45 salariés.

Julien Leclercq fut journaliste dans une agence de presse pendant plus de dix ans avant de créer sa propre agence de communication, Com’Presse, PME de 45 salariés, en Lot-et-Garonne. Il a livré sa découverte presqu’étonnée de la vie d’un dirigeant de société dans un ouvrage vivant et vécu. Il s’adresse aujourd’hui à la CGT, entité qu’il tutoie pour s’étonner que le syndicat ne parvienne pas à sortir de sa dialectique du patron à éliminer…

Il a publié Salaud de patron, Les cavaliers de l’orage, 2013, la suite, Journal d’un salaud de patron, Fayard, 2015, Rendez-vous avec la France qui bouge, Éditions du rêve, 2018, L’homme qui ne voulait pas devenir président, roman, Intervalles, 2017.

Chère CGT,

Je viens de lire avec beaucoup d’attention ton préavis de grève. Je n’oserais écrire que je suis surpris, il s’inscrit finalement dans la droite lignée de tes déclarations et actions ces dernières années. Dans la droite lignée surtout de tes prises de position depuis le début de la crise dite « du coronavirus ».

Faut-il le rappeler, tu avais tapé fort dès le départ. À l’heure où les appels à la solidarité nationale se multiplient, à l’heure où la moitié de l’humanité est confrontée à un sort commun, sans distinction de ressource, d’ethnie, de religion… tu avais, dès le premier jour de confinement, désigné le « coronavirus, ami du patronat » (communiqué facile à retrouver sur le site de la CGT Commerces et services). 25 500 victimes au moment où j’écris ces lignes, sympa comme ami.

Tu continues, donc, en appelant à la grève dans les services publics. Les médias, que tu honnis tant et que tu n’hésites pas à empêcher de paraître quand ils ne sont pas d’accord avec toi, sont cette fois plutôt conciliants : ils ne reprennent que les premières lignes de ton préavis, qui sont, et ne vois aucun second degré dans mon propos, franchement audibles. Oui, il faut protéger bien mieux les personnels qui continuent à travailler pour maintenir les activités essentielles à la vie de la nation. Oui, il faut des masques et des gants, et c’est impensable d’imaginer que nous en manquons. Tu aurais été entendue, applaudie par grand nombre de Français/es. Tu aurais même reçu le soutien de millions d’entrepreneurs, dont beaucoup ont lancé des initiatives admirables pour se battre activement sur ces sujets-là : je pense aux ETI et PME qui se sont reconverties en fabricants de masques ou de gels hydroalcooliques. Je pense à ces collectifs d’indépendants qui ont lancé des campagnes de crowdfunding pour soutenir le personnel soignant. Et tant d’autres.

Oui mais voilà. Impensable pour toi sans doute d’imaginer réunir toutes ces personnes derrière toi. As-tu eu peur de remporter ton combat ? As-tu pensé qu’en étant entendue tu existerais moins ? Toujours est-il que tu as ajouté de nombreuses lignes à tes demandes, exhibées comme justifications de ton appel à la grève. Pour que tu lèves ton appel, il ne faut pas seulement protéger les personnels en contact avec le public. Il faut aussi remettre l’ISF, passer aux 32 heures de travail hebdomadaires, jeter la réforme des retraites à la poubelle. Et comme si cela ne suffisait pas, tu as terminé par des exigences qui n’en sont pas, trop génériques pour signifier quoi que ce soit de concret : « recrutement massif d’emplois statutaires » ou « respect plein et entier du syndicalisme ». Maintenant, c’est sûr, tu peux être rassurée, personne ne te donnera raison, tu peux faire grève tranquille.

Si j’osais un vœu pieux, je souhaiterais que cette crise, véritable catastrophe sanitaire, économique et sociale, te permette de comprendre que les patrons ont changé. Les nouveaux entrepreneurs ne sont pas le patronat que tu combats avec tant d’acharnement. S’il te fallait une preuve, regarde simplement ce qu’il s’est passé la semaine dernière : les dirigeants d’entreprises de branches entières, notamment celle du bâtiment, se sont faits tancer par le gouvernement parce qu’elles avaient fermé trop vite, avec pour seul enjeu de protéger la santé de leurs collaborateurs. Accepter cette réalité vertueuse t’engagerait à évoluer, je comprends que ce ne soit pas évident mais regrette que tu t’y refuses.

Je ne suis pas un antisyndicaliste. Je ne suis pas un anti-CGT. Il y a des gens très bien chez toi, j’ai fréquenté ton syndicat d’assez près pour le savoir, j’y ai même quelques amis, des gens que j’admire. Je ne nie pas l’existence d’une réelle souffrance au travail, cette souffrance que nombre de tes adhérents combattent au quotidien. Je déteste en revanche que tu te serves de cette souffrance pour faire de la com’. J’exècre que tu fasses d’une minorité de patrons voyous une généralité, que tu caricatures à outrance ce que nous ne sommes plus.

J’ai assisté à plusieurs congrès départementaux de la CGT. J’y ai entendu des témoignages de salariés au bout du rouleau qui m’ont révolté autant que toi. J’avais envie de prendre ces personnes par la main et de leur dire « tire-toi, aucune boîte, aucun boulot ne mérite que tu te mettes dans cet état ». Puis les emmener voir qu’il existe une autre réalité, des millions de superpatrons, humanistes et engagés. Plein de belles entreprises où il fait bon travailler. Mais non. « Travail = torture », assènes-tu, tu te contentes de leur répondre que le patronat est comme ça. Et qu’il faut lui faire la guerre.

Je le redis, il y a des gens très bien en ton sein. Engagés sincèrement dans une lutte sans merci contre la souffrance au travail, contre l’exclusion, la précarité. De nobles causes autour desquelles tu retrouveras toujours grand nombre de dirigeants d’entreprise, conscients de leur responsabilité sociale et sociétale. Aujourd’hui, j’ai de la peine pour ces gens très bien, pour mes amis. Ils méritent mille fois mieux que tes déclarations à la sémantique militaire d’une violence crasse. Mille fois mieux que tes communiqués aux relents nauséabonds d’un racisme anti-entrepreneur totalement dégueulasse. Encore plus en cette période de crise où nous nous mobilisons chaque jour, chaque nuit, pour sauver les emplois que nous avons créés.

Julien Leclercq
chef d’entreprise et blogueur, www.salauddepatron.fr

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