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Votre enfant revendique une nouvelle indépendance, devient secret et distant. Pourtant, vous avez du mal à lui faire confiance. Comment accompagner cette prise tout en assumant votre rôle ?
Stéphanie vit dans un quartier aisé et a priori sans danger. Pourtant à chaque sortie d’Anna, sa fille de 15 ans, elle est morte d’inquiétude. « On ne sait jamais sur qui elle va tomber. Elle peut être entraînée par un type qu’elle ne connaît pas. Et je ne serai pas là pour la protéger… Et puis quand elle est avec ses amis, je redoute l’effet groupe. Saura-t-elle refuser le retour en scooter ou décliner le verre d’alcool qui la mettrait en danger ? Je ne lui fais pas confiance car j’ai le sentiment qu’elle ne mesure pas les risques et conséquences de ses actes. »
N’ayez pas peur de votre ado
La confiance est fragile, et puisque votre ado évolue, vos relations doivent nécessairement suivre la même voie. Même s’il est difficile de s’adapter à ses sautes d’humeur ou ses nouveaux désirs. Durant cette période, votre enfant réinterroge vos règles et principes de vie. Il lit ses parents autrement, décelant chez eux des failles nouvelles. Vous n’êtes plus à ses yeux les êtres idéaux qui l’ont accompagné durant sa petite enfance. Il pense par lui-même et cherche de nouveaux modèles. Pourtant on ne naît pas ado, on le devient, portant avec soi l’héritage transmis au cours de son enfance. Petit à petit, il va donc se construire sa propre échelle de valeurs, nourrie de ce que vous lui avez transmis. Il vous attaque et se permet de vous bousculer ? « Ne vous laissez pas déstabiliser, conseille Aïcha Sultan, psychologue au service d’écoute téléphonique « Interservice Parents ». Il ne cherche pas à vous détruire, mais teste simplement ses propres limites ».
Détachez-vous
Le « Détache-moi » de Marcel Rufo indique justement que si l’enfant a un besoin de fusion avec sa mère dans ses premières années, l’expérience de la séparation est absolument nécessaire pour lui permettre peu à peu de devenir lui-même. Et cette séparation commence très tôt. La crèche ou la nourrice puis l’école sont déjà des expérimentations pour lui. Plus tard, il se rendra seul chez ses amis ou ira faire quelques courses. C’est important d’avancer par étape, de sentir où il en est de son développement. C’est pareil à l’adolescence. On ne fait pas les mêmes choses à 13, 14 ou 15 ans. Mais se détacher, c’est aussi respecter l’intimité de l’adolescent. « Certains parents nous appellent car ils découvrent dans la chambre de leur enfant un préservatif, une lettre qui ne leur est pas destinée, un morceau de cannabis et ils sont choqués », explique Aïcha Sultan. « Les parents ont parfois envie de tout savoir, vivent le silence de leur ado comme un désamour. C’est utile pour préparer le dialogue qu’ils s’interrogent sur ce qui les gêne réellement. »
Ne doutez pas de vous
C’est un peu de soi-même qu’on aime à travers son enfant et votre peur traduit peut-être des inquiétudes sur l’éducation que vous lui avez donnée ou les règles établies au sein du foyer. D’où viennent vos angoisses ? Peut-être fait-il les frais de vos expériences malheureuses. Si votre ado vous déstabilise, tentez d’en identifier les raisons. Parlez-en aussi avec son père à la fois parce qu’il est important que vous soyez cohérents, ensuite parce que certains assouplissements sont peut-être nécessaires. Mais ne fléchissez pas sur ce qui vous semble primordial. L’adolescent a plus que jamais besoin de repères pour acquérir de l’autonomie. « Aujourd’hui les adultes se sentent illégitimes », ajoute le Pr Philippe Jeammet. Ils ne savent plus ce qu’ils sont en droit d’imposer ». Or vous ne pouvez être crédibles aux yeux de votre ado que si vous êtes sûrs de vous et de la position que vous défendez.
Responsabilisez-le
Votre enfant est rentré plus tard que prévu, a fumé du haschich, vous a menti, ou déçu, trahissant ainsi la confiance accordée. « Il est nécessaire de la restaurer voire de l’établir, explique le Dr Patrice Huerre. Pour cela, concluez avec lui un contrat évolutif en fonction de son attitude : « Si tu respectes les horaires de sortie, tu auras davantage de latitude dans les mois à venir. Mais pour le moment, j’attends de voir comment tu réagis et si tu honores la règle que nous établissons ensemble. Tout dépend de toi » ». L’ado est rassuré car il voit que son parent est solide, mais peut néanmoins prendre une part active. Il comprend que sa situation va évoluer. « L’essentiel reste que l’ado puisse se construire, ajoute Philippe Jeammet. Il n’est pas obligé d’épouser toutes nos valeurs mais doit savoir que ses parents veillent sur lui et ne le laisseront pas s’abîmer ».
Réfléchissez à ce qu’il vous renvoie
Parfois, il existe chez certains parents une pointe de jalousie. Vous pouvez traverser une période difficile (crise de la quarantaine, difficultés professionnelles ou conjugales, décès d’un proche …). Votre enfant lui est en phase de découverte. Tous les champs des possibles lui sont ouverts. Il démarre une vie affective sans contrainte, choisit son orientation professionnelle, mais vous renvoie aussi à vos propres choix, réussites ou échecs. « Joséphine s’habille de manière affriolante, explique Véronique. Mais elle est jolie. Et j’ai parfois du mal à supporter l’image qu’elle me renvoie de moi-même. Alors je deviens rigide ». Sur cette question de la liberté vestimentaire, Marion, quant à elle, nuance. « Tant que ma fille n’est pas vulgaire, je supporte sa prise d’autonomie. En revanche, et même si elle me regarde avec mépris, j’interdis à Tara les shorts courts ou mini jupes dans les transports en commun. C’est une mesure de protection car elle ne se rend pas compte du désir qu’elle suscite chez les autres ».
Evitez de projeter vos angoisses
D’ailleurs, les ados s’en plaignent à l’image de Sarah, 14 ans : « Mes parents me font flipper. Ils répètent en boucle qu’ils ont peur du chômage, de la drogue, de la violence, que c’était plus facile de leur temps ». Les adolescents comprennent très bien vos préoccupations mais leur asséner à longueur de journée des « si tu travailles comme cela, tu n’y arriveras jamais », les tétanise. À quoi bon faire des efforts, puisque même les jeunes surdiplômés ne trouvent pas de travail ? Et comment avoir confiance en soi lorsque les autres n’ont pas confiance en vous ? interroge le Pr Claude Griscelli dans « En quête d’adolescences » (Ed Privat). Au contraire, ils ont besoin de sentir que vous croyez en eux et que vous les estimez capables de réussir. « Arrêtez de dénigrer le monde nouveau », insiste le Pr Jeammet. Aimer son enfant, c’est l’aider à s’épanouir avec ses compétences propres ». Valorisez ses efforts, qu’ils soient scolaires, artistiques ou sportifs. Notez ses progrès, félicitez le mais s’il se laisse aller, n’hésitez pas à faire appel à une tierce personne.
Soyez optimiste et confiant pour lui donner goût à la vie. C’est aussi le meilleur moyen de l’ouvrir au monde et de susciter chez lui un désir de partage. Parlez de vous, de vos journées, de vos envies. Il ne vous accompagne pas à une exposition ? N’en faites pas un drame. Vous lui renvoyez déjà l’image d’un adulte heureux et épanoui. « D’autant qu’aujourd’hui, on sur-sollicite les jeunes, commente Philippe Jeammet. Tout leur est accessible immédiatement et ils n’ont plus l’occasion de désirer ». Plutôt que de lui imposer votre programme, intéressez-vous à ses activités. Pourquoi ne pas regarder un match de football ensemble, partager une séance de jeux vidéos en ligne ou l’accompagner à un tournoi de volley ? En adoptant une attitude ouverte, vous apprendrez à décrypter son univers. Une autre manière de délivrer habilement quelques conseils et de l’aider à décoder le monde qui l’entoure.
Renouez un dialogue
L’adolescent adore inquiéter ses parents. Ne pas leur dire où il est, ni avec qui. Plus vous poserez de questions, moins il répondra. Et ce, même s’il ne fait rien d’interdit. Alors plutôt que de lui sauter dessus dès que son portable sonne « C’est qui ? », demandez-vous de quoi, il a réellement besoin. En évitant d’être intrusif car il a besoin d’un jardin secret pour se construire et se sentir respecté. Vous sachant discret mais à l’écoute, il est plus enclin à se confier. « Les repas sont pour nous un moment privilégié, explique Julie, mère d’un garçon de 15 ans et de deux jumelles de 14 ans. Dîner en famille permet de maintenir un dialogue. Et de repérer assez vite quand l’un de nos enfants rencontre une difficulté ». Vous pouvez aussi profiter de ces moments pour aborder des sujets qui vous tiennent à cœur, faire de la prévention mais en parlant des autres, jamais de lui.
Dédramatisez
Bien sûr, il est rentré plus tard que l’heure autorisée et vous avez eu raison d’intervenir. La consigne doit être respectée. C’est le principe de la confiance. Mais lui interdire définitivement toute sortie ne le place pas dans une démarche constructive. Il ne va pas devenir un délinquant parce qu’il a séché les cours une fois. En revanche, il doit être capable de reconnaître son erreur. « La mère est souvent la plus touchée car le lien affectif est très fort, confirme Philippe Jeammet. Elle se remet en cause, pense qu’elle est une mauvaise mère. Il faut surtout qu’elle cesse de culpabiliser, qu’elle accepte qu’il ne fasse plus partie d’elle. Et surtout qu’elle ne pourra pas vivre à sa place »
Rencontrez d’autres parents et faites-vous aider
La vie à la maison doit être agréable. Et parfois pour y arriver, la distanciation ou le recours à des tiers s’imposent. Si vous vous sentez débordé, n’hésitez pas à solliciter quelqu’un pour le faire travailler, rejoindre un groupe de paroles, voire consulter un spécialiste. Il existe différentes formes. L’école des parents, par exemple, propose des conférences thématiques, un accueil personnalisé ou en groupe avec un professionnel, une ligne d’écoute téléphonique (01 44 93 44 93). Mais elle peut aussi vous orienter vers un psychologue, un psychiatre ou une structure adaptée à votre difficulté. « Travailler sur leurs angoisses, aide les parents à prendre de la distance, ajoute Aïcha Sultan. C’est très bénéfique pour le jeune, qui a besoin d’adultes contenants ». « Enfin et s’il ne veut pas lui-même consulter, n’hésitez pas à parler de votre démarche à votre ado, précise Philippe Jeammet. Expliquez lui que vous avez peut-être tort de vous inquiéter mais qu’il est trop précieux pour que vous le laissiez s’abîmer ».
Parole d’expert : Dr Patrice HUERRE (Co-auteur avec Anne Lamy de « Je m’en fiche, j’irai quand même », Ed Albin Michel), Psychiatre des hôpitaux, psychanalyste : « Les parents restent accrochés à l’image qu’ils avaient de lui avant la puberté »
Pourquoi cette question de la confiance se pose-t-elle à l’adolescence ?
Parce qu’il est difficile d’ajuster son regard sur son enfant. Cela demande du temps. Les parents restent accrochés à l’image qu’ils avaient de lui avant la puberté. Ils sont désorientés par ses nouveaux besoins et ça leur est difficile de modifier leur point de vue. Désarçonnés, ils se sentent en position d’insécurité et peuvent alors adopter une attitude restrictive. C’est la même chose lors de l’accouchement. On a rêvé un enfant pendant la grossesse. Il naît différent de ce qu’on imaginait. Les parents doivent sans cesse s’adapter et refaire connaissance.
Mais vous dites que la confiance trouve ses prémices dès l’enfance ?
Effectivement car le comportement des adultes découle des expériences préalables. Les parents ont-ils pu faire confiance à leur enfant lorsqu’il était petit ? Les a t-il déjà déstabilisés ou inquiétés ? Prenez un enfant à qui on a confié la mission d’aller acheter le pain tout seul. Il traîne en chemin, traverse sans regarder… et se met en danger. Ces petites expériences cumulées sont très angoissantes pour les parents. Bien que leur rôle soit évidemment déterminant dans la prise d’initiatives, qui doit être juste et adaptée à l’âge de l’enfant, le caractère et la personnalité de ce dernier (étourdi, impulsif, joueur…) génèrent aussi de la peur qu’il faut prendre en considération.
Les inquiétudes des parents peuvent-elles être liées à leur propre enfance ?
Bien sûr. Certains parents surprotecteurs reproduisent les schémas qu’ils connaissent. Parfois, ils prennent aussi le contre-pied total car ils ont pu souffrir d’une trop grande liberté ou d’un manque de cadre. Mais chaque parent a sa propre histoire, vécu des expériences qui l’ont rendu plus ou moins angoissé. L’important est d’être attentif aux capacités de son enfant pour lui permettre de prendre progressivement de l’autonomie tout en le protégeant lorsqu’on estime qu’il est en danger.
Zoom : Nos ados vont plutôt bien !
Les résultats de la dernière étude Ipsos réalisée dans le cadre des Forums Adolescences organisés chaque année par la Fondation Wyeth sont éloquents. Contrairement aux idées reçues, les jeunes semblent aller bien. En effet, 96 % des 847 adolescents âgés de 15 à 18 ans interrogés en face à face disent avoir beaucoup d’amis, 79 % parler facilement avec leurs parents, 78 % se sentir bien à l’école et 87 % savoir à qui s’adresser en cas de difficultés personnelles. En revanche, et c’est à noter pour les adultes, ils formulent des attentes très précises :
- Etre écoutés avec respect. La fermeté et l’autorité pour autant qu’elles soient justes et expliquées leur paraissent légitimes
- Etre cadrés par leurs parents, l’école, la police, l’entreprise, sur la base de la réciprocité et de l’échange
- Etre protégés de la vie intime ou des difficultés de leurs parents
- Bénéficier de temps de discussion spécifiques avec les adultes, mais sur d’autres sujets que l’école ou les notes
- Participer à la vie politique, porter leurs propres messages, être consultés.
Bref une belle illustration de leur besoin d’accompagnement, d’encadrement et de responsabilisation dans cette délicate période qu’est l’adolescence.
A lire :
- 10 astuces de parents pour rester zen pendant la crise d’ado, Emmanuelle Rémond-Dalyac, Editions Fleurus
- La confiance en soi de votre enfant, Dr Gisèle George, Editions Odile Jacob
- Pour nos ados, soyons adultes, Pr Philippe Jeammet, Editions Odile Jacob
- Votre ado, Pr Marcel Rufo, Editions Hachette Pratique
Adresses utiles :
- L’Ecole des Parents et des Educateurs : www.ecoledesparents.org
- Fil Santé Jeunes (pour les jeunes) : 32 34 N°vert 7j/7 de 8h00 à minuit
- Interservices Parents (service téléphonique) : 01 44 93 44 93
- Centres Médico-Psychologiques (CMP) : Renseignements dans les Mairies et établissements scolaires
Article de Juliette VIATTE