Site icon Parenthèse Magazine

Tolérance et attentats ne font pas bon ménage

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Comment transmettre à ses enfants les valeurs d’accueil, vis-à-vis des immigrés notamment, dans un contexte tendu qu’ils ressentent ?

New York, le 11 septembre 2001. John et Nassir, deux enfants américains, vivent en direct l’effondrement des Tours jumelles. Le monde entier est bouleversé. Mais ce jour-là, pour John, de religion baptiste, et Nassir, musulman, c’est aussi leur amitié qui explose… L’amalgame entre islam et islamisme ne tarde pas à apparaître dans la famille de John, qui fuit désormais les « Arabes ». Le jeune Nassir ne comprend pas. Il proteste : « Je ne m’appelle pas Ben Laden ! » 1 Cette fiction de Bernard Chambaz retranscrit à merveille le cheminement de pensée que peuvent emprunter les enfants ou adolescents, influencés par leurs proches en période d’attentats, de peur et de repli sur soi. Or en France actuellement, face à la menace terroriste, le gouvernement a renforcé le dispositif de sécurité dans les établissements scolaires. Simulations et exercices de prévention, cellules de gestion de crise, travaux dans les espaces vulnérables… Autant de nouvelles mesures qui génèrent un climat anxiogène dans les cours de récré. « Aujourd’hui la situation s’est aggravée. L’expression islamophobie n’était pas encore usitée à l’époque. Cette peur est irrationnelle, les enfants ont besoin de mettre un visage sur ce qu’ils craignent », déplore Bernard Chambaz. Même si la ministre de l’Éducation Najat Vallaud-Belkacem invite les enseignants à ménager des « temps d’échange » avec les élèves avant les minutes de silence, si les armes factices durant les simulations sont prohibées, le niveau d’angoisse des élèves prend de la hauteur. « La notion de sécurité à l’école s’amenuise. Les questions des enfants sont plus nombreuses, et il importe pour les parents d’y être très vigilants. Si par leur manière d’être ils projettent trop d’angoisse, ils vont priver leurs enfants de l’insouciance et de la légèreté dont ils ont besoin », rappelle Marie-Rose Moro2, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent, professeur à l’université Paris XIII, responsable de la Maison de Solenn. Et qui dit peur, dit bien souvent opinions et comportements discriminatoires.

Pas de racisme, mais une peur de l’Autre

Les enfants ne sont pas racistes, ce n’est pas dans la nature. « J’ai été professeur, et ce qui m’a interpelé est que les enfants n’ont pas cette attitude de rejet, ce n’est pas inné », précise Bernard Chambaz. En revanche, ils sont très sensibles aux idées racistes. S’ils entendent des adultes tenir ce genre de propos, ils peuvent les reprendre à leur compte, par mimétisme, mais sans a priori. Coralie Lopinot, réceptionniste d’hôtel à Lyon, s’est insurgée lorsque son fils de 5 ans a refusé d’inviter un camarade Japonais à son anniversaire « parce qu’il n’était pas Français ». « En le questionnant, mon mari et moi avons compris qu’un tel propos provenait du fait qu’il n’arrivait pas à le comprendre. La langue est importante pour les enfants en bas âge, pouvoir communiquer les rassure », affirme-t-elle. S’ils peuvent dire que c’est mieux d’être Blanc parce qu’il y en a davantage autour d’eux, ils ne diront pas que les Blancs sont mieux que les Noirs. Les recherches sur les préjugés racistes chez les jeunes enfants montrent que, dès 4 ans, les enfants blancs préfèrent les Blancs. Cette préférence va en s’accentuant jusqu’à 7 ans, âge à partir duquel les préjugés déclinent. La peur de la différence existe donc quand même et peut donner lieu à des débordements. « Quand les exercices de sécurité et d’évacuation surviennent, des enfants ont évidemment peur, mais plutôt que le méchant vienne à l’école. Et c’est à ce moment qu’ils peuvent développer une discrimination à l’égard des Maghrébins et musulmans, qui incarnent le méchant », note Catherine Jousselme, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à la Fondation Vallée à Gentilly Université Paris Sud.

Des réponses à donner à tout âge

Les parents ont un rôle prépondérant à jouer, puisqu’ils jouent le relais direct entre l’enfant et la société. Ils se doivent d’aborder différemment la question selon les âges, comme l’explique Bernard Chambaz, selon qui « eux comme le corps enseignant n’ont pas un point de vue à apporter, mais une tournure d’esprit à créer ». Interdiction donc d’être trop inquiets, angoissés, et du coup de projeter leur crainte sur leur progéniture. « Il faut trouver une manière de rassurer les enfants sans les enfermer. Leur dire méfiez-vous d’un certain type de population est la pire chose à faire, d’autant plus que les émotions sont décuplées chez l’enfant », avertit Marie-Rose Moro. Mais surtout il importe de leur permettre de comprendre ce qui se passe. « Le fantasme est pire que la pensée pour les enfants. S’ils pensent que tout leur environnement est hostile, ils ne se développeront pas », ajoute la spécialiste, selon qui l’éducation à la diversité dès le plus jeune âge est essentielle. Condamner le racisme ne suffit pas et peut même se révéler culpabilisant. Le goût de la mixité et l’ouverture vers l’altérité s’acquièrent. « Avec de jeunes enfants, il est surtout important d’en parler de manière positive. Il ne s’agit pas de nier les différences, car ils les perçoivent, mais de leur dire que le monde est composé d’êtres divers, avec des couleurs de peau et des accents différents, de la même façon qu’il y a plusieurs variétés de fleurs, mais toutes sont belles », insiste Marie-Rose Moro. Un discours qui peut être appuyé par une littérature d’éducation à la diversité, encore trop rare dans l’Hexagone mais très présente dans d’autres pays européens. « Elle enseigne que la différence est enrichissante, et que l’ouverture est nécessaire dans notre monde contemporain et répond à des questions plus concrètes que se posent les enfants : y a-t-il une hiérarchie ? Peut-on communiquer, même si la langue n’est pas la même ? », décrit Marie-Rose Moro. En revanche, le discours évoluera avec les plus grands. À la fin de l’école primaire, les enfants sont à un moment de leur développement où ils n’aiment pas la différence et veulent ressembler à leurs petits camarades. C’est aussi un âge où ils commencent à accéder à un discours moral. Il est donc propice d’aborder le racisme à travers des éléments géographiques et historiques, d’autant qu’ils sont très sensibles à ce qu’ils apprennent en classe. « J’attends toujours qu’il soulève les questions en premier. Et je suis très attentive à ce sujet. Je lui dis qu’il faut me faire confiance et que ce qu’il a entendu ou pense est erroné », énonce Katia Dintzer, enseignant-chercheur à Paris et mère d’un garçon de 9 ans. À 10 ans, donner le goût de la diversité ne suffit plus. Il faut développer des arguments théoriques. « Il importe d’aller au-delà de leur peur, de leur expliquer comment il est possible de lutter contre les méchants, des bienfaits à ce que les communautés soient solidaires, relate Catherine Jousselme. Il faut tout simplement raconter aux enfants la même chose qu’aux adultes. Par exemple confondre ceux qui commettent les attentats et le voisin musulman qui n’a rien demandé est une erreur. » À l’adolescence, il ne faut surtout pas éviter les grandes questions sur les races et la hiérarchisation. C’est une période où l’adolescent forge sa manière de penser et a besoin d’approfondir les grands sujets de société. Contrairement à l’enfant, il revendique la différence et devient donc très sensible aux problèmes de discrimination. Il est confronté à nombre d’images, vidéos et avis sur les réseaux sociaux, et requiert un véritable accompagnement pour acquérir les systèmes d’interprétation des adultes, comprendre la dimension historique et sociologique du racisme. « La meilleure réponse consiste à pratiquer soi-même l’accueil et la tolérance, à avoir des amis d’origines très diverses, à s’intéresser à des cultures différentes », indique Catherine Jousselme. Les adolescents peuvent être les plus ébranlés car ils s’interrogent beaucoup sur la société, les conflits. Il faut saisir l’occasion pour engager la discussion et les amener à réfléchir sur ce qui se passe. Il importe de sortir de l’émotion et d’éviter de les laisser s’enfermer dans des raisonnements caricaturaux et simplistes, à propos de l’islam notamment.

Juste milieu

Les jeunes ne réagiront pas tous de la même manière. Certains tirent des conclusions des attentats. D’autres, au contraire, n’ont pas conscience de cette menace, ils sont encore dans la petite enfance et ne doivent surtout pas en sortir prématurément. Ce qui construit le bonheur d’un enfant se passe dans la sphère intime. Il peut être affecté par un événement extérieur, mais si cette sphère est préservée, il grandira dans la sérénité et l’harmonie malgré tout. Mieux vaut cerner ce qu’ils savent des évènements, ce qu’ils en ont compris, pour partir de leurs émotions, leurs questions, et surtout ne pas les devancer ni aller au-delà. Un juste milieu que tout le monde ne parvient pas à trouver, comme en atteste Bernard Chambaz : « Quand le livre est sorti en 2011, il a soulevé un intérêt général. Mais par la suite il s’est mal vendu. J’ai appris plus tard que le titre faisait peur, qu’une institutrice qui voulait le mettre au programme s’est vu refuser cette initiative par les instances ! Il est important de protéger les enfants, pas de les maintenir avec des œillères et de les priver de débats de société. »

 

(1) « Je ne m’appelle pas Ben Laden », de Bernard Chambaz, éd. Rue du Monde, 2011.

(2) « Aimer ses enfants ici et ailleurs : histoires transculturelles », de Marie Rose Moro, éd. Odile Jacob, 2007.

Julien Tarby

Quitter la version mobile