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La fin de Facebook pour les enfants ?

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Un post innocent pour la première dent. Puis un deuxième pour le premier maillot de bain. Et un troisième pour son anniversaire. Des dizaines qui peuvent devenir des milliers. Une pratique anodine qui n’est pourtant pas sans danger. Si bien que l’on peut se demander si être community manager de ses enfants est un rôle possible à tenir ?

Les enfants sont difficiles à suivre. Encore plus dès qu’ils ont l’âge d’utiliser les réseaux sociaux. Leur ruse nous fait souvent redouter une rencontre déniée par omission, dangereuse et malsaine. Car l’ombre de la délinquance virtuelle plane sur chaque foyer. Ce danger des réseaux sociaux commence à être compris par les parents. Cela n’est pas en revanche le cas de l’exposition de sa propre progéniture sur la Toile. Qui ne connaît pas des parents fiers de montrer les premiers pas de leur bambin, sa propension à manger proprement, ses premières réalisations artistiques, ses premières vacances, etc. ? Nombreux sont les jeunes couples aujourd’hui à partager des images de leurs enfants sur les réseaux sociaux, qu’il s’agisse de Facebook, d’Instagram, Snapchat et consorts. Mais nous sommes une minorité à en mesurer toutes les conséquences. Rangez votre égo et faites appel à votre bon sens.

Un mal qui touche tout le monde ?

Le phénomène a déjà son néologisme péjoratif, preuve d’une pratique dans l’air du temps qui manque encore de recul. De nombreux pays à l’étranger ont déjà tiré la sonnette d’alarme et dénoncent le « sharenting », contraction de sharing et de parenting : aux États-Unis, au Royaume Uni voire en Australie, les autorités, les associations de protection de l’enfance dénoncent l’égocentrisme et le narcissisme des parents dans leur volonté de partager la vie quotidienne de leurs enfants comme ils partagent la leur.

En France, le motherhood challenge a d’ailleurs suscité une réaction de la gendarmerie et des actions de prévention. Souvenez-vous. C’était en 2015. Facebook voulait célébrer la maternité en mettant les mamans au défi de partager les moments les plus touchants partagés avec leur chère progéniture et qui leur permettait d’être si fières d’être mamans sans oublier de désigner des amies obligées d’en faire de même. L’ampleur et la viralité du phénomène étaient telles qu’elles ont inquiété la gendarmerie nationale qui s’est empressée de partager un message sur sa page pour mettre en exergue les risques encourus par cette exposition.

La pédopornographie : le pire mais le plus marginal ?

Le risque que tout parent redoute demeure la récupération des images et la diffusion de ces dernières sur des sites pédopornographiques mais pour ce cas de figure, les experts restent prudents. Les cas avérés existent mais restent à la marge. Justine Atlan, présidente de l’association e-enfance et spécialiste de la question de la protection des enfants sur l’espace numérique, complète sans voile : « Le danger est de plusieurs natures. Les parents ne conçoivent pas toujours que ces données peuvent être utilisés sur des sites à caractère pédopornographique selon l’âge des enfants. Il faut appeler un chat un chat et parfois être cru et dire aux parents que certains piratent ces photos et ces dernières sont ensuite un support à certains adultes pour se masturber ».

Le risque le plus fort : la commercialisation de l’image de votre enfant

Peut-être jalousez-vous les parents de Jordy ou ne résistez-vous pas à l’envie d’inscrire votre enfant à un concours de mini-miss… Dans ces deux cas, nous ne pouvons plus rien pour vous. Pour les autres parents, prenez conscience que vos enfants peuvent être utilisées à des fins marketing et publicitaires. C’est le risque le plus insidieux et le plus réel. Sur Facebook, les données que nous transmettons deviennent la propriété de l’entreprise. Libre au réseau social d’en disposer à sa guise… Car finalement, vous autorisez Facebook à être rémunéré par une entreprise pour communiquer votre nom ou vos photos. Notons que les photos postées sont une mine d’or pour les marques. Tiens, vous postez une photo de vous et votre enfant à la plage et vous vous étonnez en surfant sur un autre site que des pubs vous proposent des maillots de bain pour enfants. Bienvenue dans le monde du retargetting qui cible en temps réel vos besoins… Rappelons aussi les progrès faits dernièrement sur la reconnaissance des photos. Aujourd’hui, des algorithmes recensent la nature de vos photos pour mieux connaître votre mode de vie et vos loisirs… Cela laisse songeur. Surtout quand votre connexion 3G ralentit et qu’un carré blanc apparaît avec quelques mots-clés à la place de vos photos…

Autre chose à ne pas sous-estimer sur les réseaux sociaux, l’exposition de vos enfants pour deux motifs. Rappelons que poster quelque chose sur sa page sans l’avoir verrouillée d’un point de vue sécurité revient à crier « son post » sur la place publique. Et ensuite, les paramètres de confidentialité changent souvent. Et peu nombreux sont les parents à être experts en la matière. « Nous pouvons nous protéger en créant des contenus à destination de groupes privés. Tout ceci est paramétrable mais nous ne maîtrisons pas ce que font les autres de nos images. Nous n’en sommes jamais sûrs à 100 % », précise Justine Atlan. Sans même cela, feriez-vous suffisamment confiance pour livrer un dossier qui comporte vos données personnelles, des photos de vos enfants, à un tiers qui vous affirme explicitement faire de l’argent dessus ? Les réseaux sociaux, parce qu’ils participent à une vie que l’on ne peut pas toucher du doigt, réussissent à nous bercer d’illusions, en particulier celle de nous faire croire que nos données sont à l’abri. Certains réseaux sociaux ont décidé cependant de jouer la carte de la transparence. Tels sont les cas de Famicity ou de Private Baby qui expliquent dans leurs CGU que leur service ne s’approprie à aucun moment le droit d’utiliser ou de vendre les contenus des familles. Cela dit qu’en sera-t-il si ces plateformes sont rachetées par un groupe qui souhaite monétiser sur les données ? Rien n’est immuable sur la Toile et surtout pas la protection et les garanties.

Des effets néfastes à long terme

« Dans l’exposition des enfants, il règne une confusion dans la tête des parents. On peut comprendre leur fierté ou le côté défouloir mais leur enfant et sa présence sur les réseaux sociaux n’est pas un prolongement d’eux-mêmes. L’enfant n’est pas un faire-valoir, un objet social valorisant », explique Justine Atlan. Ces pratiques peuvent parfois renvoyer à une forme de solitude que vivent les parents qui élèvent seuls leurs enfants, mais d’autres moyens existent pour se réjouir ou discuter de problèmes. Il existe une différence notoire entre un échange sur forum, qui permet l’anonymat, et l’exposition sur les réseaux sociaux. « Sur les réseaux sociaux, les enfants sont souvent sous identité réelle. On glisse vers une appropriation totale de l’enfant. Mais c’est un adulte en devenir, et à ce titre, il faut se responsabiliser. On participe à sa construction. Aux États-Unis, les enfants sont plus mis en scène comme des mascottes, des objets de communication. En France nous sommes moins dans cette culture parentale, mais le danger existe », complète Justine Atlan. Comme le prouve malheureusement #assholesparents. Ce hashtag que l’on peut traduire comme « idiots de parents » dans une version plus polie est associée à l’ensemble des posts de mères aux États-Unis qui postent des photos ou des vidéos de leurs enfants en train de piquer une crise.

Fais ce que je dis mais pas ce que je fais ?

Surtout, il semble peu aisé de prévoir, quand l’adolescence sera venue, si les enfants assumeront ces images. Si protéger son enfant découle du bon sens, force est de constater que ce bon sens n’est pas toujours présent sur les réseaux sociaux qui en appellent à la Narcisse des parents. Cet usage forcément égocentrique des réseaux sociaux doit aussi inciter les parents à s’interroger sur leurs méthodes éducatives, pense Justine Atlan : « Si on surexpose médiatiquement notre enfant dès son plus jeune âge, ce sera lourd de conséquences. Car comment lui inculquer de bonnes pratiques à l’adolescence si l’on ne réfléchit pas à ce que l’on fait avant ?».

Les ados peuvent s’inscrire dès l’âge de 13 ans sur Facebook. Rien ne nous dit qu’’ils reprocheront cette surexposition ou du moins l’héritage numérique créé sans même y avoir participé. Certains experts prévoient la multiplication des procès quant au droit à l’image des adolescents à l’égard de leurs parents. Et il semble difficile de faire comprendre à son adolescent que la surexposition n’est pas une bonne chose si vous passez votre temps à faire des selfies et à les poster. « Sans compter que les adolescents sont dans la maîtrise de leur réputation en ligne : ce sont de très bons petits communicants. Et le travail entre parents et enfants sur leur exposition commencera à ce moment là, note Justine Atlan. Il faut penser à la cohérence éducative dispensée jusqu’à la majorité. »

Geoffroy Framery

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