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Le cannabis exerce un véritable pouvoir de fascination chez les jeunes : tandis que la première expérience se vit de plus en plus tôt, la plante reste associée à des moments festifs… Alors incontournable, l’appel du hachisch ?
Les chiffres laissent pantois : à dix-sept ans, plus de 40 % des jeunes ont déjà fumé leur premier joint ! Si l’expérience tente de nombreux adolescents, c’est parce qu’elle recouvre de nombreuses significations… Les raisons qui les poussent à faire connaissance avec le cannabis doivent donc être prises au sérieux. Que représente son premier « pétard » ? Quels sont les enjeux associés à cet acte de transgression ? Enquête sur les attraits d’une plante qui fascine.
L’âge de toutes les découvertes
De l’art de s’affranchir des règles
C’est bien connu, l’adolescence est l’âge de la contestation ! Et parmi les règles qu’il s’évertue à transgresser, il y a forcément les vôtres… Selon un rapport publié par l’Inserm en 2001, « l’usage de cannabis peut avoir valeur de détachement par rapport aux adultes. » Symbolisant la remise en cause de l’ordre établi, il constitue un « marqueur de prise d’autonomie. » Morgane, seize ans, estime d’ailleurs que le premier joint va de pair avec un désir d’indépendance et une envie « de faire comme les grands… »
La fureur de vivre
Le rapport de l’Inserm le rappelle : « l’adolescence est un âge de la vie propice aux expérimentations les plus diverses.» En effet, le passage à l’âge adulte nécessite de tester ses limites; la formation de la personnalité ne se fait pas sans expériences ! L’Inpes signale pour sa part que l’expérimentation peut être « motivée par la curiosité ou par la recherche de sensations nouvelles », tout simplement.Des risques sous-estimés L’adolescence est parfois marquée par un sentiment de toute puissance… Karine Grouard, psychologue, rapporte que si les jeunes sont « bien informés » sur les risques du cannabis, ils « pensentqu’ils ne craignent rien. » Pour eux, « on est drogué uniquement lorsqu’on est dépendant. » Le docteur Badin de Montjoye, psychiatre et responsable du service CSAPA de l’hôpital Cochin, souligne quant à elle que les adolescents « s’autorisent plus facilement de prendre des risques. » Enfin, l’enquête ESPAD de 2003 menée auprès des 15- 16 ans scolarisés dans une trentaine de pays européens est éloquente : elle révèle que seuls 23 % des jeunes Français pensent que l’expérimentation du cannabis constitue un grand risque ! Rite initiatique et besoin d’appartenance L’influence des pairs L’Inserm ne laisse planer aucune ambiguïté : l’influence des pairs est essentielle dans l’expérimentation du haschich. C’est en effet lors d’une soirée que Marianne, quatorze ans, s’est vu proposer un « pétard » et que les amis de Morgane fument ce qu’ils appellent des « cigarettes qui font rire. » Le docteur Badin de Montjoye confirme que« le cannabis est consommé dans un contexte de convivialité, dans le cadre d’une recherche identitaire ». Elle parleaussi d’une « pression du groupe ».Comme l’alcoolisation de masse, la prise de cannabis est un phénomène collectif… qui revêt souvent une signification sociale.
Intégrer une communauté
Changer de groupe de référence, c’est adopter de nouvelles normes. Les experts de l’Inserm pointent ici la nécessaire « remise en cause des valeurs transmises par les parents dans la relation qui s’élabore avec les groupes de pairs. » Et l’Inpes d’ajouter que l’expérimentation du cannabis est associée au fait d’intégrer un groupe ou de conforter une appartenance. Il s’agit, en définitive, de « faire avec et comme les autres » !
L’importance du rituel
Sachez-le, la consommation de cannabis implique un véritable rituel ! Karine Grouard évoque un « rite de passage » à l’âge adulte : la première ivresse due au cannabis est l’équivalent de la première « cuite. » Et il faut dire que le cérémonial associé à la plante a de quoi resserrer les liens…Les jeunes, assis en cercle, font circuler un objet qui les unit. Une configuration qui rappelle les rituels chamanistes au cours desquels les individus vivent une expérience de communion…
Promesse d’exaltation et désir de transcendance
Une légende deux fois millénaire
Les propriétés hallucinogènes et médicinales du cannabis étaient déjà rapportées vers 2000 av. J.-C. ! Tandis que la plante a été introduite en Inde pour aider les prêtres à entrer en transe, elle est décrite comme une « drogue merveilleuse qui a la propriété de procurer des hallucinations éblouissantes » dans les Contes des mille et une nuits. Et la réputation du cannabis semble intacte. Le docteur Badin de Montjoye précise en effet que « les premières consommations évoquent le lâcher prise. » C’est dire si la substance est porteuse de promesses pour des ados en quête d’expériences insolites !
S’« éclater » pour s’échapper
Reconnu comme un stupéfiant par la convention de Genève, le cannabis apparaît comme un moyen de « s’éclater», de se « défoncer », ou encore de s’échapper du monde… Morgane constate ce phénomène d’aliénation dans son groupe d’amis. Ce qui la dissuade d’essayer, c’est « l’état dans lequel ils finissent. » Toutefois, la perte de contrôle n’est pas un répulsif pour tous les jeunes… « Les ados sont parfois dans la recherche d’un sentiment d’euphorie », note le docteur Badin de Montjoye. Selon elle, ceux qui visent la défonce n’ont sans doute « pas trouvé d’autres moyens pour lutter contre la pression. »
Ouvrir les volets de la perception
Enfin, la prise de cannabis reste enfin associée à une promesse des sensations décuplées… L’Inpes souligne à cet égard que « les consommateurs recherchent… une modification des perceptions ». Fumer du cannabis permettrait de mieux percevoir une réalité que les conventions empêchent d’appréhender pleinement. Se déchirer, planer : n’est-ce pas en définitive s’affranchir de son corps ? Le poète William Blake exprime cette idée dans la célèbre citation qui inspira Jim Morrison, chanteur des Doors : « Si les portes de la perception étaient nettoyées, chaque chose apparaîtrait à l’homme telle qu’elle est, infinie. » Ainsi, l’ivresse procurée par le cannabis serait une clé vers la transcendance… Les attraits du cannabis sont nombreux et il est de plus en plus facile de s’en procurer… Pour autant, pas question de céder à la panique ! Le docteur Badin de Montjoye souligne la nécessité de prendre en compte les « capacités et des vulnérabilités » de chaque jeune. Son conseil ? « Ni minimiser, ni dramatiser. Le rôle des parents, c’est permettre que la parole circule. » Parents d’ados, à vous de jouer !
Entretien avec Karine Grouard Directrice adjointe du service ADALIS (Addictions Drogues Alcool Info Service)
Qu’est-ce qui explique le succès du cannabis chez les jeunes ?
Fumer du cannabis, c’est transgresser un interdit. Des phénomènes d’imitation sont également en jeu tandis que le produit est aujourd’hui banalisé. Certains jeunes recherchent les « effets » de la marijuana. Enfin, le produit est facilement accessible grâce à un réseau de diffusion de proximité (grands frères, amis).
Ne pas fumer, est-ce se marginaliser ?
Il est plus difficile d’affirmer sa différence que d’accepter le joint : celui qui ne participe pas peut être perçu comme quelqu’un qui ne sait pas se détendre…
Quelle image les ados ont-ils du cannabis ?
Les premières consommations sont synonymes d’éclate. Lorsque les prises deviennent régulières, le joint est associé à la lutte contre l’ennui et à la relaxation. Souvent, les ados ne réalisent leur dépendance qu’à partir du moment où ils s’isolent…
Pourquoi le cannabis ne leur fait pas peur ?
En plus de promettre des sensations fortes, le cannabis jouit d’une image plutôt sympathique… qui ferait presque oublier ses dangers ! De nombreux créateurs rivalisent d’humour pour proposer des articles à l’effigie de la weed, tandis que le monde de l’art n’est pas étranger à l’image bon enfant de la substance. La chanson Cannabis du groupe Ska-P est sur toutes les lèvres d’ados. Le sympathique Afroman qui chante Cause I got high (Parce que je planais) semble quant à lui sous l’emprise d’un produit tout à fait inoffensif…