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A 46 ans, Jean-Luc Delarue entame la seconde mi-temps de sa vie. Une vie sans alcool, sans drogue et sans médicaments. La vie, la vraie. A la demande des chefs d’établissement scolaires, le voilà sillonant les routes de France à la rencontre des jeunes et de leurs parents. Objectif: leur permettre d’éviter le pire. Une manière de se racheter ? Peut-être, mais pas seulement… Rencontre vérité avec ce nouveau VRP anti-addiction.

 

Comment la drogue est-elle entrée dans votre vie ?

J’étais un petit garçon très timide. Je me souviens que chez moi, il y avait beaucoup de bruit, beaucoup d’engueulades entre mes parents… et puis je ne sais pas ce qui s’est passé, mais l’alcool est entré dans ma vie.

 

Quel rapport entre l’alcool et la drogue ?

Je considère que quand il est consommé excessivement, l’alcool doit être traité comme une drogue. À partir de vingt ans, j’ai réalisé que l’alcoolisme était mon état préféré. En fait, il était peu à peu devenu mon état normal. Les problèmes de dépendance aux substances sont souvent les arbres qui cachent la forêt. On ne peut pas en guérir si l’on ne guérit pas de souffrances plus profondes…

 

Quelles étaient ces souffrances vous concernant ?

J’ai un frère de deux ans plus jeune qui a toujours été très bon élève, contrairement à moi. Dès la 6e, il a fréquenté les grands lycées parisiens : Louis le Grand, Henri IV… Moi, j’ai été dans un collège de banlieue jusqu’en 3e, puis dans ce que ma mère qualifiait de « lycée poubelle ». Dans la famille, la grosse blague consistait à dire que mon frère et moi serions tous deux fonctionnaires : lui Président de la République… et moi facteur. Tout cela a été très déséquilibrant.

 

Quels soutiens avez-vous trouvés dans cette enfance difficile ?

J’avais une grand-mère qui disait m’aimer de manière inconditionnelle. Quand j’étais petit, elle regardait toujours mes bras pour voir si je me piquais. Ce geste me plaisait beaucoup, car il signifiait qu’elle faisait attention à moi. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, je retombe sur mes pattes ! Il est très différent d’être aimé inconditionnellement ou d’être aimé en fonction de ce qu’on réussira ou pas plus tard. Une seule personne suffit pour s’en sortir affectivement.

 

En quoi l’entourage affectif est-il si important face à la drogue ?

Cet amour inconditionnel crée un univers affectif tel, que les jeunes n’iront probablement pas chercher un état différent au contact de la drogue ou de l’alcool. S’ils n’ont pas à fuir leur vie, ils ne s’installeront pas dans la consommation de ces produits.

 

Vous-même, que cherchiez-vous à fuir ?

Je n’étais pas heureux dans ma vie d’ado. Je cherchais à fuir ma vie. J’étais extrêmement inquiet quand je me projetais dans l’avenir. La barre était tellement haute, que rien qu’à la regarder j’avais le vertige ! J’ai vécu toute mon adolescence comme un figurant, comme un boxeur sonné… Je ne comprenais rien à ce qui se passait. Ce n’est que plus tard que j’ai découvert la vie concrète, mais le mal était fait. L’alcool était entré dans ma tête et c’est lui qui m’a conduit à la cocaïne.

 

Vous n’êtes pas passé par la phase cannabis ?

Très peu. Le cannabis n’est pas vraiment un produit de référence pour moi. J’ai pourtant appris qu’il fallait vraiment y faire attention. Ce que l’on prend aujourd’hui n’a plus rien à voir avec ce que l’on fumait à l’époque de Bob Marley. Le taux de THC, soit le principe actif de cette plante, a augmenté.

 

Comment avez-vous vécu ces années de travail intense ?

J’ai voulu prouver au monde entier, en commençant par ma famille, que je réussirais dans la vie, alors j’ai travaillé comme un fou. J’ai monté mon entreprise, conçu plein d’émissions, produit beaucoup d’animateurs… Je suis entré dans une boulimie d’activité. Je me suis beaucoup angoissé pour ça. Parfois, j’étais en burn-out. Parfois, j’ai perdu le contrôle… et me suis souvent réfugié dans l’alcool.Comment en êtes-vous arrivé à la cocaïne ?Il y a deux ans, j’ai voulu écrire un livre qui racontait mon histoire. L’enfant blessé qui sommeillait en moi s’est alors réveillé… ces histoires ne se referment jamais. En voulant en sortir, je les ai mises à vif et ça a explosé ! Je me suis alors souvenu que la cocaïne aidait à dépasser l’alcool. On m’en avait proposé à vingt ans, quand je faisais mes études de pub. C’est alors que j’ai sombré dans la consommation…

 

Qu’est-ce qui a provoqué le déclic ?

J’ai été arrêté par la police et toute la France l’a su. Ça n’a pas été facile. En même temps, on dit souvent qu’il faut un choc pour arrêter et pour moi, ce choc a été salutaire… j’étais arrivé au bout du système. Après, c’était le cimetière !

 

Vous avez tenté plusieurs fois de stopper. Pourquoi n’y êtes-vous pas parvenu ?

J’ai beaucoup de volonté. Grâce à elle, j’ai tout arrêté plusieurs fois. Je me suis mis à courir, je suis devenu marathonien, j’ai fait plein de choses… Cette volonté me faisait tenir quelques mois, mais ma récompense passait toujours par un petit verre de vin. Je programmais ma « reconso », en quelque sorte. Je ne tenais que parce que je me fixais un délai après lequel je m’autoriserais à boire à nouveau. Et hop ! Un verre en appelle un autre… je ne sais pas m’arrêter ! On peut avoir une forte motivation, mais quand la maladie a fait son travail, on ne contrôle plus rien. Arrêter n’est alors plus de l’ordre de la raison, ni de la volonté. La dépendance n’est même plus de l’ordre du vice. Ceux qui peuvent boire deux verres et s’arrêter ne comprennent pas ce qu’est la dépendance !

 

Qu’est-ce qui vous a manqué pour tenir bon dans votre décision ?

Je ne savais pas que pour s’en sortir, il fallait « tout » arrêter. Stopper tous les produits qui altèrent le comportement. On ne peut pas lutter contre le produit ! À partir de ce moment, il faut voir la vie autrement : admettre que l’on a des problèmes d’adaptation en société, de caractère, d’ambition mal placée etc. Il faut alors décider de réguler tout cela et réorganiser sa vie. Le défi est possible, quel que soit l’âge !

 

Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous rend plus fort dans votre combat ?

J’ai décidé que je ne boirais plus… et je suis clean depuis plus de six mois. Ce qui me rend plus fort, c’est le fait que j’ai complètement capitulé.

 

En quoi consiste cette capitulation, concrètement ?

Capituler, c’est provoquer une petite mort… c’est perdre une guerre. Cela revient à dire : ce produit est plus fort que moi, il va falloir prendre le problème autrement. C’est accepter l’idée que l’on ne parviendra pas à se battre contre lui.

 

Vous avez même arrêté les médicaments ?

En dix ou quinze ans, je n’avais jamais arrêté les médicaments. Depuis six mois je ne prends plus d’antidépresseurs… et je ne suis plus dépressif ! Incroyable, non ?

 

De quoi a-t-on le plus besoin lorsqu’on est en période de convalescence ?

Du STA. Vous connaissez ? Sois Tendre et Affectueux ! On a besoin de compréhension et d’encouragements. Depuis mes problèmes avec la police, je n’ai jamais eu un mot méchant ! Seulement des mots gentils et des encouragements. Cela me touche beaucoup.

 

Quelle est votre légitimité lorsque vous vous adressez aux jeunes ?

Si j’avais un cancer, j’irais autant consulter des malades qui ont le même cancer que des cancérologues. J’aurais alors deux approches différentes : l’expertise et l’expérience. Ce que j’apporte, c’est mon expérience. Je connais la cocaïne, je connais l’alcool, je connais les médicaments… L’expérience ne suffit pas, mais elle ne peut pas faire de mal !

 

Comment jugez-vous le comportement des médias sur ce sujet ?

Parfois, j’entends des animateurs radio ou télé relativiser la gravité du sujet. Personnellement, je n’ai jamais fait l’apologie de l’alcool ou de la drogue. Jamais. Ni en privé, ni en public. Cela a été un problème solitaire grave.

 

Comment préparez-vous vos interventions avec les jeunes que vous rencontrez dans les établissements scolaires ?

Je parle avec les proviseurs, les infirmières et mon équipe qui organise le tour. Je prends conscience des problèmes qu’ils ont rencontrés. Je réalise d’ailleurs que ceux-ci sont à peu près les mêmes partout…

 

N’y a-t-il pas de différence entre collège et lycée ?

La première alcoolisation commence parfois très jeune. Dans les cas extrêmes, dès la 6e. Je m’aperçois que dans tous les établissements il y a eu des problèmes de cannabis et de comas éthyliques et que la cocaïne est de plus en plus présente. Elle est dans toutes les villes, dans toutes les régions et de moins en moins chère. Les cartels ont décidé de s’attaquer à l’Europe et ils ont une attaque discount…

 

Quelles solutions ont les parents pour que leur enfant ne touche jamais à la drogue ?

Plus les parents réalisent la toxicité du cannabis, plus ils peuvent en parler en connaissance de cause et plus ils se donnent les moyens de régler le problème. Beaucoup de jeunes que je rencontre ont l’impression que leurs parents ne comprennent rien au problème, parce qu’ils le connaissent mal. Être informé ne signifie pas que l’on passera à côté de tous les problèmes, mais on est moins vulnérable. Ce qu’il faut, c’est être le moins vulnérable possible…

 

La parole peut-elle vraiment suffire à régler une déviance aussi grave ?

Je crois vraiment qu’elle peut résoudre le problème. C’est pour ma part ce qui m’a permis de m’en sortir ! Mais la parole, c’est avant tout ce qui peut empêcher les enfants de commencer…

 

Que dites-vous aux parents pour favoriser ce dialogue au sein de la famille ?

Ne laissez pas les Mac do et les ordinateurs bouffer la cellule familiale ! Tenez vous vraiment aux repas du soir ! Demandez ce qui s’est passé dans la journée, parlez des problèmes… Faites en sorte que ce temps du dîner ne soit pas le lieu d’un simple monologue, comme c’était le cas dans ma famille. Chez moi nous n’avions pas le choix : pour en placer une, il fallait parler extrêmement vite.

 

La parole : est-ce une chose que vous avez vous-même découvert tard ?

Je ne savais pas que j’avais le droit de demander de l’aide. À la télé ou en dehors, j’étais justement la personne à qui tout le monde racontait ses problèmes ! Résultat, je ne me suis pas du tout occupé de moi.

 

Comment savoir si son enfant boit ?

Si votre enfant boit un petit peu plus que les autres lors des fêtes, si la fête du samedi a tendance à s’avancer à la fête du vendredi… puis parfois à la fête du jeudi etc. S’il a tendance à y penser tout le temps, c’est qu’il y a un terrain de dépendance. Ce fut mon cas quand j’étais jeune. Ensuite, la dépendance est un grand mystère. Un médecin me disait un jour que c’était la rencontre entre une personne, un produit, un environnement et une circonstance. Il faut savoir supprimer le vin de temps en temps à la maison. Pour ne pas dire : « faites ce que je dis, mais pas ce que je fais ! » On ne peut pas montrer un exemple et faire passer un message contraire !

 

Certains milieux sont-ils plus concernés que d’autres ?

Les problèmes sont partout : dans toutes les villes de France et dans tous les établissements. Il ne faut pas caricaturer les choses. Les parents et les jeunes doivent comprendre que le dealer n’est pas un type tout droit sorti des séries américaines qui arrive en 4×4 avec son attaché-case. Le dealer, c’est le meilleur copain, la meilleure copine, le cousin, la cousine… quelqu’un que les jeunes connaissent très bien. Le problème du dealer, c’est qu’il est un peu court en termes d’information ! Il n’explique pas à son client les effets secondaires des produits. Il faut donc les connaître…

 

Quelles sont les questions récurrentes des jeunes lors de vos rencontres ?

À partir des classes de 4e-3e, ils me demandent souvent à quoi on reconnaît que l’on est dépendant.

 

Que leur répondez-vous ?

Au fait que l’on y pense souvent, voire tout le temps. Je leur conseille alors de ne pas hésiter à demander de l’aide s’ils sentent qu’il y a un problème.

 

A qui peuvent-ils s’adresser ?

A l’infirmière scolaire, à leur meilleur ami, à leurs parents, à leurs grands-parents, à leurs grands frères, grandes soeurs… Demander de l’aide est déjà un très bon moyen de s’en sortir. C’est accepter l’idée qu’on a besoin des autres et ne pas s’enfermer dans un orgueil mal placé. Dans ce domaine, l’orgueil est toujours mal placé…

 

Que répondre aux ados qui mettent en avant la « vertu sociale » de la consommation ?

On pourrait penser que la drogue a une fonction sociale, qu’elle ouvre aux autres. Au début en effet, on commence toujours en groupe. On tente l’expérience par défi, par curiosité, par opposition avec les parents, par conformisme et pour beaucoup d’autres raisons. On démarre toujours en groupe et pourtant, les toxicomanes et les alcooliques finissent toujours tout seuls avec leur conso. Cela devient une histoire d’amour passionnelle, toxique et mortelle… Une maladie incurable, mais que l’on peut stopper dans sa progression lorsqu’on décide de capituler et de la traiter.

 

Comment réagir lorsque le jeune concerné par l’alcool ou la drogue, c’est un copain ?

Dans une classe, les jeunes savent très bien qui a un problème de conso… quand on parle de ce sujet avec eux, les têtes se retournent immédiatement vers la même personne. Il faut aller vers elle sans la juger et lui parler. Lui dire qu’on sera toujours là pour elle. Je dis aux jeunes qu’ils doivent proposer leur aide, proposer plusieurs fois, insister… Cela ne veut pas dire que la personne capitulera, mais un jour ou l’autre, elle s’en souviendra et viendra vers celui ou celle qui un jour a proposé son aide.

 

Et aux parents, que leur dites-vous ?

Je leur dis de donner à leurs enfants tout ce que je n’ai pas reçu. Je leur conseille d’être à l’écoute de leurs enfants. Vous savez, certains laissent traîner exprès un morceau de haschich dans leur jean ou un journal intime pour que leurs parents réalisent ce qui leur arrive. Ils ne savent pas comment leur parler. Dans ce cas, il ne faut pas faire semblant de ne pas voir. Il n’y a pas de toxicomane heureux, les parents doivent le savoir !

 

Quand votre enfant sera grand, comment lui parlerez-vous de cette période de votre vie ?

Je lui dirai la vérité, telle que je vous la dis. Je m’y prendrai assez tôt. Quand il sera grand, tout cela sera déjà loin derrière. Je devrai alors faire attention à ce que les autres lui diront. Et puis… je resterai toujours disponible pour lui.

 

Aujourd’hui, lorsque vous regardez en arrière, comment voyez-vous votre vie ?

J’ai fait une grande confusion entre réussir sa vie et réussir dans la vie. Je pensais que réussir dans la vie était le plus important. Dans ma famille, c’était effectivement la seule chose qui comptait… mais en agissant ainsi, j’ai raté les grands équilibres. Aujourd’hui, je rentre dans la deuxième mi-temps de ma vie et il n’est pas question de ne pas faire en sorte que cela aille mieux !

 

Quels sont vos projets pour réussir cette deuxième mi-temps ?

Je me donne beaucoup plus de temps. J’écoute d’avantage mes intuitions. Globalement, je suis moins exigeant envers moi-même et sans doute aussi envers les autres. J’essaie de bien travailler mes défauts de caractère. Un exemple : combattre les a priori que l’on peut avoir sur les gens ! Ensuite, je cesse de vouloir vivre toutes les vies, parce que le risque, c’est de n’en vivre aucune. Avant, j’avais une vie pendant la journée, une vie le soir faite de dîners et de rencontres… et puis une vie la nuit, durant laquelle j’écrivais. C’était trop. Aujourd’hui, je profite du temps. J’essaie de me recaler avec mes vraies aspirations de jeunesse… et d’apaiser mes ambitions.

 

Qu’avez-vous retrouvé en laissant tout cela ?

J’ai retrouvé mes larmes.

 

Biographie Express
24 juin 1964 : naissance à Paris
1986 : première télévision
1989 : arrivée chez Canal+
1994 : arrivée à France 2. Création de Réservoir Prod et de l’émission Ca se discute.
2003 : premier producteur indépendant de flux français avec 14h de programme hebdomadaire
Octobre 2006 : naissance de son fils Jean
14 septembre 2010 : interpellation pour trafic de stupéfiants. Suspendu d’antenne par France 2.
Septembre-octobre 2010 : Cure de désintoxication en Suisse.
22 février 2011 : Création de la Fondation Réservoir dont la vocation consiste à soutenir les personnes en situation de souffrance psychologique et sociale.
24 février 2011 : démarrage du Tour de France contre la drogue.

 

Propos recueillis par Marie BERNARD

Photo de Marianne ROSENSTHIEL et Arnaud GACHY

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