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Les grands-mères et pères prennent davantage part à l’éducation des enfants, tout en conservant le beau rôle. Et chacun doit trouver sa place dans cette nouvelle configuration familiale, qui peut générer quelques tensions à vite apaiser.
Pas de limite pour la télé et les bonbons chez mamie ?
Celui qui se promène dans un parc durant les vacances scolaires peut se rendre compte du phénomène : les grands-parents, plus dynamiques, jeunes, disponibles et aisés financièrement qu’auparavant, sont beaucoup plus mis à contribution pour s’occuper des petits-enfants. « Pour mes cinq petits-fils et filles de 5 à 24 ans, j’ai toujours été très présente, y compris dans le ski, le vélo et les activités scolaires », illustre Eliette Joubert, vice-présidente de l’école des grands-parents européens (EGPE), qui organise aussi des ateliers de langage dans les écoles maternelles pour prévenir la violence dès le plus jeune âge. Selon plusieurs études, 80% des grands-parents ayant des petits-enfants de moins de 6 ans assurent leur garde occasionnelle. Ce qui forcément change leur rôle au sein de la famille, notamment en matière d’éducation. « Ils deviennent incontournables, font le liant, surtout en ces temps de familles recomposées. Dans l’ensemble ils investissent dans les petits-enfants des sentiments, du temps et de l’argent », résume Michelle Gossieaux, en charge de la communication et du développement à l’EGPE qui milite pour une meilleure reconnaissance auprès des pouvoirs publics. L’association lance par exemple en 2017 les Etats généraux des grands-parents, œuvrant pour que les seniors actifs puissent demander une journée grand-parentale de garde par exemple. Et ce promeneur, s’il assiste aux retrouvailles avec les parents, pourra peut-être entendre que « chez mamie, la télé ou les bonbons, c’est no limit ! Ou que papi lui au moins, il donne de l’argent de poche ». Enfants comme ados aiment à s’immiscer dans les failles de l’éducation qui leur est proposée, rappelant à tout le monde que les rôles doivent bien être définis. « Nous existons depuis 20 ans, notre mission est la protection des grands-parents, les conférences et groupes de parole, mais aussi maintenant la médiation avec les parents », explique Michelle Gossieaux, qui observe une prise de responsabilités croissante.
Encore et toujours le beau rôle
« J’ai toujours été un peu jalouse de ma mère, qui n’a pas vraiment besoin de faire preuve d’autorité avec mes trois enfants de 5 à 13 ans et qui reçoit beaucoup d’affection, tout ça parce qu’elle n’a pas le rôle d’éducatrice », avoue Caroline Pitot, 34 ans, directrice d’agence bancaire à Marseille. Un sentiment d’injustice qui est selon nombre de spécialistes un bon signe, synonyme d’une bonne répartition des rôles. Cela signifie que les parents n’ont pas abdiqué dans la partie la plus ardue, l’éducation, qui induit des phases où il faut dire non, répéter, menacer, sanctionner. Bien sûr, ils pourront (et devront) alterner ces phases pénibles avec d’agréables moments passés en compagnie de leur progéniture, mais il est vrai que mamie et papi ont la possibilité de directement passer aux phases récréatives. « Les enfants ne manqueront pas de comparer et de faire des reproches à leurs parents, mais ceux-ci pourront se dire que c’est pour la bonne cause et qu’ils le comprendront plus tard », affirme Sophie de Santi, pédopsychiatre à Nantes. Les jeunes esprits font en effet très vite la nuance, « ayant rapidement conscience qu’ils peuvent faire des choses avec nous, qu’ils ne peuvent pas avec les parents », concède Eliette Joubert. La situation peut même empirer un peu plus tard, quand les ados prouvent à leurs parents qu’ils ne sont pas si invivables puisque tout se passe bien avec les seniors ; en effet ces derniers, non confrontés à la rébellion permanente, sont rarement incommodés.
Une compétition à désamorcer pour les grands-parents
Des parents sont intarissables sur l’ingérence de la grand-mère – surtout s’il s’agit d’une belle-mère –, et parfois à juste titre. « Ma mère gardant très souvent mes enfants, elle se permet de souligner notre trop grand nombre de sorties, ou, a contrario, ma relation trop fusionnelle avec ma fille aînée », se lamente Marjorie Dehayes, cadre sage-femme en région parisienne, mère de deux enfants. Mieux vaut pour les grands-parents être les témoins heureux, qui félicitent les parents, tout en restant en retrait. « Les parents ne veulent pas qu’ils se mêlent de l’éducation des enfants. Ils auront sûrement un rôle à jouer dans les devoirs, les bonnes manières, mais pas plus », déclare Michelle Gossieaux. Un avis partagé par Eliette Joubert : « Je ne me suis jamais donné le droit d’intervenir dans leur éducation. En revanche, je reste exigeante sur la tenue et les postures à table, ce qu’ils prennent sous forme de jeu. Je leur montre combien c’est important ». Nombre de grands-parents savent rester en retrait, être conciliants et renoncer à l’éducation dure. Ils se contentent de montrer par l’humour et la conviction ce qu’ils jugent être primordial, mais se plient aux consignes des parents, qui cherchent bien souvent à garder la main. « Attention cependant à l’excès de comptes-rendus et de photos par smartphone, des limites doivent être imposées des deux côtés », avoue Cyprien Ztrikler, commercial à Mulhouse et père d’un enfant souvent gardé par ses parents.
Une position à affirmer pour les parents
Les parents mécontents ont tout intérêt à d’emblée faire entendre à leurs enfants que certaines règles valent partout, quand d’autres varient selon que l’on se trouve chez les uns ou les autres. Ils doivent aussi clarifier le partage des rôles avec les grands-parents, avant qu’une rivalité ne s’installe. Une attitude plus facile à conseiller qu’à réaliser, dans le sens où ils sont la plupart du temps demandeurs de la garde. L’histoire familiale est bien souvent déterminante. Les petits-enfants font office de révélateurs : ils sont fédérateurs si les rapports antérieurs étaient bons ; sinon, ils risquent d’aggraver les divisions… L’éducation doit rester l’apanage des parents, mais ils restent filles ou fils de, s’inspirant tour à tour de l’exemple de leurs propres parents, ou s’en distinguant. Ils vont puiser dans leur héritage culturel d’enfant, mais doivent en même temps inventer autre chose…
Transmission
La richesse des anciens
Les spécialistes de l’enfance sont unanimes : la multiplication des figures d’autorité est bénéfique pour la formation psychique des plus jeunes. Des enfants confrontés à plusieurs types de fonctionnement seront mieux armés pour la vie et plus ouverts aux autres. Passer du temps avec leurs grands-parents les aide donc à construire leur personnalité, l’apport étant différent et complémentaire. « Nous sommes plus dans la passation de valeurs, d’histoires et traditions familiales. Nous nouons des complicités et faisons passer des messages. L’éducation en tant que telle reste le terrain des parents », rappelle Michelle Gossieaux, en charge de la communication et du développement au sein de l’école des grands-parents européens (EGPE). La position du senior est privilégiée dans la famille, il est écouté par les petits-enfants sur certains sujets parce qu’il a du crédit du fait de sa grande expérience de la vie. Les grands-parents transmettent des savoirs qui ne sont pas appris à l’école, notamment l’attachement à la famille. « Les jeunes sont curieux, veulent que nous témoignions de ce que nous avons vécu et de ce que nous faisons aujourd’hui », ajoute Eliette Joubert, grand-mère de cinq petits-enfants.
Les chiffres à retenir
13 millions : c’est le nombre de grands-parents en France.
4 : le nombre moyen de petits-enfants par grand-parent.
Sources : Insee (2001), DRS (2006) et EGPE (2007)
Et demain ?
Plus de communication et d’éducation
Les papis-mamies gâteau n’ont plus la cote. En matière d’éducation, la psychologue italo-suisse Vittoria Cesari Lusso assure que les aînés doivent assumer une part de responsabilités ¹. La spécialiste explique les raisons pour lesquelles les adultes doivent avancer groupés, éviter les jalousies et sur-sollicitations, et privilégier la confiance. Dotée d’un franc-parler, elle souligne le besoin permanent de communication entre les membres de la famille. Ainsi conseille-t-elle à ce grand-père d’avouer sa préférence pour un des petits-enfants. Il arrive qu’un senior tisse un lien privilégié avec l’un d’entre eux. Parfois les autres petits-enfants en prennent ombrage, mais, surtout, ce sont les oncles et tantes, parents eux aussi, qui nourrissent une rancœur. Et se taire n’arrange rien. Mieux vaut assumer son petit faible avec humour et légèreté, tout en veillant à accorder le même temps de garde à tous les petits-enfants, afin d’éviter les vraies jalousies. L’auteure décèle de nouveaux sentiments chez les aînés, comme ce besoin de reconnaissance qui les empêche parfois de décliner des gardes trop fréquentes. Elle conseille, pour le bien-être de l’enfant et des grands-parents, de trouver un équilibre. En revanche, elle enjoint les seniors à s’investir dans l’éducation, même si les gardes ne sont pas très fréquentes. Il ne faut jamais abdiquer de ce côté, même dans des périodes courtes, quand on est un « référent régulier ».
¹ « Parents et grands-parents : rivaux ou alliés? », Dr Vittoria Cesari Lusso, éd. Favre, Lausanne, 2016.
lJuien Tarby