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Si la jalousie entre frères et sœurs est naturelle voire plébiscitée pour la construction des individus, les parents ont la possibilité de comprendre voire d’amenuiser ce sentiment.
«T’as été adoptée et personne ne veut te le dire… », « t’es le chouchou », « on m’a forcé à t’aimer »… La fratrie peut devenir un haut lieu de rivalité. Comparaisons, moqueries et chamailleries entre frères et sœurs viennent émailler le quotidien, particulièrement lorsque les enfants sont en bas âge. Les parents peuvent toujours menacer, punir ou même parfois prendre parti, leurs efforts restent bien souvent vains et ils se résignent. Une grave erreur selon Adele Faber et Elaine Mazlish qui, après avoir enseigné pendant des années la communication familiale, ont tiré de leurs rencontres avec les parents des techniques permettant de générer la coopération à la place de la compétition (1). Privilégier l’équité à l’égalité, faire retomber la colère, encourager les enfants à exprimer sans violence leurs sentiments négatifs, à trouver d’eux-mêmes les solutions à leurs conflits… sont au programme. Pères et mères, s’ils doivent garder à l’esprit que ces mini-tempêtes sont structurantes, ont la capacité de transformer le climat électrique façon Abel et Caïn qui caractérise le foyer.
Un sentiment normal et constructif au départ
Bonne nouvelle, cette jalousie ne donne généralement pas lieu à dramatiser. « Les enfants comparent ce que les parents leur donnent. Le sentiment est «normal», il fait partie de la vie et est bien souvent primordial pour trouver sa place dans la fratrie », soutient Roseline Lévy Basse, psychanalyste et thérapeute familiale à Paris. Les conflits y sont nécessaires pour l’appréhension des relations sociales et la construction de la personnalité. Mais avoir des frères et sœurs nuit à l’unité que tout jeune individu entretient avec sa mère et son père.
« J’ai eu un choc quand elle est arrivée. Mon père me l’a collée contre moi. Je l’ai immédiatement détestée », se remémore Virginie à Fontainebleau, âgée de 38 ans aujourd’hui alors que sa sœur en a 35. L’aîné(e), généralement idéalisé(e), pense perdre son lien si particulier avec ses géniteurs à l’arrivée du petit nouveau. Finie l’exclusivité ! Il peut alors devenir triste, capricieux ou carrément être l’auteur de gestes agressifs envers autrui. Parfois, cette hostilité le pousse à régresser pour chercher de l’attention. Mais tous ces désagréments, plutôt pénibles et énergivores pour les parents, trouvent leur solution avec le temps. Celui qui se sent lésé est en fait en train de forger son identité et une écoute attentive de ses proches l’aidera à passer ce cap.
Un niveau d’exaspération qui doit inquiéter
Seulement parfois, la rivalité peut s’exacerber et devenir invivable. « Les cas extrêmes – de détestation entre les frères et sœurs à l’adolescence – peuvent survenir. Il s’agit parfois de la jalousie de l’aîné vis-à-vis de ses cadets ; parfois elle émane de ces derniers, qui arrivent sur un territoire où vivait déjà un enfant », constate Sabine Achard, psychologue spécialiste des familles à Manduel dans le Gard. Quand les sentiments d’injustice deviennent trop prégnants et débouchent sur de l’énervement constant, des revendications multiples et des violences répétées, les parents doivent intervenir. « S’ils ne prennent pas la mesure du problème dans la boucle de l’échange au niveau familial et n’interviennent pas, des comportements d’addiction ou de délinquance peuvent survenir plus tard chez celui (celle) qui se sent lésé(e) », avertit Roseline Lévy Basse. Et une investigation plus poussée peut mettre à jour des failles dans le comportement des parents qui peuvent afficher des préférences pour l’enfant «idéal», le meilleur à l’école ou encore le plus fragile. « Mon père et ma mère s’inquiétaient sans cesse pour Léa, ma sœur cadette qui semblait avoir plus besoin d’amour et de protection », se souvient amèrement Yann Levesque à Montreuil, aujourd’hui âgé de 28 ans.
Des préférences trop marquées – particulièrement lorsque les enfants ont de deux à quatre ans d’écart – peuvent générer un sentiment d’infériorité, un manque de confiance chez l’enfant envieux, qui se prolongera à l’âge adulte. D’autres parents attisent les conflits fraternels parce qu’ils ont vécu une situation similaire. En outre, « mes études m’indiquent que bien souvent le jaloux ne croit en fait pas que l’autre possède ou reçoit plus – il a plutôt l’impression qu’il donne plus à ses parents et que ses efforts ne sont pas remarqués. Il a l’impression de plus aider dans la vie quotidienne ou de se faire du souci pour son père et sa mère, sans que cela soit reconnu », précise Roseline Lévy Basse. En tout cas ceux qui se sentent victimes de ces comportements subissent parfois un véritable traumatisme et conservent une rancœur d’enfant durant leur vie entière. L’inconscient ignore le temps…
Mieux vaut être équitable qu’égal, particulièrement s’il existe une différence d’âge entre les enfants.
La solution de l’individualisation
Le premier réflexe doit évidemment consister à éradiquer la violence physique entre les frères et sœurs en leur faisant bien comprendre que ce genre de pratique ne peut avoir lieu eu sein de la famille, avec en menace une punition. Les différends doivent petit à petit se résoudre avec des mots, sans l’intervention constante du père ou de la mère qui doivent éviter de prendre la casquette éternelle de l’arbitre. Plus facile à dire qu’à faire. Mais il suffit parfois de les inciter à expliquer leur point de vue sur ce qui vient de se produire ; puis de leur demander comment ils pensent pouvoir résoudre le conflit… Le deuxième réflexe des parents doit, selon Roseline Lévy Basse, consister à dresser la liste de ce que l’enfant fait toute la journée pour eux et la famille. « Lorsque ses efforts – parfois invisibles – sont reconnus, un dialogue peut s’ouvrir », ajoute la spécialiste. Troisièmement, partir à la chasse aux biais d’éducation… Par exemple, tout répartir de façon égale n’est pas toujours possible et surtout peut conduire à des aberrations. Il importe parfois d’expliquer aux enfants que ce sera parfois le tour du premier d’obtenir quelque chose et, d’autres fois, le tour du second. Mieux vaut être équitable qu’égal, particulièrement s’il existe une différence d’âge entre les enfants. « Introduire des différences peut s’avérer nécessaire. Je demande souvent que le coucher diffère un peu lorsque les frères ont deux-trois ans d’écart, afin de bien déterminer la place de l’aîné », illustre Sabine Achard. Accoler des étiquettes reste la plus grande erreur. « Dans l’esprit de nos parents, j’étais le plus costaud, celui qui faisait du rugby et ma sœur Léa était la plus timide et la plus intelligente. Et jamais il ne nous serait venu à l’idée de dépasser les périmètres qu’ils nous avaient définis, de sortir de nos zones respectives de confort », se remémore Yann Levesque. Chaque enfant se retrouve coincé dans un rôle attribué, ressentant la pression, le non-droit à l’échec qui serait synonyme de déception pour la famille.
Pour autant frères et sœurs ne sont pas un tout général. à la question « qui aimez-vous le plus ? », mieux vaut répondre « chacun de vous est spécial pour nous » plutôt que « nous vous aimons tous autant ». L’individualisation est essentielle. Sans surprise, les parents les plus inspirés sont ceux qui facilitent la communication avec chacun de leurs enfants. « Les réunions de famille autour d’une table sont essentielles, pour que chacun évoque son ressenti et que les frères et sœurs entendent celui qui se plaint », insiste Sabine Achard, également adepte des moments passés en tête-à-tête avec l’enfant jaloux. Couper la fratrie peut aussi être crucial. « Un temps de jeu et de discussion vaut mieux que tous les avertissements, conseils ou menaces. C’est également un moment qui lui permettra de verbaliser son agressivité », ajoute l’experte.
Une chance malgré tout
Les conflits entre frères et sœurs sont désagréables et souvent inévitables, mais la manière avec laquelle ils sont résolus dans le temps constitue un apprentissage de vie. Pour les parents, il ne sert à rien de chercher à ce que leurs enfants s’aiment coûte que coûte ou soient « amis » ; mieux vaut organiser le cadre qui va les encourager à reconnaître leurs différences et à les surmonter. Et la plupart du temps, l’amour fraternel s’invite dans le foyer…
Julien Tarby
(1) Jalousies et rivalités entre frères et sœurs, d’Adèle Faber et Elaine Mazlish, éd. Stock, 2003.