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Les époux « contribuent aux charges du mariage à proportion de leurs facultés contributives ». Certains avec leur temps et leur patience, voire leur abnégation, en restant au foyer. D’autres avec leur emploi et les ressources financières qu’il procure. La Cour de cassation est venue tout récemment rappeler au justiciable que cette participation de chacun, différente certes, mais correspondant à un besoin, un désir, un engagement au moins pendant un temps, ne pouvait justifier que l’on revienne rétroactivement dessus pour légitimer une créance d’un époux sur son conjoint resté au foyer.

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«Verba manent, scripta volant… » Ce proverbe antique, tiré du discours prononcé par Caius Titus au Sénat suggère à la fois la prudence que doit entourer tout engagement formulé par écrit, par opposition à la légèreté de l’engagement oral qui, finalement n’engageraient que ceux qui y croient… « Paroles, paroles… » Il est toujours surprenant de voir après quelques années de mariage, voire des décennies, les conséquences financières dramatiques que peut avoir un divorce pour le conjoint resté au foyer. Rester au foyer est un choix, un choix courageux qui ne se prend jamais individuellement s’agissant d’un couple marié. Bien souvent, il est aussi une concession professionnelle et sociale. Aussi, dans la plupart des cas, des engagements sont pris par l’époux qui travaille à l’extérieur (le conjoint travaillant aussi – ! -, mais au foyer) pour garantir à ce dernier que tous les fruits de son travail seront partagés. Cet engagement très souvent verbal, voire implicite, n’est que rarement formalisé par écrit par celui qui s’engage.

Et, au jour de la liquidation du régime matrimonial, donc du divorce, le conjoint au foyer a quelquefois la tristesse et la surprise d’entendre qu’il n’aurait aucun droit sur la résidence principale, et encore moins de la résidence secondaire ou l’immobilier locatif, au prétexte que ces biens auraient été financés uniquement par son conjoint. La loi, et surtout une jurisprudence récente, sont venues préciser le cadre juridique de ces règlements et de facto les droits de chacun sur ces biens immobiliers. Si le régime matrimonial, donc le contrat de mariage reste déterminant pour définir les droits de chacun et, hélas, souvent pour réduire les droits d’un conjoint sur la constitution du patrimoine pendant le mariage, la jurisprudence a rappelé la portée de l’obligation des époux « de contribuer aux charges du mariage », pour justifier qu’un des époux ne puisse après coup, donc après mariage, prétendre réclamer à celui qui est resté au foyer récompense, créance ou remboursement pour le financement qu’il aurait réalisé.

Environ 90 % des époux sont mariés sous le régime soit de la communauté réduite aux acquêts, soit sous celui de la séparation de bien. Le premier est celui qui s’impose à tous, à défaut d’option contraire des époux. Le second est celui traditionnellement adopté par les commerçants et tous les couples dont l’un au moins présente une activité à risque. Il implique un contrat de mariage conclu devant notaire.

La sécurité relative du régime légal

Aucun homme, aucune femme ne devrait consentir à rester au foyer s’il n’est marié sous le régime de la communauté légale. Ce régime dit de la communauté réduite aux acquêts prévoit que les biens acquis par l’un ou l’autre des époux seront réputés communs aux époux dès lors qu’ils ont été acquis après le mariage. Ainsi, la résidence principale, la résidence secondaire ou le bien d’investissement locatif sera réputé commun aux deux époux quelle que soit la personne qui les a financés. Cette présomption est générale : elle joue aussi bien dans les rapports entre les époux que vis-à-vis des tiers, aussi bien pendant le régime qu’au moment de sa dissolution.

Ce principe est général et ne connaît que peu d’exceptions. La première exception concerne l’hypothèse où le bien immobilier est acheté avec les ressources d’un héritage ou la vente d’un bien propre. Le bien acquis avec ces fonds même après le mariage peut être considéré comme un bien propre. L’époux acquéreur doit indiquer pour cela, dans l’acte d’acquisition, l’origine propre des deniers utilisés ainsi que son intention de les affecter à l’acquisition d’un bien propre : on parle alors de déclaration d’emploi ou de remploi. à défaut de cette mention expresse, le bien « tombera dans la masse commune ». La seconde exception est liée au caractère excessif de la contribution de l’époux. Si celui qui a financé le bien peut établir que sa contribution excède manifestement sa contribution au mariage, voire ses capacités, il pourra éventuellement solliciter « récompense ». C’est-à-dire demander que la part de son conjoint soit réduite des sommes qu’il a ainsi avancées pour son conjoint.

Il demeure, le conjoint au foyer marié sous le régime de la communauté a donc l’assurance de se voir attribuer la propriété de la résidence principale ou de la résidence secondaire acquis pendant le mariage avec les deniers de son conjoint. Il n’en est pas de même lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens.

La division organisée du régime de la séparation de biens

Longtemps résiduelle, la part des couples mariés sous le régime de la séparation de biens a doublé en vingt ans. Le développement du régime de la séparation de bien s’explique aisément : la faute très certainement au plus grand nombre de divorces, à l’importance du patrimoine hérité ou encore à la multiplication des familles recomposées lesquelles font croire à certain que ce régime plus individualiste les protègera d’une « captation » de patrimoine de l’être aimé (sic). Les époux conservent alors chacun la propriété exclusive des biens acquis avant le mariage, de ceux reçus par donation, legs ou héritage, et de ceux acquis après avec leur deniers propres. C’est la consécration de l’indépendance des patrimoines. Si un achat est fait en commun, le bien est réputé indivis et cela même si le bien a été acquis avec les ressources d’un seul des conjoints. Toute la difficulté est de savoir, lors de la liquidation du régime matrimonial, si cet époux peut ou non revendiquer une créance pour la part de son conjoint. Longtemps, on l’a admis sans hésitation. Ce qui justifiait une forme de remboursement du conjoint à celui qui aurait par exemple réglé l’intégralité de l’emprunt. Une jurisprudence récente est venue bouleverser ce postulat en rappelant ainsi les principes fondamentaux du mariage.

L’extension de la portée de la contribution aux charges

L’article 214 du Code civil dispose : « Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives ». Par trois arrêts de principe du 15 mai 2013, la Cour de cassation a posé le principe selon lequel financement du logement de la famille par un seul des époux n’est que l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage. Il s’agit là, selon la Haute Cour, d’une obligation légale, qui est impérative. Une seule réserve est admise : lorsque l’époux établit la preuve du caractère excessif de sa contribution par rapport à ses ressources. Disons-le clairement, la preuve d’une « surcontribution » de l’époux qui travaille à l’extérieur face à un conjoint au foyer est quasi impossible.

Ce principe qui s’appliquait déjà pour la résidence principale a aussi été étendu à la résidence secondaire. La Cour de cassation a, la même année, admis que la contribution aux charges du mariage prévue par l’article 214 du Code civil pouvait inclure les dépenses d’investissement, jusqu’à y faire figurer les dépenses d’agrément et de loisirs telles que l’acquisition d’une résidence secondaire. Il existe certes une condition, puisque cette hypothèse est aujourd’hui limitée aux cas où le train de vie du ménage est tel qu’une dépense de ce type est finalement aisée à supporter pour le ménage en cause. De là à y inclure l’immobilier locatif, il n’y a qu’un pas que les juges semblent prompts à franchir. Le mariage se trouve ainsi définitivement consacré comme n’étant ni un lieu de reddition des comptes (même a posteriori), ni un lieu de spéculation. Il faut se féliciter de cette révolution jurisprudentielle. Le contraire conduirait à nier l’incroyable apport humain qu’offre la présence d’un parent au foyer, qu’aucune rémunération ne saurait compenser. Il s’agit là d’une forme de reconnaissance de ce rôle et d’un rappel non superflu des engagements du mariage.

Article réalisé par Maitre Nadine Prod’homme Soltner

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