Éviter les «enfants-béquilles»

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Non, l’enfant n’est pas un ami à qui l’on peut tout divulguer. Le considérer ainsi peut être plus néfaste à son développement qu’on ne le croit.

Certains parents confient à leur petit les soucis de leur journée de travail ou la dispute avec tel ou tel proche. Certes, bien souvent le récit est édulcoré et adapté à l’âge de l’enfant… mais parfois cet épanchement se réitère jusqu’à devenir habitude. Les confidences deviennent intimes et fréquentes, conduisant l’enfant ou l’adolescent à prendre des responsabilités plus importantes que ne le voudraient son âge et sa maturation. « L’alarme doit être tirée lorsque le parent a régulièrement des discussions avec son enfant comme avec un ami, livre les éléments les plus intimes de sa vie personnelle à propos d’amour, de sexe, de mal-être », met en garde la psychologue Alexandra Moins selon qui un enfant n’a pas à recevoir ces informations. Car ce procédé revient à une certaine « parentification » de l’enfant – un comble – qui peut le gêner à terme dans sa construction, à l’insu de tout le monde…

Un « enfant-pansement » qui émerge sans crier gare

« Tu es mon unique amour désormais », « tu es ma raison de vivre », « tu es l’homme de la maison maintenant » Ces petites phrases sensées être bienveillantes accroissent la pression sur le tout jeune individu qui se voit transformé en béquille psychologique après une séparation, un divorce, un deuil de son parent… ou toute épreuve difficile conduisant l’adulte au repli sur ce qu’il a de plus cher, son foyer. Les familles monoparentales sont des contextes à risque. « Le phénomène est malheureusement monté en puissance à cause d’une recrudescence des divorces et d’une utilisation massive des enfants dans les procédures », déplore Anne-Laure Buffet, thérapeute, conférencière et auteure sur le sujet (1). La configuration malheureusement classique est celle d’une mère délaissée qui cherche à combler un vide affectif par son enfant et sollicite en permanence son avis sur ses relations humaines de tous les jours. Se plaindre de son ex-conjoint auprès de l’enfant revient aussi à le « parentaliser » et à le soumettre à un conflit de loyauté. « Le parent n’a généralement pas d’entourage sur lequel s’appuyer et n’a pas conscience de faire fausse route », décrit Alexandra Moins qui souligne bien souvent l’absence de tiers dit « séparateur ». « Il se dit pourtant « fusionnel » avec l’enfant – un terme toujours dangereux – et heureux de tout verbaliser, y compris les ressentis et vécus les plus intimes. De même l’enfant-ado ne se rend généralement pas compte de la situation. Les jeunes filles rêvent d’ailleurs bien souvent d’une mère totalement complice, avec qui elles s’adonnent au shopping en s’échangeant leurs plus grands secrets », précise Anne-Laure Buffet. La situation s’envenime souvent longtemps après, alors que l’enfant est devenu adulte. Ce dernier vient alors consulter parce qu’il n’arrive pas à couper le lien avec le parent encore en vie, à construire son existence, à entrer en relation avec les autres autrement qu’en se sacrifiant et en jouant les confidents.

Confidences toxiques

Junior apprend finalement à répondre aux besoins de son entourage en négligeant totalement les siens. Cette marque de fabrique devient son identité, elle ne le quitte plus et représente très vite sa seule façon d’interagir avec autrui et de se sentir accepté – quitte à se maltraiter, à se faire violence, à nier sa personnalité… « La reproduction du schéma s’observe alors chez des personnes qui se sentent tenues d’agir, d’intervenir sans qu’on le leur demande », note Anne-Laure Buffet. « Je souffrais mais j’étais incapable de formaliser mes blessures. J’avais trop longtemps appris à gommer mes problèmes ; en réalité, je crois que je ne me connaissais pas moi-même », concède Laurence D. à Lille, qui a vécu depuis l’âge de 10 ans aux côtés d’une mère que son père a quittée du jour au lendemain. « La psy, mais aussi les discussions avec des amis qui ont vécu cette situation de dépendance similaire, m’ont ouvert les yeux. J’ai eu beaucoup de mal à trouver la bonne distance avec ma mère dont je n’ai fait que panser les plaies durant toutes ces années », ajoute celle qui ne trouvait pas sa place auprès des autres, fuyait le conflit, se trouvait perpétuellement en quête de reconnaissance, ne maîtrisait plus son anxiété et ses troubles dépressifs… Ces individus s’imprègnent des problématiques et angoisses de leurs parents ; ils se sentent les garants exclusifs de leur bien-être. « De quoi les priver définitivement de leur innocence enfantine », stigmatise Anne-Laure Buffet, qui a vu nombre de patients fuir tout plaisir personnel, agir uniquement par devoir, afficher constamment un contrôle et une maîtrise pour masquer un vide intérieur depuis leurs tendres années. En effet les enfants n’ont pas les moyens psychiques, intellectuels et émotionnels de porter un adulte sur leurs épaules. « À un moment donné, ils ne peuvent tout simplement pas recevoir le message qui leur est destiné. Leur champ émotionnel interfère dans leur jugement, ils veulent protéger leur parent du malheur, ils veulent sauvegarder leur monde et se sentent impuissants », ajoute la thérapeute. Ce sentiment d’échec va les tarauder toute leur vie : une fois adulte, ils vont sans cesse tenter de rejouer la partie avec des personnes qui manifestent le besoin d’être « prises en charge » Là où ils ont échoué avec le parent…

« Eh ! Oh ! Je ne suis pas ta copine ! »

Pour autant, les parents qui cherchent à maintenir leur progéniture dans un cocon en lui masquant les difficultés génèrent d’autres problèmes sur sa psyché dans les années à venir. Comme souvent en matière d’éducation, il s’agit de trouver le juste milieu. Non pas être totalement transparent avec son enfant, mais être honnête. « Dire « je suis triste » est possible, à condition de verbaliser un fait qu’il peut comprendre, qui ne lui échappe pas. Il ne faut pas non plus s’interdire de pleurer si on en a envie, ce n’est pas un signe de faiblesse. Le père est parti, on peut dire qu’on se trouve dans une mauvaise passe parce que c’est un échec dans la vie amoureuse mais on doit surtout éviter le fameux « j’ai besoin de toi » », soutient Anne-Laure Buffet, selon qui l’enfant ne peut être investi d’une mission, d’une injonction au réconfort. La limite est fine entre ce qui mérite d’être dit et ce qui doit être tu. « Je suis très proche de ma fille depuis sa naissance, mais nous avons considérablement amplifié notre complicité lorsque nous nous sommes retrouvées en tête-à-tête. Mon mari est parti il y a sept ans, alors que Mathilde n’avait que 8 ans. Parfois, je sens qu’elle prend son rôle trop à cœur quand elle m’enjoint d’éviter telle ou telle relation. Je me sens obligée de la recadrer parfois par un « Eh ! Oh ! Je ne suis pas ta copine ! » », cherche à se rassurer Virginie P. à Asnières, dans les Hauts-de-Seine. Comment doser chaleur et proximité tout en veillant à ne pas trop s’étendre sur des sujets trop lourds pour ces jeunes esprits fragiles ? Tous les cas doivent donner lieu à un arbitrage. Il ne faut pas perdre de vue le fait qu’on cherche avant tout à rassurer l’enfant. « Ainsi un changement de situation doit donner lieu à une explication – «je suis moins bien parce que… » – pour ne pas qu’il se sente responsable. Il importe de ne pas lui faire porter la souffrance mais de ne pas lui détailler notre ressenti, notre peine », nuance Alexandra Moins. On l’aura compris, l’enfant va ajuster son comportement dans le foyer, s’adapter au climat psychique où il grandit. Si son entourage direct est un parent esseulé, « dysfonctionnel », qui porte en lui un lourd passif de névroses, de peurs et de tourments, il va se sentir exister en incarnant une figure de confident, de thérapeute, d’ami. Il va toujours tenter de le soigner. Tel n’est pas son rôle. Un enfant a besoin de légèreté et s’en voit souvent privé, quelles que soient les époques. Certes, une certaine tendance sociétale a placé nos chères têtes blondes au centre de l’attention et des débats dans les familles, leur a conféré une place prépondérante. Ils sont moins tenus à l’écart des conversations épineuses et des sujets sérieux, ont plus voix au chapitre lorsqu’ils sont à table. C’est indéniable. Mais les sonnettes d’alarme tirées paraissent aussi plus nombreuses sur le sujet aujourd’hui parce que les gens déclarent plus facilement qu’ils ont été confrontés à des parents défaillants par le passé…

Julien Tarby

1 COMMENTAIRE

  1. Je pense que l’enfant pansement n’existe pas si les parents parviennent à réfléchir correctement. UNe
    tête «  bien faite » va très vite remarquer qu’on aime tous ses enfants pour des raisons différentes, car ils sont différents. On peut être ému par le grand , très indépendant et voyageur. Mais aussi par le cadet, timide et «  dans les jupes » des parents. Pas de comparaison, pas de pansement !

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