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Intrinsèquement, le bébé est un tyran. Duverger explique : « Tout bébé est un être tyrannique, un être ordinairement tyrannique. » Les bébés hurleurs, inconsolables, mettent à rude épreuve la résistance voire la résilience parentale. Si le cri du nourrisson revêt une fonction d’appel… on désespère d’en entendre le bout ! Comment vivre et aider l’enfant à traverser ces périodes de grandes détresse et désorganisation ?
L’axe thérapeutique consiste en un étayage de la mère.
En premier lieu, il convient d’apaiser la maman afin qu’elle cesse de se sentir seule dans cette galère. Plus la mère se sent seule, moins elle est capable de faire face à la détresse et aux cris de son bébé. Si la mère souffre de baby blues, elle n’est plus en mesure de calmer la détresse de son bébé. Il faut donc, d’abord, rompre l’état de solitude et d’abandon maternels, la dépression maternelle, pour que les interactions maternelles précoces avec le bébé n’en soient pas entravées. Éviter de créer un cercle vicieux infernal entre deux détresses, celle de la mère et celle du bébé.
L’alimentation est une problématique récurrente en consultation mère-bébé. Le bébé tyran s’illustre sur le plan des repas. Ils tournent au calvaire. De part et d’autre de la petite cuillère ! La mère se sent l’esclave impuissante de son bébé. Au petit jeu de la violence renvoyée en miroir, le bébé risque de s’inscrire dans la tyrannie de l’anorexie ou des régurgitations opportunistes. Il rompt sa courbe de poids et engendre angoisse et détresse dans les interactions réciproques.
L’amour maternel au risque de la tyrannie
Le parent « esclave et soumis » porte les affects du bébé tyran. Les enjeux narcissiques engagés dans les interactions précoces font que le bébé joue sa survie, du moins le croit-il. Face à ce risque fantasmé, le bébé terrorise son parent. Il l’oblige à porter ce que lui-même ne peut porter : éprouvés d’impuissance, affects de détresse. Il fait de sa mère un « porte affects », réceptacle de projections irreprésentables pour lui sous forme d’angoisses archaïques. Précisément ce qu’exprimait Albert Ciccone dans son Aux sources du lien tyrannique (PUF, 2012).
Quelle parade ?
Se souvenir que « même dans les tyrannies les plus cruelles, l’objet attaqué, la mère, est toujours l’objet d’amour ». L’entretien du désir de destruction du bébé à l’encontre de sa mère provient de « la peur que la mère, fantasmatiquement et tyranniquement blessée, ne devienne un ennemi ». Il est donc important de dire aux mamans d’enfants tyrans que leurs enfants les aiment, avant tout. Le bébé tyran lutte contre son propre effondrement, en attaquant sa mère. Mais il l’aime. Le bébé trop immature pour pouvoir intégrer les angoisses d’effondrement dont il est le siège utilise sa mère lui faisant, par ses cris, ressentir et porter ses affects. Défenses archaïques, fureur et gesticulations motrices maintiennent le lien tyrannique.
L’amour est dans le jeu
Jouer, c’est thérapeutique. « Jouer, c’est le travail des enfants », écrivait DW Winnicott dans Jeu et réalité, l’espace potentiel (NRF, Gallimard, 1975). Le jeu met en forme le pulsionnel, canalise l’agressivité, assure l’accès au symbolique, à la règle et à la loi. Le jeu intersubjectif va enrayer les processus tyranniques.
Il s’agit d’une prescription incontournable pour les enfants tyranniques : il agira comme un vaccin contre la tyrannie.
« Jouez avec vos enfants cinq fois par jour », préconisent de façon amusée Rufo et Duverger, à la façon du fameux « mangez cinq fruits et légumes par jour ».
La réalisation quotidienne de cette préconisation a pour effet bénéfique de soustraire les jeunes enfants à la séduction et à la surexposition précoce et intense aux écrans. Elle prévient la tyrannie passive de l’addiction à ces mêmes écrans. Le jeu réel et « pour de vrai », en famille et en interaction régulière, aide l’enfant à se construire une image de l’autre et un statut de l’altérité compatibles avec la réalité : on ne zappe ni l’autre ni la relation au gré de ses humeurs. On respecte l’autre, on n’exerce pas de maîtrise sur lui. On ne recherche pas la domination machiavélique, souvent à l’œuvre dans les jeux vidéo. On crée des interactions réciproques symétriques justes et régulées.
Le jeu est l’antidote idéal à la tyrannie. Il offre les moyens de grandir dans la relation à l’autre et dans la vraie vie. Il faut pour cela que le parent accepte de jouer le jeu de la réalité et de lâcher le smartphone ! Afin que puissent se tisser des sentiments de confiance réciproque, apaisants.
Le surmoi, un filtre à pulsions
Le surmoi est génétiquement l’héritier du complexe d’Œdipe. C’est une instance psychique décrite par Freud, construite au fil des premières années. Sa construction progressive donne à l’enfant les moyens d’accepter des limites, d’intégrer des interdits. Le surmoi est nécessaire à l’instauration d’accordages et d’ajustements aux autres. Il est le mécanisme de la capacité à gérer les conflits, dans le respect de soi comme l’autre. Le surmoi opère comme un véritable « filtre à pulsions » dès lors que les normes intériorisées sont disponibles pour le sujet.
Par Catherine Dunezat, psychologue clinicienne.
Au Sommaire du dossier
L’enfant Tyran : il est né le devil enfant…
1. Baby tyrannie, de zéro à 3 ans
2. La tyrannie à l’âge de la maternelle : les enfants tyrans de 3 à 6 ans.
3. L’enfant tyran à l’âge du primaire, les 6/12 ans.
4. La tyrannie infantile au risques de l’adolescence : les 12/15 ans.