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Avec son réveil olfactif Sensorwake, Guillaume Rolland a gagné le concours Sciences & Vie Junior, décroché une médaille d’or au Lépine et est devenu le premier Français nominé au concours scientifique Google Science Fair, pour finalement créer son entreprise à… 19 ans ! Analyse intéressante de ce jeune homme sur la scolarité à la française et les facteurs de réussite.
Le système éducatif français est-il efficace pour encourager les jeunes à se tourner vers le domaine scientifique et la créativité ?
Le système français est toujours perfectible, il s’est d’ailleurs bien amélioré dans le secondaire. Dans les lycées les travaux personnels encadrés (TPE) ou la nouvelle branche spécialisée dans le numérique participent à cette embellie. Il n’en reste pas moins que les différences sont encore flagrantes en comparaison des États-Unis. Durant la high school les concours extra-scolaires y sont très nombreux. Les élèves lancent de nombreux projets dans le cadre des Science Fairs. Les compétitions organisées par Intel, Google et d’autres grandes entreprises sont désormais renommés auprès des 13-18 ans, générant créativité et émulation chez ce jeune public. Les projets aboutissent sur des expériences et des tests grandeur nature, prouvant aux jeunes qu’ils peuvent concrétiser leurs idées et leur donnant finalement l’envie d’entreprendre.
Un grand chemin est donc encore à parcourir dans ce domaine en France ?
Bien sûr il existe des concours comme celui de Sciences & Vie Junior, ou le concours national de la consommation qui permet des tests en laboratoire, mais ils ne sont pas encore assez mis en avant. Ils sont étouffés parce que la conviction que tout se joue dans le scolaire et le programme édicté par l’Éducation nationale est forte en France. Si le jeune n’est pas un bon élève qui peut se permettre de dégager du temps pour s’adonner à ce genre d’activités, on ne le laissera pas se lancer. Et généralement l’extrascolaire se constitue avant tout d’activités artistiques ou sportives. On constate des bribes de changement tout de même, portées par les mouvements internationaux du do-it-yourself et des makers, qui rassurent les parents et leur prouvent que des autodidactes peuvent réussir.
Vous conseilleriez aux parents d’encourager leurs enfants – quel que soit le niveau de ceux-ci à l’école – à se tourner vers ces exercices d’éveil ?
Assurément. À l’école primaire, les enfants ont beaucoup de rêves et pensent que tout est facile. Ils espèrent inventer les essuie-glaces pour lunettes et devenir milliardaires. Je conseille aux parents de cultiver cette créativité en achetant tout bêtement des boîtes de Legos. Aux collégiens et lycéens je conseille de trouver le temps de s’adonner à des activités extrascolaires, de participer à des concours. Celui de Google était très chronophage, le dossier à constituer était démesuré, mais très challengeant et en définitive bénéfique, même en cas de défaite en finale. L’Institut de la consommation, les écoles de commerce… les acteurs sont nombreux à organiser des concours, auxquels peu de jeunes participent et c’est dommage. Souvent les projets réalisés sont un motif de fierté pour ceux qui ne récoltent pas forcément des lauriers dans les salles de classe. Ils se prouvent à eux-mêmes qu’ils sont capables de faire des choses avec leurs mains. J’ajouterais un détail pour les parents. Qu’ils n’hésitent pas à offrir à leurs enfants ce dont moi-même j’ai profité : des cartes électroniques Arduino ou Raspberry Pi qui éveillent au monde de la programmation. Il est possible de coder des robots dès le plus jeune âge, et de devenir des « apprentis-makers ». Le code est accessible à tous. Je me souviens encore du Noël où mes parents m’ont fait ce cadeau, qui m’a permis d’élaborer mes premiers mécanismes et d’ouvrir mon esprit à la création et au bricolage.
Aviez-vous dès le début en ligne de mire la création d’entreprise ?
Pas du tout, on ne m’y a pas préparé. J’ai procédé marche après marche, je n’avais aucun schéma préconçu à l’avance. À 13 ans, j’ai déposé mon premier brevet pour un bras robotique qui sert à infuser le thé. À 18 ans, j’ai mis au point ce réveil qui fonctionne avec des capsules de parfum sur le modèle Nespresso du fait de mes propres difficultés à me lever, mais aussi suite aux discussions avec mon père directeur d’une maison de retraite au sujet des soucis des personnes âgées malentendantes. J’étais un inventeur dans mon garage, qui adorait relever des challenges, trouver des réponses techniques à des besoins quotidiens. Je n’avais pas du tout en tête la commercialisation d’un produit et encore moins une activité à l’international.
Quel a été l’élément déclencheur ?
La sélection en finale du Google Science Fair destiné aux innovateurs. Je n’ai pas gagné mais j’ai senti l’intérêt des investisseurs et des potentiels clients. Je me suis dit qu’il serait bête de tout arrêter. Les concours ont prouvé que mon travail portait ses fruits. Ils m’ont ouvert des portes, apporté une reconnaissance des autres. Ce sont des opportunités que j’ai découvertes un peu par hasard, et qui m’ont mené à la création de Sensorwake. Mais je crois que la chance se provoque. Les concours ont été une pierre à l’édifice, il faut aussi bien savoir communiquer et s’entourer. Autant de détails qu’on n’anticipe pas mais qui augurent du succès futur. Mais si on m’avait dit que je rencontrerais autant de problèmes, jamais je ne me serais lancé. Encore moins dans la fabrication en dur du produit, dans le hardware. La naïveté, l’inconscience de la jeunesse aident beaucoup. Les adolescents font souvent les choses parce qu’ils ignorent que c’est impossible ! Ils ont des millions d’idées et sont en plus aidés par le contexte pro-création et start-up.
Comment vous êtes-vous entouré ?
J’ai rencontré des patrons d’industries, notamment dans le luxe du côté de Baum & Mercier, des décideurs politiques comme Axelle Lemaire qui m’a présenté à des investisseurs et de futurs mentors. Grâce à mon jeune âge j’ai beaucoup été aidé : « Vous avez l’âge de mon fils », m’a-t-on souvent répété. Beaucoup m’ont conseillé de ne pas me lancer seul. J’ai donc fréquenté l’écosystème de start-up à Nantes où j’ai rencontré Ivan Skybyk, trentenaire, diplômé des Mines et d’un MBA à Boston, plus expérimenté en développement de business et donc complémentaire.
Aimez-vous le fait de constituer un exemple ?
J’ai apprécié de constater la création d’une vingtaine de TPE en lycée sur l’histoire du réveil olfactif. Mon aventure a inspiré, ce qui est gratifiant. Je suis scout, et la pédagogie tient une grande place dans les patrouilles, où on apprend quand on est jeune et enseigne quand on est plus vieux. J’aime intervenir dans les lycées et universités, pour partager mon expérience de création d’entreprise.
Quel serait votre scénario idéal à propos de Sensorwake ?
Nous comptons déjà dix salariés. Je souhaite à l’avenir une équipe conséquente baignée dans une culture d’entreprise forte. La bonne ambiance ne s’improvise pas. J’essaie de ne pas être le patron chiant, et pas non plus le pote avec qui on va boire une bière. L’entreprise est « management friendly » et nous avons la chance de concevoir des produits de grande consommation. Les jobs sont attractifs, nous ne fabriquons pas un énième boulon du réacteur d’un avion. Je souhaitais devenir industriel, car aller dans le hardware, c’est concrétiser les choses, rentrer chez les gens avec la machine, multiplier les contacts humains. Ce n’est pas une appli sur smartphone.
Julien Tarby