Temps de lecture estimé : 4 minutes

Les jeunes lisent peut-être toujours autant, mais ils lisent moins bien. La conséquence d’un apprentissage raté. C’est aussi le symptôme d’un échec. Celui d’une France qui peine à donner le goût de la lecture à la génération du numérique. Marie Sanchis

« L ire, c’est boire et manger. L’esprit qui ne lit pas maigrit comme le corps qui ne mange pas », affirmait Victor Hugo. L’auteur romantique ne disposait d’aucune compétence scientifique moderne. Pourtant, il visait juste. Nos scientifiques l’ont démontré: la lecture muscle le cerveau. Stanislas Dehaene, neuroscientifique français, épaulé par Laurent Cohen ainsi que des équipes brésiliennes, portugaises et belges, a confirmé, grâce à l’imagerie médicale, les effets positifs de l’apprentissage de la lecture sur nos méninges. « Apprendre à lire augmente les réponses des aires visuelles du cortex » et « augmente également les réponses au langage parlé dans le cortex auditif », selon les conclusions de la recherche.

En outre, « la lecture induit également une communication entre les réseaux du langage parlé et écrit: chez un bon lecteur, voir une phrase écrite active l’ensemble des aires du langage parlé ». Mémoire, orthographe, vocabulaire, empathie, réduction du stress… C’est prouvé, la lecture est bonne pour le cerveau et induit un impact décisif sur la conduite de notre vie. « Ne pas lire c’est renoncer à des connaissances d’ordre général », tranche Anne-Marie Gaignard, pédagogue et auteure de la bande dessinée éducative Zazie sans fautes. Son constat est appuyé par Anne Berland, directrice de l’association Lecture Jeunesse et de la rédaction de la revue Lecture Jeune. Son analyse: « La lecture, tout autant que l’écriture et l’oralité, sont certainement des leviers d’intégration sociale et développent l’esprit critique et la conscience citoyenne d’appartenir à une communauté d’individus. Et à ce titre, la lecture est un des moyens de faire société. »

La compréhension de l’écrit, le point faibles des élèves français

Mais alors sommes-nous en train de fabriquer une génération de jeunes « crétins », comme l’écrivait le controversé Jean-Paul Brighelli (La fabrique du crétin: la mort programmée de l’école, 2005)? Rien n’est moins sûr si l’on en croit l’enquête sur les pratiques de lecture des jeunes Français·es réalisée par le Centre national du livre et publiée en ce début d’année 2022. Sur une période de trois mois, 81 % des 7-25 ans ont lu, en moyenne, cinq livres pour leurs loisirs. 76 % ont lu deux livres pour l’école ou le travail. Notre jeunesse lit! Mais elle lit différemment, explique Anne Berland: « Les adolescent·es ont délaissé les livres imprimés mais ils lisent des livres sur les écrans, ainsi qu’un certain nombre d’ouvrages et de supports écrits dont on ignore souvent, nous, adultes, l’existence ».

Mais de récents événements interrogent. Rappelez-vous, c’était avant les vacances estivales, le mot « ludique » échappait à la connaissance des candidat·es au baccalauréat professionnel. Quelques jours plus tard, les lycéen·nes de la filière générale s’indignaient et avouaient ne pas comprendre le texte de Sylvie Germain, extrait de son roman Jours de colère (1989), présenté en commentaire aux épreuves anticipées de bac de français. Finalement, le problème ne résiderait pas tant dans la quantité de livres lus. Mais plutôt dans la qualité, dans la richesse des textes auxquels ils·elles ont été confronté·es. Voire de l’accompagnement dont ils et elles sont censé·es bénéficier durant leur scolarité… « Nous avons un problème lié à l’apprentissage de la langue en France », lâche Anne-Marie Gaignard.

Les chiffres du Programme international de recherche en lecture scolaire (Pirls) sont édifiants. Le Pirls évalue à l’échelle mondiale les compétences en compréhension de l’écrit des élèves de quatrième année d’école obligatoire (CM1 en France) tous les cinq ans. Seule bonne nouvelle de la dernière étude (2016), sur les cinquante pays concernés, la France se situe juste au-dessus de la moyenne internationale (500) avec 511 points. Mais bien en deçà de la moyenne des pays de l’Union européenne qui s’établit à 540 points et de celle des pays de l’OCDE avec 541 points. Pour, finalement, atterrir à la 34e place du classement. « Depuis Pirls 2001, la performance globale française baisse progressivement à chaque évaluation. En 2016, l’écart est significatif et représente -14 points sur la période de quinze ans », précise la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (Depp) dépendante du ministère de l’Éducation nationale.

Le goût de la lecture s’acquiert par le sentiment de plaisir

De quoi expliquer la baisse du niveau de nos petit·es Gaulois·es? « Il est certain que l’école baigne dans la culture de l’écrit et qu’ainsi la lecture familiarise l’élève avec la langue », assure Anne Berland. Et de la mauvaise compréhension du texte découle tout un tas de difficultés scolaires, jusqu’à l’échec des matières scientifiques.

Quel parent n’a pas découvert la mention « N’a pas compris la consigne » sur la copie de mathématiques, de physique-chimie ou de science de son enfant? Qu’il s’agisse du Pirls ou du Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), ces deux études mettent en lumière une autre difficulté française. Celle de l’école à deux vitesses qui creuse les inégalités sociales. Celle de l’école où les élèves en difficulté restent en difficulté. « J’ai rencontré cinq ministres de l’Éducation, y compris Jean-Michel Blanquer. Tous m’ont répondu qu’il était facile de déchiffrer, d’accorder, de comprendre… Je n’irai pas en voir un de plus. J’en suis arrivée à la conclusion que c’était volontaire », s’insurge Anne-Marie Gaignard. Et d’ajouter, lasse: « Cet apprentissage casse les rêves d’enfants. Notre école est mal en point. Et si l’école va mal, le pays va mal. »

En l’état, ce n’est probablement pas l’Éducation nationale qui donnera le goût de la lecture à vos enfants… À moins de réformer drastiquement l’apprentissage du français. « On a réussi à faire détester la lecture aux jeunes. Je n’ai rien contre les poètes du xviie siècle. Que leurs textes soient proposés à des classes de première qui se destinent aux métiers de l’écrit, soit. Mais l’école met tout le monde dans le même sac. Demandez à un jeune ce qu’il pense de Verlaine… Il s’en fiche! », s’agace la pédagogue.

Pour Anne Berland, il est important que les jeunes se confrontent aux œuvres classiques, toutefois « toutes les portes d’entrée sont bonnes pour pénétrer la culture de l’écrit. D’après les derniers rapports de l’équipe du pass Culture*, l’achat d’un manga peut conduire un jeune à acheter d’autres types d’ouvrage. Le critère premier, pour lire et faire lire les adolescents, est certainement celui du plaisir. On peut aller petit à petit vers des œuvres plus exigeantes, qui plaisent et instruisent ».

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

J’accepte les conditions et la politique de confidentialité

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.