Temps de lecture estimé : 4 minutes
Si elle ne fait en temps normal pas de bruit, l’école à la maison ou l’instruction en famille (IEF), est aujourd’hui au cœur d’un vif débat. Au grand dam des quelques parents qui défendent cette liberté, le gouvernement souhaite l’encadrer de plus en plus, voire l’interdire à terme. Quitte à la stigmatiser dans sa loi contre les séparatismes. Entre bienfaits indéniables et risques de dérives à considérer, l’IEF ne laisse pas indifférent.
Elle ne concerne que 0,4 % des enfants en âge d’être scolarisé·es, soit 63 000 élèves dont 30 000 reconnu·es handicapé·es, mais devient un véritable débat de société. L’école à la maison doit-elle se défendre comme un droit et un choix libre des parents ou représente-t-elle de sérieux risques pour l’unité de l’éducation et le développement des enfants ? Selon Jean-Baptiste Maillard, secrétaire général de l’association Liberté éducation et ardent défenseur de la pratique, il n’y a aucun doute : « L’école à la maison est une liberté fondamentale des parents reconnue par la déclaration universelle des droits de l’homme. » Et pour cause, la déclaration de 1948 reconnaît aux parents « par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leur enfant ». L’argument, porté aux nues par les associations de défense de l’IEF, est indéniable. Si elle n’exige jusqu’à présent aucun diplôme particulier et ne réclamait qu’une déclaration à l’Éducation nationale, le gouvernement durcit le ton. Et vise l’école à la maison dans sa lutte contre les séparatismes et les dérives sectaires.
Gare aux préjugés
Jean-Baptiste Maillard le répète, l’instruction en famille (IEF) est « une parenthèse importante dans la vie de l’enfant, en particulier pour les enfants harcelé·es, qui sont malheureusement 700 000 en France et aussi les enfants « dys » – dyslexie, dysgraphie, dyscalculie ». Surtout, celui ou celle qui scolarise ses trois garçons à la maison balaie les préjugés, à commencer par le manque de sociabilisation : « On s’imagine que les enfants en IEF restent chez eux enfermé·es, c’est faux. Puisque ces familles ont du temps, elles se livrent à davantage d’activités, prennent plus de temps pour elles. La sociabilisation existe dans le cadre de toutes ces activités extrascolaires, ce n’est donc pas du tout antinomique ». S’agit-il de mettre en cause la compétence des parents ? L’interrogation-crainte qui revient souvent, chacun est libre de se former ou pas. Tous·tes n’assurent pas eux·elles-mêmes l’école à domicile. Sur les 63 000 enfants en IEF, 17 000 suivent l’enseignement du Centre nationale d’études à distance (Cned) ou d’autres organismes privés. Reste que, comme le rappelle Jean-Baptiste Maillard, « les parents sont inspecté·es chaque année par l’Éducation nationale, ils doivent présenter la démarche et les méthodes pédagogiques choisies, et c’est très bien, le syndicat national des inspecteurs d’académie est d’ailleurs opposé au projet de loi ». En cas de contrôle négatif, les parents encourent une amende et une injonction de scolarisation s’il y a défaut d’instruction. Un fonctionnement inchangé depuis la loi Ferry, qui a posé le principe. D’une déclaration obligatoire et suffisante, l’IEF pourrait passer dès la rentrée 2022 à une autorisation préalable, à l’exception des enfants handicapé·es.
La crainte des dérives
« Il s’agit ni plus ni moins que de renvoyer 30 000 enfants à l’école contre l’avis de leurs parents, regrette Jean-Baptiste Maillard. On passerait d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation au compte-gouttes, nous n’en voulons pas. » Le volet éducation du texte de loi contre les séparatisme et son article 21 font polémique. Le projet, qui a pendant un temps évoqué une suppression de l’école à la maison, se limite pour l’instant à resserrer son cadre, au nom de la lutte contre les séparatismes religieux et les dérives sectaires. Les familles à pratiquer l’IEF sont peu nombreuses, mais donnent de la voix pour contester le texte et une liberté qu’elles jugent fondamentale. « L’argument de la lutte contre la radicalisation religieuse a été le premier invoqué, mais il n’existe aucun chiffre concret et aucune corrélation n’a été établie », s’insurge le dirigeant de l’association Liberté éducation. Les pédagogies alternatives, pratiquées à la maison, inquiètent elles aussi. Jean-Baptiste Maillard est, lui, un adepte de la pédagogie Montessori, celle de la fameuse pédagogue italienne du début du xxe siècle. D’autres pédagogies posent cependant plus question, à l’instar de la philosophie Steiner, surveillée de près par la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), pour ses liens étroits avec l’anthroposophie, courant ésotériste et occulte également créé par Rudolph Steiner. Les risques de dérives et de détournement des principes de la République existent bel et bien, mais ne sont pas illustrés par autre chose que des cas isolés. Le gouvernement, lui, a fait son choix en prenant la direction de la limitation de l’IEF : mieux vaut prévenir que guérir.
Une chose est sûre, le projet de loi, débattu à l’Assemblée à partir du 11 février, ne fait pas l’unanimité. Cédric Villani, député et mathématicien, en réclame la suppression dans une tribune au journal Le Monde, avec dix-huit autres signataires. La défenseure des droits, Claire Hédon, a également pris position. Elle affirme qu’« il n’y a pas d’incompatibilité de principe entre une école républicaine et la liberté laissée aux parents de choisir des modalités pratiques de l’instruction de leur enfant ». Au fond, l’inspection des familles reste le seul garde-fou. Il faut qu’elle parvienne à visiter tous les foyers.
Adam Belghiti Alaoui