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Phénomène plus évoqué, plus étudié et finalement moins tabou. Les langues se délient, et les méthodes pour franchir cette épreuve apparaissent…
C’est l’étude qu’on cite du bout des lèvres, quand les enfants sont couchés. Menée sur 2016 jeunes parents allemands par les chercheurs Mikko Myrskylä et Rachel Margolis, elle révèle que la première année après la naissance du premier enfant, le moral des parents chute considérablement, plus que pour un divorce, un licenciement, voire que la mort d’un conjoint ! Le phénomène est plus présent encore lorsque les parents ont la trentaine, et ont fait des études. « En général, ces derniers se plaignent d’un manque de sommeil, d’un trop-plein de stress et d’un sentiment de perte de liberté et de contrôle sur leur vie », explique l’un des chercheurs. Un résultat à relativiser, la courbe ayant généralement monté l’année qui précédait la naissance. Mais la perturbation est indéniable. « Le sommeil et le sport sont les piliers qui équilibrent ma vie. Ils ont été fissurés à la naissance de ma fille », avoue Johann Dintzer, contrôleur de gestion dans un laboratoire pharmaceutique à Dijon, père de deux enfants. Les nerfs peuvent être mis à rude épreuve, conduisant parfois au burn-out si tabou. « La parentalité, en particulier la maternité, est si sacralisée que supposer qu’il y a des gens chez qui avoir un ou des enfants se transforme en cauchemar a longtemps été intolérable », déclare Sarah Chiche, psychologue clinicienne et psychanalyste, spécialiste de la mélancolie et des troubles anxio-dépressifs. Les verrous ont désormais sauté. « Les films «Tanguy», «Papa ou maman», font rire parce qu’ils évoquent avec cynisme ce ras-le-bol parental jusqu’ici enfoui, permettant de dédramatiser », expliquent Moïra Mikolajczak et Isabelle Roskam, docteurs en psychologie, professeures à l’Université de Louvain. Les deux chercheuses, qui viennent de clôturer six mois d’études terrain sur le sujet (1), évoquent ces parents qui veulent mettre des mots sur le phénomène et attendent des clés pour le prévenir.
La pression vient de toutes parts
L’injonction au bonheur accroit les pressions. Les enfants ne doivent pas seulement savoir lire à six ans, parler anglais en sixième, maîtriser un sport et savoir jouer d’un instrument, il leur faut aussi être épanouis. « Les parents, contrairement aux générations antérieures, sont pleinement conscients de leur rôle dans l’évolution physique, sociale, culturelle, identitaire… de leur progéniture », constatent les expertes. Journaux et magazines ont commencé à publier sur le sujet dans les années 80. La Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 a joué le rôle d’accélérateur et les chercheurs ont suivi. Les parents, qui ne connaissent pas la recette magique pour parvenir à cet objectif nébuleux de bonheur, sont soumis à toujours plus de jugements, de l’école, des psys, des autres parents. Ils sont évalués, conseillés de manière contradictoire parfois, et la parentalité positive est mise à toutes les sauces. Certains ne discernent plus les priorités, se noient dans la suractivité et l’extra-scolaire pour satisfaire une exigence sociale, sur un temps toujours plus réduit.
Les symptômes
Doutes, fatigue, lassitude peuvent survenir. « Ma première fille dormait très mal. J’ai fini par traverser une pseudo-dépression latente. Je n’avais plus d’envie, plus de force pour aller faire du sport, voir des amis le soir. Je me posais devant la télévision pour me vider la tête, ce qui est contraire à ma nature. Mais il s’agissait plutôt d’un abattement passager », se remémore Johann Dintzer. Quand s’alarmer ? « Le petit «coup de blues» n’est pas grave s’il n’empêche pas d’aimer et de travailler, s’il s’estompe dès qu’on passe un bon moment avec son conjoint, des amis, ou seul en pratiquant un loisir. Le burn-out est caractérisé par un épuisement psychique et physique que rien ne vient soulager. La personne ne va par exemple plus être capable de se lever et d’amener son enfant à l’école, ou aura la tête parasitée en permanence par des ruminations mentales autour de sa condition », illustre Sarah Chiche. Isabelle Roskam et Moïra Mikolajczak discernent trois symptômes : l’épuisement émotionnel, le détachement émotionnel, la perte d’efficacité et d’épanouissement ; et si d’aventure deux des trois apparaissent, il y a lieu de s’inquiéter. Le premier est un sentiment de ras-le-bol permanent, de démotivation : « Tout devenait une montagne, je pensais que m’investir dans leur éducation ne servait à rien, alors qu’ils ne me donnaient de toute manière rien en retour », se souvient Sabine Larivière, chef de publicité à Issy-les-Moulineaux, mère de jumeaux de trois ans. Le deuxième est une distanciation, quand on n’écoute plus que d’une oreille distraite les enfants et ne montre plus qu’on les aime, s’en tenant à une routine. Le troisième est cette impression de ne pas être ce qu’on voudrait, de se sentir indigne d’être parent. « Ce qui alerte l’entourage est bien souvent le contraste entre l’avant et l’après. Un parent dépressif qui a toujours été distant et non-investi n’est pas en burn-out », remarque Isabelle Roskam. Les conséquences de cet état sont en tout cas voyantes : irritabilité décuplée, aggravation des addictions (caféine, alcool, jeux, shopping…), difficultés conjugales (disputes, baisse de la libido, besoin d’évasion) et problèmes de santé (diminution de l’immunité face aux virus, contractures…). Enfin, attention à ne pas le confondre avec la dépression, aux symptômes similaires. « Le burn-out est lié au contexte, et une fois que la personne en est extraite, elle guérit. Pas la dépression. Celle-ci se traite avec une psychothérapie, et des antidépresseurs si des idées suicidaires surviennent. Le burn-out se traite par un repos total, hors du contexte qui est source d’épuisement, et par une psychothérapie », distingue Sarah Chiche.
Faire le point
C’est la première étape, de bon sens. Les deux auteures proposent un test, qui analyse concrètement la situation. Il est évident qu’en cas de conjoint absent, d’enfants difficiles et de faible résistance au stress, le risque de burn-out est plus élevé. Le parent touché pourra ensuite s’attaquer à quelques facteurs déclencheurs, sachant qu’il ne pourra être sur tous les fronts en même temps. « Certains sont typiquement stables – par exemple la monoparentalité – quand d’autres sont malléables, comme les compétences émotionnelles », observe Moïra Mikolajczak. Il est préférable de choisir ceux sur lesquels on a un degré de contrôle – comme les horaires de travail par exemple –, ceux dont l’effet sur notre parentalité est direct et non indirect – s’entendre avec l’autre sur la stratégie éducative plutôt que s’attaquer à la qualité du voisinage. De même, mieux vaut privilégier ceux qui ont le meilleur rapport coût/bénéfice – organiser un soutien scolaire sera plus payant qu’essayer de convaincre l’autre parent divorcé de plus s’investir dans l’éducation –, ceux qui nous affectent le plus – demander aux grands-parents de s’investir, plutôt que chercher un appartement plus grand –, et ceux qui provoquent un effet domino – passer du temps avec les enfants générera forcément un climat familial et aura des conséquences heureuses.
S’aider soi-même
Il importe ensuite d’identifier ses émotions et de les nommer – « maman est énervée, papa est triste » – afin que l’enfant modifie son comportement en amont, et que la personne agisse pour diminuer son stress. « Cela permet de comprendre ses émotions et ses causes profondes, afin de ne pas punir exagérément. Les signes avant-coureurs peuvent être détectés, afin de faire un break au bon moment par exemple », conseillent les deux chercheuses. Les études montrent que pour éviter le burn-out, il vaut mieux partir plus souvent mais moins longtemps que l’inverse. Et pourquoi ne pas inscrire les enfants à une activité pour faire les courses pendant ce temps, imaginer des solutions créatives dans le quotidien, comme le covoiturage avec d’autres parents pour les navettes, en n’hésitant pas à mettre les conjoints ou enfants à contribution ? « Les pires moments sont pour moi les fois où mon mari se bloque le dos et ne peut plus être sollicité à des moments stratégiques de la journée, comme le temps du bain », note Sabine Larivière. Bref, exprimer ses émotions, les gérer, les anticiper, les contourner… « Prévenir le stress, c’est aussi accepter de ne pas se battre sur tous les fronts, mais de choisir ses combats », écrivent Moïra Mikolajczak et Isabelle Roskam.
Améliorer la relation avec l’enfant
Bien évidemment la coparentalité – soit la coopération pour effectuer le job de parent – est prépondérante. Tout devient pesant quand l’autre n’assume pas son rôle. Des mises au point sont nécessaires. Mais les ajustements doivent aussi et surtout être exécutés avec l’enfant : définir un cadre qui n’est pas trop compliqué, imposer des sanctions de mise à l’écart plutôt que des châtiments corporels sont d’une grande aide. Soigner son image de parent est aussi vital. Le journal de bord des enfants, de 3 à 10 ans, est bénéfique. L’enfant est invité à représenter ou écrire un moment qu’il a trouvé agréable dans la journée en compagnie de ses parents. « On peut le relire, le raconter régulièrement aux proches qui peuvent complimenter, comme d’ailleurs l’album photo », précisent les deux docteurs en psychologie. Relativiser, partager, contourner, semblent donc les mots clés pour ceux qui sont tombés dans le surinvestissement.
Julien Tarby