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En quoi la peur est-elle un sentiment noble et comment en tirer parti ?
Pourquoi avons-nous pleuré les premières fois que nos parents ont éteint la lumière ? Comment expliquer que notre oncle tant adoré, alors déguisé en Père Noël, nous ait donné le réflexe de nous protéger derrière la jambe de notre père ? Pourquoi l’école est-elle source d’angoisse et de pleurs les premières rentrées ? La peur est protéiforme, mais elle est surtout un sentiment sain et nécessaire. Elle est le point de départ de l’instinct de survie qui nous permet parfois de nous sortir de situations que l’on pensait inextricables. Plus largement, la peur appréhende l’ensemble de nos situations sociales et assure ainsi le contrôle et la gestion du corps et de l’esprit.
Un processus normal à ne pas minimiser
Même si vous le pensez, ne dites pas à votre enfant que sa peur est ridicule… La peur ne se crée pas ex nihilo et ce, quels qu’en soient les contours. Qu’elle vous semble infondée, dérisoire, ou exagérée, il importe de considérer chaque peur comme légitime. D’abord parce que l’expression d’une peur signifie la formulation d’un sentiment chez votre enfant. Prendre en compte, écouter, permet d’éviter de nier ce que ressent votre enfant. La peur est un message.
La peur ou l’angoisse ressenties traduisent l’appréhension d’un danger potentiel qu’il soit physique ou mental. Elles traduisent également une incompréhension qui se transforme dès lors en menace. La compréhension du monde fait ce faisant bouger les lignes. Elle permet de lever des angoisses grâce à une meilleure perception de l’inconnu, une meilleure acceptation de l’imaginaire.
Rappelons également que les experts s’accordent sur le fait que durant la période des trois-six ans, les enfants développent leur imagination et notamment celle de créer des scénarios effrayants voire de se les rappeler ensuite.
Apprivoiser les peurs passe bien évidemment par de l’écoute et de l’accompagnement.
Dépasser certaines craintes notamment liées à l’image que l’on renvoie est déterminé également par la manière dont vous insufflez la confiance à votre enfant… Sans trop en donner non plus. L’enfant qui dépasse ses craintes gagne en confiance, et s’arme pour l’avenir notamment pour les épreuves futures. Comme l’a écrit le célèbre pédiatre américain Thomas Brazelton : « Les adultes qui respectent le besoin qu’ont les enfants […] d’avoir peur devant les nouvelles expériences marquantes les aident en même temps à surmonter ces craintes, et à apprendre à affronter celles qui viendront par la suite. »
Vous l’aurez compris. Le but n’est pas d’effacer la peur ou de la contrecarrer. Votre rôle de parent quant aux effrois nocturnes, à la peur que suscite le berger allemand de votre tante ou à la crainte de l’inconnu lorsque tous vos invités pour la Saint Sylvestre ont décidé de claquer une bise à votre enfant qui ne les reconnaît absolument pas, est bien d’apprendre à faire avec sans surprotéger, ni ignorer.
Le rôle de la peur des enfants dans leur développement
Notons que les enfants traversent et rencontrent de nouvelles angoisses à l’aune de nouvelles expériences. L’inconnu, la façon de l’appréhender et le développement de nouvelles compétences pour se familiariser à un nouvel environnement et à de nouvelles relations forment un cycle d’apprentissage naturel. Souvenez-vous de l’attitude timorée de votre enfant la première fois qu’il a découvert le bassin de la piscine voire le pédiluve. Dans cette optique, la peur possède un rôle central, celui de se mobiliser pour mieux s’adapter à une nouvelle situation. Et par ce processus de familiarisation, l’enfant apprend peu à peu à mieux gérer ses émotions et surtout ses peurs. Le rôle du parent est ici manifeste. Il lui incombe d’accompagner l’enfant avec bienveillance pour lui donner confiance dans ce processus de gestion et de transformation des émotions. C’est pourquoi les spécialistes ne conseillent pas non plus de surprotéger l’enfant. L’angoisse exprimée des parents quant à une peur de l’enfant par une surprotection serait entendue par l’enfant comme une peur qui est difficilement dépassable. Ce surinvestissement parental pourrait donc à terme maintenir la peur en l’exagérant aux yeux de l’enfant voire en susciter de nouvelles.
Des peurs facilement domptables
Plus tard, l’enfant peut se sentir angoissé à l’idée de rencontrer des gens pour la première fois, ou même de voir des personnes qu’il voit par moments mais pas de façon régulière. Des best practices existent et elles sont faciles à mettre en place. Face à cette peur de l’inconnu, vous pouvez présenter les personnes que l’enfant rencontre en vous mettant à sa hauteur tout en lui laissant une période d’adaptation. L’erreur en général commise par les parents dans ce type de situation est de forcer l’enfant à aller voir la personne pour « être poli ». Autre peur courante, celle des animaux. Ici, il semble souvent conseillé de porter l’enfant et de le laisser se familiariser avec l’animal, ses bruits, son odeur, son comportement. La crainte de l’obscurité, elle, s’explique par une perte de repères. La veilleuse est alors un remède hors pair. Rappelons également que vers l’âge de raison, votre enfant débute dans ses facultés de sociabilisation. C’est d’ailleurs à cet âge qu’on indique aux parents qu’il semble à propos d’inscrire leur progéniture à un sport collectif. Et pas avant. Avant 6-7 ans, il est donc tout à fait normal qu’emmener votre enfant à la crèche puis à l’école maternelle soit vécu comme un arrachement au cocon parental.
Si la peur des orages, des animaux, des fantômes ou de l’obscurité se caractérisent par leur aspect passager, d’autres peurs peuvent s’installer plus durablement telles que celle du médecin, du dentiste, de la guerre ou d’un conflit suite au visionnage d’images d’actualités violentes. Surtout, passé 5 ans, surviennent les premières peurs sociales, celles de ne pas avoir d’amis, celles de se tromper, celle de devoir répondre à une question ou en poser une en classe, voire de réciter devant le groupe… Ces craintes durables sont d’ailleurs très proches de celles des adultes. Le trac avant de réciter un poème ressemble fort à celui qui arrive juste avant d’animer une réunion. La peur de se faire rejeter au collège peut faire écho à la solitude de l’étudiant qui quitte les repaires du lycée.
Bienveillance, choix des mots et littératures sont de mise
Dompter ses peurs permet à l’enfant de faire la distinction entre un danger tangible, une frayeur et une situation sans risque. L’expérience est ici déterminante. Le rôle des parents se situe donc dans la confiance qu’ils insuffleront à leurs enfants. Pour mettre vos enfants dans de bonnes dispositions, n’hésitez pas à leur faire exprimer leurs émotions positives comme négatives. Ce dialogue d’ailleurs ne doit pas être unilatéral. Vous devez faire de même et parler de vos peurs qui ne doivent cependant pas coller aux peurs de vos enfants. Le choix des mots et vos réactions sont déterminants. Ayez les mêmes réflexes que pour la nourriture. Vous ou votre moitié n’aimez pas les navets ! Votre réaction ne doit pas mimer le dégoût quand vous lui en faites goûter. De même pour les peurs. Prenez sur vous à la vue d’une souris, d’une araignée ou d’une chauve-souris… Au risque de transmettre vos peurs. Le choix des mots est également un chantier à travailler. Pensez à parler à votre enfant dans une démarche positive. N’induisez pas d’aspects négatifs qui permettent à l’enfant de penser plus facilement à l’inverse. Par exemple, ne parlez pas de la douleur qu’induit la piqûre du vaccin en disant que cela ne fait pas très mal… Dans tous les cas, votre enfant associera cet acte à de la douleur. En revanche, associez plutôt l’acte médical au courage dont il fait preuve et à la possible récompense. Montrez que c’est une bonne chose de le faire. Et surtout mettez en valeur ses réussites de façon très concrète.
La littérature de jeunesse ou l’animation sont également un bon ressort pour dédramatiser une crainte ou réfléchir sur la peur. Visionnez le génial « Mon voisin Totoro » ou « Le Royaume des chats » pour familiariser votre enfant à la faune domestique n’est pas une mauvaise idée. Ou regardez Belle et Sébastien si vous préférez… Côté albums de jeunesse, pléthore de livres existent pour rassurer ou du moins donner une autre vision des craintes enfantines. Il existe des albums très prosaïques tels que Tu peux compter sur Papa qui met en scène un ourson et son père et ses méthodes ingénieuses pour que son fils parte à la découverte de l’inconnu. D’autres œuvres sont plus conceptuelles et poétiques. Le monstre qui mangeait le noir, qui porte sur la nécessité de la nuit et de l’obscurité est une entrée intéressante pour discuter de la peur du noir de votre enfant via l’histoire d’un monstre qui dévore chaque coin d’ombre et qui finit par engloutir la nuit. L’enfant qui avait peur du silence est une métaphore du vide et des craintes liées à la mort ou à la disparition. Loulou à l’école des loups, lui, sur le sentiment de la peur en tant que telle. Bref le champ des possibles est ouvert pour commencer à faire parler votre enfant ou le pousser à adopter un nouveau regard dessus.
Geoffroy Framery