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La question de la fondation de l’autorité et de son intégration par l’enfant est cruciale pour les 6/12 ans. Rufo et Duverger pointent l’essentiel de l’enjeu que constitue l’appropriation du concept d’autorité, à l’âge tendre du primaire. « Dans les situations d’enfants tyranniques, il est important de faire la différence entre autorité et pouvoir, entre obéissance et soumission. » L’autorité est d’abord une autorisation à grandir, à découvrir le monde en mode sécurisé.
La transmission est au cœur de la relation parentale, mais c’est « l’autorité qui autorise » l’enfant à se séparer, se décoller, s’émanciper. Cette progression n’est possible que sous la protection de ce lien de confiance qu’est l’autorité, donnée par le parent et acceptée par l’enfant.
La séduction infantile tyrannique, un pouvoir sans autorité
Dans le cas de l’enfant tyran, les choses, bien évidemment, ne se passent pas de cette manière normale, normalité que la thérapie doit rétablir. Si l’enfant tyrannise, ce n’est pas le parent qui conduit le règlement familial. C’est L’enfant, chef de famille, comme l’explique Daniel Marcelli, pédopsychiatre, dans un livre qui porte ce titre (2016). L’enfant chef de famille qui fait régner le pouvoir, cette « autorité de l’infantile ». L’enfant tyran connaît toutes les ficelles du pouvoir, héritier de longue date qu’il est de « Sa Majesté le bébé ».
Sa Majesté le Bébé, dit Sigmund Freud dans Pour introduire le narcissisme (La vie sexuelle, PUF, 1977) est le prototype de tout enfant tyran. Il a su, dès le plus jeune âge, créer de subtils liens d’émerveillement dans une captation véritable du regard d’autrui. Par tous les moyens de ses expressions exacerbées, ses mimiques boudeuses, enjouées, charmantes par chacun de ses pleurs de détresse et par chacune de ses postures il a su former une séduction absolue, une conquête totale. Ainsi s’instaure le règne de la séduction, un pouvoir sans autorité, selon Daniel Marcelli in Le règne de la séduction, un pouvoir sans autorité (Albin Michel, 2012). Afin de régner ad vitam sur la sphère narcissique familiale sous tous les avatars de la tyrannie…
L’autorité enfin
Quand un parent bienveillant et mature a accepté, pour lui-même, de se frustrer de tout recours à la violence et à la séduction, libre à lui, alors, de proposer à son enfant de s’inscrire dans le registre de l’obéissance. Loin de la soumission, il propose à l’enfant d’accepter, librement, une relation d’autorité et non une relation de pouvoir. Ni emprise ni jouissance, mais une relation de confiance s’instaure sous le sceau de l’autorité. C’est le conseil princeps à faire comprendre aux parents d’enfants tyrans, parents en mal d’autorité.
Tout parent doit apprendre à être philosophiquement l’héritier d’Hannah Arendt, s’imprégner de sa sage réflexion sur la question de l’autorité. Qui n’est pas une relation hiérarchique, mais un équilibre asymétrique consenti en confiance. Hannah Arendt, philosophe allemande, naturalisée américaine en 1951, journaliste au New-Yorker, spécialiste de la question de l’holocauste, a travaillé sur le concept de la « banalité du Mal ». Puisse son éclairage sur la notion cruciale de l’autorité engager sur la voie du « bien » ceux des parents qui cherchent la lumière dans les heures sombres de la tyrannie infantile.
J’ai été élevé comme un Playmobil !
Et si l’enfant tyran était, constatation clinique banale, le symptôme de ses parents ? Tyran par procuration. Désigné par le sort familial à porter le fer de la tyrannie, comme l’héritage inconscient des conflits relationnels dans lequel il est pris (entre « trop grande présence parentale » qui empiète sur le moi infantile et « manque de représentation parentale ») ? Gabriel, petit patient/petit tyran de 9 ans, explique ce qui se cache derrière son comportement tyrannique déconcertant : « J’ai été élevé comme un Playmobil. » Ce que Gabriel semble vouloir dire, c’est que le caractère opératoire de l’éducation reçue de sa mère comporterait la conséquence de son caractère tyrannique. Dans un déroulé logique. À force de grandir, à marche contrainte dans un fonctionnement automatique auquel il lui aurait été impossible d’échapper, à force d’être agi par une impulsion maternelle dénuée d’affects, d’empathie ou de sensibilité à l’égard de sa subjectivité propre d’enfant, Gabriel se serait perdu lui-même dans l’univers inhumain de la tyrannie. Il aura fallu trois ans de thérapie pour que le petit bonhomme Playmobil retrouve visage humain et le port adéquat de son angélique prénom, Gabriel.
Par Catherine Dunezat, psychologue clinicienne.
Au Sommaire du dossier
L’enfant Tyran : il est né le devil enfant…
1. Baby tyrannie, de zéro à 3 ans
2. La tyrannie à l’âge de la maternelle : les enfants tyrans de 3 à 6 ans.
3. L’enfant tyran à l’âge du primaire, les 6/12 ans.
4. La tyrannie infantile au risques de l’adolescence : les 12/15 ans.