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750 millions, addition suffisante ?
Par Olivier Gergaud, professeur et directeur du centre d’excellence Food, Wine and Hospitality de Kedge Business School, école de management française présente sur 4 campus en France (Paris, Bordeaux, Marseille et Toulon), 3 à l’international (2 en Chine à Shanghai et Suzhou, et 1 en Afrique à Dakar) et 3 campus associés (Avignon, Bastia et Bayonne).
Depuis la mi-mars, le tourisme, l’hôtellerie et la restauration accusent une perte de quasiment 100 % de leur chiffre d’affaires. Pour ces secteurs ainsi que pour les arts, spectacles et activités récréatives, le confinement sera prolongé au-delà du 11 mai, sans aucune perspective de redémarrage à ce stade. Pour venir en aide à ces secteurs fortement touchés par la crise sanitaire, Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, a annoncé un plan de soutien de 750 millions d’euros. Les détails de ce plan ne sont pas encore dévoilés mais il devrait, a priori, consister en une annulation massive de charges sociales. Selon Olivier Gergaud, la stratégie la plus équitable serait de répartir cette somme à partir de critères d’efficience et moins d’équité car tous les établissements ne seront pas affectés de la même manière par cette crise.
De quoi parle-t-on ?
Les charges sociales correspondent aux cotisations sociales obligatoires. Elles sont constituées d’une part patronale qui n’apparaît pas sur les fiches de salaires et d’une part salariale qui y figure. La part patronale contient des cotisations de santé, de chômage, d’allocations familiales et d’assurance vieillesse. Le montant des charges patronales se situe entre 25 et 42 % du salaire brut.
Que représentent ces 750 millions pour ces secteurs ?
Selon les données de la caisse nationale des Urssaf, pour le premier trimestre 2019, la masse salariale cumulée des secteurs de l’hébergement, de la restauration et des arts, des spectacles et des activités récréatives s’élève à 8,1 milliards d’euros pour un effectif d’1,4 million de salariés (intérimaires inclus). Le secteur de la restauration, avec 56 % du total de la masse salariale et 62 % des effectifs salariés est de loin le plus concerné par cette mesure.
C’est à partir de cette masse salariale que sont ensuite calculées les cotisations versées à l’Urssaf. Si l’on s’en tient aux chiffres de l’an dernier pour le même trimestre et à un taux de cotisation moyen de 25 % de la masse salariale (scénario conservateur) on arrive à un chiffre de 675 millions d’euros par mois de charges pour l’ensemble de ces trois secteurs.
Le cadeau fiscal serait donc de l’ordre d’un peu plus d’un mois de cotisations pour les entreprises. Ce calcul ne concernerait ainsi pas les autres charges fiscales dont doivent s’acquitter les entreprises individuelles que sont la TVA, l’impôt sur le revenu et la contribution économique territoriale.
Comment répartir de manière efficiente cette somme ?
Répartir de manière équitable cet argent public entre tous les acteurs de ces trois secteurs serait probablement une erreur et ce pour plusieurs raisons.
- Tout d’abord, il semble important de tenir compte du niveau d’exposition au virus des établissements durant la période qui a précédé le confinement. Ce calcul est relativement simple à effectuer à partir des données publiées régulièrement par Santé Publique France.
- Les hôtels, restaurants ou salles de spectacle de Mulhouse ou Crépy-en-Valois n’ont vraisemblablement pas subi les mêmes pertes que leurs homologues situés dans des départements épargnés par l’épidémie à la mi-mars comme l’Ariège, le Cantal, la Creuse ou encore l’Indre. L’État pourrait ainsi simplement moduler son intervention en fonction des déclarations d’activités des établissements pour la période concernée.
Un autre critère à prendre en considération serait le degré de sensibilité aux revenus de l’activité. On ne dispose malheureusement pas d’étude économétrique sérieuse pour nous renseigner précisément sur ce point concernant le marché français, mais des études sur données américaines indiquent que les fast-foods obtiennent en général de meilleurs résultats comptables que les restaurants traditionnels en période de crise économique. Le recul du PIB à venir, inévitable et massif, pèsera donc plus sur les restaurants gastronomiques. Anticiper ces difficultés aurait du sens au plan économique et permettrait de protéger l’avantage comparatif de la France.
Il s’agirait enfin de tenir compte du fait que certains établissements de restauration, contrairement à d’autres, ont pu assurer une continuité partielle de leur activité en recourant aux services des entreprises de livraison à domicile ou en pratiquant la vente à emporter. Ces établissements ont moins besoin que les autres de l’aide de l’État. Les secteurs de l’hôtellerie, des arts et du spectacle ne seraient évidemment pas concernés par ce dernier point.
En résumé, le dispositif annoncé correspond environ à un mois d’exonération de charges sociales. Son efficacité déprendra de la manière dont l’État va choisir de répartir ces 750 millions d’euros entre les protagonistes. Dans l’urgence, il est à craindre que la manne ne soit distribuée de manière équitable plutôt qu’en fonction d’un critère d’efficience. La non-réouverture le 11 mai prochain de ces établissements forcera sans doute l’État à revoir sa copie et à amplifier le plan de soutien. L’adoption, dès maintenant, de bons critères de gestion s’avère donc d’autant plus stratégique.
Olivier Gergaud est professeur d’économie à Kedge Business School et chercheur affilié au LIEPP de Sciences Po. La plupart de ces travaux ont bénéficié d’une large couverture médiatique dans des médias tels que The New York Times, The Guardian, The Sunday Telegraph, The Washington Post, The Los Angeles Times, The Financial Time, Le Monde, France 5, France 2, Harvard Business Review, etc.