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On perçoit souvent l’école comme le temple de la méritocratie. Le lieu de tous les possibles pour de jeunes gens, pas toujours « bien nés ». Malgré tout, chaque année, ce sont quelque 100 000 jeunes qui quittent le système scolaire sans qualification ni diplôme. Les fameux « décrocheur·ses » ! Pour lutter contre l’échec scolaire – et donc le décrochage –, il reste essentiel de revenir sur les points de bascule des adolescent·es, ces moments où les jeunes perdent pied. Parmi ces étapes charnières, le collège.
Un enfant qui voit soudainement baisser sa moyenne générale, couplé à une perte croissante de motivation sur tout ce qui touche à l’école et ses enseignements ? Les signes avant-coureurs qui indiquent qu’un enfant-adolescent·e glisse sur la pente du décrochage scolaire. « Parfois, l’élève subit une chute de ses notes dans des matières qu’il affectionne, s’ensuit un désintérêt global de l’apprentissage », pointe Julie Boucon, cofondatrice de l’application Holy Owly, spécialisée dans l’apprentissage de l’anglais pour les enfants. À ces signaux, Élisabeth Elkrief, directrice générale de la fondation AlphaOmega, ajoute notamment « la passivité en classe, preuve d’un manque d’intérêt, et la généralisation de l’absentéisme ». Mais les symptômes ne sont pas les causes.
Expliquer le décrochage
« On voit des enfants arriver en 6e et déjà se considérer comme bons ou mauvais. Je suis nul en anglais, disent-ils en arrivant au collège, alors que l’apprentissage n’a pas encore réellement commencé. Avec deux fois 45 minutes de cours depuis le CP, c’est trop tôt pour tirer des enseignements sur son niveau, rien n’est figé », défend Julie Boucon. Une forme de fatalisme chez certains enfants, comme si les mauvais·es élèves des premières années garderaient ce statut. Ce n’est pas vrai. Ne nions pas pour autant le caractère essentiel des acquis fondamentaux (vocabulaire, lecture, écriture…) pour réussir plus loin dans le système scolaire. On observe des écarts de niveaux dès l’entrée en maternelle, ils résultent le plus souvent d’appartenances diverses à tel ou tel milieu social. Difficile de parler de mérite à cet âge. Le rôle de l’école tend ensuite à gommer ces inégalités de départ. Reste à savoir si la pédagogie utilisée dans les établissements bleu blanc rouge est la bonne ? « Les enfants se désintéressent car les outils ne conviennent pas, plaide Julie Boucon. Je crois qu’il faut s’adapter aux enfants, les outils numériques peuvent rendre l’apprentissage plus ludique, du moins bien plus que le traditionnel tandem papier-crayon », surenchérit la cofondatrice d’Holy Owly.
Mais c’est bien l’arrivée au collège qui risque de perturber les néoadolescent·es. L’entrée dans la cour des grand·es. « C’est le passage d’un cocon à un environnement moins familier pour les jeunes : beaucoup plus de professeur·es, les enfants ne connaissent personne – ou presque – en arrivant en 6e, c’est aussi un vrai changement de rythme et d’intensité avec davantage de cours et de devoirs à la maison », liste Élisabeth Elkrief. Bref, un changement radical jamais simple à appréhender quand on a 11 ou 12 ans. Ajoutez le début de la puberté : « L’adolescent·e se concentre à s’apprivoiser lui·elle-même, il·elle n’hésite plus à remettre en cause l’autorité, là où petit·e il·elle accomplissait ses actions en vue de faire plaisir à une figure adulte, les parents et les professeur·es. À la puberté, l’enfant va s’émanciper de ces moteurs de motivation extérieurs », explique la directrice générale d’AlphaOmega. Des raisons, plus psychologiques ici, à même d’entraîner un risque de décrochage. Enfin, le collège s’apparente au « ventre mou » de la scolarité, on a dépassé les fondamentaux et on attend le lycée… Le diplôme national du brevet n’a d’ailleurs rien d’obligatoire pour passer au niveau supérieur.
Quelles solutions ?
Changer la manière de faire. Et inverser le mode d’enseignement pour que « l’enfant devienne acteur de son apprentissage, propose Julie Boucon. L’enfant pourrait prendre connaissance de la leçon du lendemain la veille pour amorcer son intérêt et poser des questions le moment venu plutôt que de découvrir le jour j un ensemble de connaissances livrées de façon souvent unilatérale par le·la professeur·e ». Travailler ensemble aussi. Élisabeth Elkrief souligne l’intérêt de l’association Entreprendre pour apprendre qui propose à des groupes d’adolescent·es de travailler un projet, autour de la création d’une mini-entreprise. Chaque jeune se trouvera ensuite une place, un rôle, au sein de l’entreprise en fonction de ses propres goûts. Une manière de se projeter et comprendre qu’en pratique ce que l’on apprend à l’école sert dans la « vraie » vie. C’est aussi une vision de long terme, se montrer capable de remettre des satisfactions immédiates à plus tard. Une autodiscipline que tente de mettre en avant l’association Énergie jeunes.
Pourquoi, enfin, ne pas repenser l’orientation pour en finir avec le décrochage ? Dès la fin du collège, on demande à des adolescent·es de choisir. Mais opter pour telle ou telle filière, c’est rendre difficile parfois le retour en arrière en cas de mauvais choix, « notamment quand on souhaite revenir dans une filière générale après s’être engagé·e dans un domaine technique, c’est très complexe », soulève Julie Boucon. En plus des professeur·es et des conseiller·ères d’orientation, le mentorat est à son tour de nature à guider les élèves. L’Afev, Association de la fondation étudiante pour la ville, met en lien des mentors à domicile avec des jeunes pour des cours particuliers (gratuits pour un public défavorisé) qui vont viser à développer des compétences sociales et aiguiller les ados sur leur avenir. Car l’école ne peut pas tout. Même si elle tente au mieux de favoriser l’égalité des chances de toutes et tous.
Geoffrey Wetzel