Temps de lecture estimé : 4 minutes
Malgré les temps durs et les retards qu’accuse la France en bien des domaines, il est une chose qui ne change pas : les jeux de société ont la cote en France. À l’heure numérique, le bon vieux jeu de table, qui se partage en famille ou entre amis, reste très populaire dans l’hexagone. Mieux encore, la France est un des cadors européens et le plus gros marché du jeu en Europe. Ces derniers mois ont vu les ventes s’envoler.
Dans la famille des spécialités françaises, entre les bons petits plats et le bon vin, je demande les jeux de société. Non, cette spécialité-là ne se mange ni se déguste, mais elle est et reste bel et bien un classique indémodable des soirées en famille et entre amis bien de chez nous. Accessible et populaire (entre 10 et 40 euros en moyenne), le jeu de société ne connaît pas la crise, à l’instar du fameux Monopoly, classique (américain) parmi les classiques, créé en 1935 et qui continue de se vendre à 500 000 exemplaires annuels ! En France, on ne compte pas moins de 114 éditeurs de jeux de société et plus de 1 200 boutiques spécialisées. Il n’y a pas à dire, les Français.es aiment les jeux de société, une évidence pour Cynthia Deschamps-Reberac, commissaire général du Festival international des jeux de Cannes : « C’est devenu un objet culturel tendance, il y a un jeu pour tous les âges, tous les goûts, tous les prix, c’est l’occasion de se retrouver pour un moment convivial, loin des écrans. »
Et pour cause, si les Français.es en raffolent, c’est bien parce que le marché français du jeu de société n’est pas en reste.
Un secteur au top
Sur l’année 2019, selon une étude du groupe NPD, plus de 23,2 millions de boîtes ont été vendues en France (près d’une par seconde !), pour près de 578 millions d’euros de chiffre d’affaires. Avec plus de 1 000 nouveaux jeux publiés chaque année, le jeu de société français se porte très bien. La France est le cador européen du secteur, devant l’Allemagne, et peut compter sur des entreprises très dynamiques, à l’instar d’Asmodée, créé en 1995. L’éditeur du fameux jeu Jungle Speed s’est imposé comme un mastodonte français, leader du marché en France avec 24 % de parts de marché, devant les américains Hasbro et Mattel. Symbole de ce savoir-faire français, le Festival international des jeux se tient à Cannes depuis 1986. Devenu un rendez-vous incontournable, l’autre « festival de Cannes » est aujourd’hui le plus grand rassemblement du genre au monde. En 2020, il a rassemblé quelque 310 exposants, 5 000 professionnels et plus de 110 000 visiteurs.
Loin de stagner, le marché du jeu de société évolue, comme l’explique la commissaire générale du festival : « Au détour des années 2010, tout s’est accéléré avec l’arrivée de nouveaux éditeurs, de l’autoédition et du financement participatif, le monde du jeu est passé ces dernières années de l’ère artisanale à l’ère industrielle, les derniers rachats dans le secteur nous le confirment (Asmodée, Hachette). » En insistant sur le rayonnement du marché français et de son savoir-faire, Cynthia Deschamps-Rebérac pense que « la France peut se féliciter d’être devenu le fer de lance du monde ludique. Et nous parlons souvent de réussite française à l’export : on évoque désormais la french touch, les auteurs français s’exportent et le dynamisme de nos éditeurs contribuent pleinement au succès du jeu de société français ». Les marques françaises justement, qui représentent 15 % des ventes de jouets, affichent une dynamique remarquable. En 2019, elles ont connu une progression de 6 % de leur chiffre d’affaires et le secteur français du jeu a connu une croissance de 10 %. Une dynamique paradoxalement boostée par la crise sanitaire.
Le jeu de société, « gagnant » de la crise sanitaire
Confinement oblige, les Français.es sont resté.es chez eux.elles et se sont tourné.es vers des valeurs sûres pour les soirées en famille : les jeux de société. Chez Asmodée, on dresse le bilan : « Il faut reconnaître que l’on fait partie des marchés privilégiés, les ventes se sont plutôt bien comportées pour nous. Il faut souligner le dynamisme des distributeurs, qui ont de leur propre initiative fait des efforts de promotion des jeux pendant cette période. » Outre un engouement réaffirmé pour les jeux de société durant le confinement, le secteur a su innover. Asmodée a ainsi lancé sa gamme de jeux Unlock, capable de transformer son salon en salle d’escape game grâce à une application mobile.
Certes, les entreprises et les boutiques spécialisées ont souffert des fermetures forcées (chute de 25 % des ventes durant le confinement), mais le secteur dans son ensemble a su s’adapter. Beaucoup d’éditeurs ont offert des contenus gratuits, sous forme de « PnP » (print and play) et les joueurs se sont tournés vers les versions numériques de leurs jeux préférés. Depuis le déconfinement, la dynamique se confirme et se traduit par un bond des ventes de près de 15 % par rapport à l’an passé. Résultat : on estime que 80 % des pertes du secteur dues au confinement ont été récupérées entre le 11 mai et le 16 août. La dynamique atteint des croissances record, très encourageantes à l’approche des fêtes de fin d’année. On peut le dire, la crise a frappé le monde du jeu au moins mauvais des moments. Le secteur français du jeu de société n’aura pas attendu le plan de relance pour abattre ses atouts.
Adam Belghiti Alaoui