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Le gouvernement s’est entouré d’une armée de comité, alliance et consortium qui réfléchissent, échafaudent, supputent et sélectionnent…
« Mais de cela, le général de Gaulle ne s’est jamais beaucoup occupé. L’essentiel pour lui, ce n’est pas ce que peuvent penser le comité Gustave, le comité Théodule ou le comité Hippolyte, l’essentiel pour le Général de Gaulle, président de la République française, c’est ce qui est utile au peuple français, ce que sent, ce que veut le peuple français. J’ai conscience de l’avoir discerné depuis bientôt un quart de siècle, et je suis résolu, puisque j’en ai encore la force, à continuer de le faire. » Charles de Gaulle, lors d’un voyage à Orange, 25 septembre 1963.
On n’aura retenu, entre Hyppolyte et Gustave, que Théodule, pour désigner les comités et commissions de peu ou pas d’utilité. Et l’on sait bien que sitôt que se profile une question de quelque poids, portée ou polémique, le réflexe français est de créer l’un de ces comités délibérateurs constitués d’experts dans le meilleur des cas, de parasites à caser dans le pire, mais de toute façon, par définition, instances chronophages aux conclusions et avis tardifs ou inexistants. En 2014, on en dénombrait encore 600. Pas sûr que les promesses des gouvernements successifs attachés à en réduire le nombre soit parvenu à leurs fins.
Heureusement, le temps des comités et commissions est révolu. Ceux que pourraient susciter le gouvernement et la recherche sont tous désormais des entités « rapides et excellentes » qui ne parlent pas pour ne rien dire. Dès la survenue de la pandémie, le « gaullien » Emmanuel Macron, son Premier ministre et le ministre de la Santé ont d’abord appelé pour éclairer leurs décisions le « Comité scientifique » présidé par le professeur François Delfraissy. On ne mettra pas en doute l’excellence de ces dix membres sur les recommandations desquels le gouvernement a décidé un confinement et un reconfinement rigoureux. Remarquons simplement que le 11e expert fut récemment remercié, il s’agit du professeur Didier Raoult, le tenant de l’hydroxychloroquine, décidément trop polémique et trop peu disposé à partager la doxa scientifique pour continuer à siéger audit comité.
Mais sait-on que le 24 mars a été installé, selon la terminologie des commissions, un Comité analyse, recherche et expertise (Care), chargé d’« éclairer les pouvoirs publics dans des délais très courts sur les suites à donner aux propositions d’approche innovantes scientifiques, technologiques et thérapeutiques formulées par la communauté scientifique française et étrangère pour répondre à la crise sanitaire de la covid-19 et vérifier que les conditions de déploiement et de portage sont réunies […], de solliciter la communauté scientifique pour faire des propositions sur des thématiques identifiées par le ministère des Solidarités et de la Santé ou le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. » Un concurrent du premier Comité ? Non pas, puisque le Care, je cite, « travaille en lien étroit avec le Conseil scientifique déjà en place et a pour mission de proposer un éclairage public et indépendant. Deux membres du Comité scientifique sont également membres du Care ». Les deux comités macrophages (10 + 12 = 22 experts) s’interpénètrent donc, tels un virus une cellule…
Pour les décideurs, voilà un aréopage déjà fourni dont on a tout lieu de croire que la multiplication va accélérer la prise des bonnes décisions !
Mais plus l’on est de fous… Dans la mesure où la présidente de ce comité bis, qualifié de « comité d’expertise rapide » (sic, ce qui sous-entend peut-être que le premier comité ne l’est pas autant… ?) est présidé par la prix Nobel (pour ses travaux sur le VIH) Françoise Barré-Sinoussi, virologue virologiste, distinguée membre de l’Institut Pasteur/Inserm, l’on pouvait croire que les « laboratoires académiques » incontournables, l’Institut Pasteur et l’Inserm, étaient dûment représentés, d’autant plus que deux membres du Comité scientifique Delfraissy étaient eux-mêmes issus de ces institutions. Tout comme est représentée dans les deux comités l’Aviesan, l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé, créée le 8 avril 2009 dans le cadre de la Stratégie nationale pour la recherche et l’innovation (SNRI), chargée d’« accroître les performances de la recherche française ». Avec de tels comités alliés, la France devrait déjà avoir éradiqué le SARS-CoV-2 ou presque. À condition bien sûr d’en rajouter une louche. Versée par l’Inserm et l’Avesian sous la forme d’un troisième comité, un consortium (un mot qui se prononce en se gargarisant), le REACTing (pour Research and Action targeting emerging infectious diseases, soit la Recherche et l’action qui ciblent l’émergence des maladies infectieuses). Un pool multidisciplinaire d’équipes et de laboratoires « d’excellence » (c’est REACTing qui le dit), « afin de préparer et coordonner la recherche pour faire face aux crises sanitaires liées aux maladies infectieuses émergentes ». Mince ! Exactement la mission du Comité scientifique et du comité Care…
Armée d’une telle force de frappe, « rapide et excellente », la France en a fini avec les comités Théodule et s’engage résolument dans la recherche de vaccins et autres sérums, prêts dans… le temps qu’il faudra pour créer un comité d’accélération et de coordination des trois autres.
Olivier Magnan, rédacteur en chef