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Pourquoi ont-ils le regard fuyant et parlent-ils de manière si étrange ? Sont-ils totalement isolés ? Pourquoi ont-ils des rituels et des obsessions si fortes qu’ils piquent des colères noires lorsqu’on les contrarie ? Pourquoi semblent-ils ne pas comprendre ce qu’on leur dit et se mettent-ils soudain à tourner sur eux-mêmes ? Sont-ils capables de suivre une scolarité normale ? Jusqu’où peuvent-ils aller ? L’école leur réserve-t-elle une place ?… Ces enfants ont des comportements étranges, c’est vrai, et l’on a tôt fait de croire qu’ils n’ont leur place que dans des établissements médicaux spécialisés…
Derrière un mur de verre
Pourtant, l’école ordinaire peut beaucoup pour eux. Les enfants autistes ne souffrent pas de « psychose infantile », théorie freudienne qui a sévi en France pendant des années et qui a rangé ces enfants dans la case des « psychotiques ». On le sait désormais, ils souffrent de difficultés de communication, de perception, d’interactions sociales et d’imagination. On n’en connaît pas la cause. À cela s’ajoutent souvent d’autres troubles rendant leur vie quotidienne très difficile : retard du développement mental, maladies génétiques, troubles du comportement… « Ils sont comme derrière une paroi de verre qu’ils ne peuvent pas franchir, car ils manquent d’outils », explique Bernadette Rogé, psychologue clinicienne, professeur des universités et spécialiste de l’autisme. « Mais lorsqu’on les aide de façon adaptée, on trouve chez eux de la motivation pour rejoindre les autres. »
Diagnostic précoce
Etre diagnostiqué de façon précoce, c’est-à-dire avant deux ans, reste le meilleur moyen de les aider. Dans ce cas, leur prise en charge peut démarrer très rapidement et atténuera les troubles, sans pour autant les faire disparaître. On ne guérit pas encore de l’autisme. « Ces enfants sont suivis très tôt médicalement. Ils bénéficient d’un apprentissage éducatif et sont soutenus dans leur développement. On leur apprend à communiquer, ils travaillent leur autonomie et les compétences indispensables au succès de leur intégration scolaire future », poursuit Bernadette Rogé.
La France : mauvaise élève
Contrairement à la plupart des pays occidentaux, la France a pris un retard considérable concernant la prise en charge de l’autisme. Nombreux sont encore les enfants diagnostiqués trop tardivement qui ratent leur intégration scolaire. Une situation tellement dramatique qu’en 2004 la France s’est fait épinglée par le Conseil de l’Europe, qui a jugé déficiente sa politique en la matière. Résultat : deux plans successifs de prise en charge de l’autisme ont été mis en place. Le dernier date de mai 2008. Ces plans ont abouti à la création de vingt-six centres de ressources autisme (CRA), des lieux d’information comportant des centres de diagnostic de référence. On y pratique la recherche d’un diagnostic précoce et la prise en charge complète de l’enfant par une équipe pluridisciplinaire, composée de psychologues, de pédopsychiatres, d’orthophonistes, de psychomotriciens, etc.
Loi Handicap
La loi de février 2005 rend obligatoire l’accueil des enfants handicapés dans les écoles de proximité. « Certains enfants autistes peuvent ainsi passer leur bac et être scolarisés jusqu’à la fac », se réjouit Miguel Martinez, éducateur spécialisé au centre de ressources autisme Rhône-Alpes, « même si cela ne concerne évidemment qu’une faible minorité, comme les enfants souffrant du syndrome d’Asperger. Des autistes qui ont des capacités intellectuelles souvent exceptionnelles. »
Pour les enfants les plus touchés, la scolarisation classique s’arrêtera à la fin de l’école maternelle. « À l’adolescence, le nombre d’enfants scolarisés diminue encore, car l’environnement devient plus exigeant », note Bernadette Rogé. « Si ses déficiences intellectuelles ne sont pas trop importantes, l’enfant pourra suivre une scolarité ordinaire complétée par une rééducation adaptée », assure la psychiatre Sandrine Sonié, coordinatrice au centre d’évaluation et de diagnostic de l’autisme (CEDA) de Villeurbanne. « L’école offre deux possibilités. Soit l’intégration dans une classe normale avec l’aide d’une auxiliaire de vie scolaire. Soit la prise en charge au sein d’une unité pédagogique d’insertion (UPI) ; cette classe à faible effectif offre à l’enfant un environnement adapté, tout en lui laissant du temps avec les élèves ordinaires », explique la spécialiste. Parallèlement à cela, les enfants bénéficient d’une prise en charge médicale et rééducative, via des professionnels exerçant en libéral ou des structures spécialisées tels les SESSAD (services d’éducation spécialisée et de soins à domicile).
Les IME : un rôle à ne pas négliger
Pour les autres adolescents, l’intégration scolaire peut passer par des structures médicales tels les instituts médico-éducatifs (IME), les instituts médico-professionnels (IMPro) et les hôpitaux de jour. « Il ne faut pas du tout rejeter les instituts médico-éducatifs. Ils permettent parfois une scolarisation dans leurs murs ou dans une classe intégrée à un établissement scolaire, remarque le docteur Sonié. Pour certains adolescents, c’est une solution bien mieux adaptée que l’école, car on y fait un gros travail sur l’autonomie et la vie quotidienne. »
La fin des années noires ?
« Nous sommes sortis des années noires et l’on sent désormais que la volonté de l’Etat est très poussée », accorde Marielle Touren, mère de Terence, un adolescent autiste de 16 ans. «Mais en réalité, personne n’est prêt sur le terrain », poursuit-elle. Les mesures annoncées en mai dernier par Nicolas Sarkozy pour les cinq prochaines années en faveur de l’autisme sont en fait bien loin des attentes des familles.
La Belgique : issue de secours
En ligne de mire : le manque de structures (UPI, IME, SESSAD, établissements spécialisés) et d’auxiliaires de vie scolaire. Il y aurait, selon un rapport rendu fin 2007 par le Comité consultatif national d’éthique, « 3 500 enfants et personnes adultes atteints de syndromes autistiques, de troubles du comportement ou de handicaps mentaux accueillis dans des instituts médico-pédagogiques de Wallonie, en Belgique ». Le dernier plan autisme prévoit tout de même 4 100 nouvelles places, toutes structures confondues. À peine de quoi absorber les 4 000 à 6 000 naissances d’enfants autistes tous les ans… Autre problème : le lycée. Après la classe de troisième, « il n’existe que quelques rares classes post-UPI en France, dont deux seulement à Paris. Les adolescents ayant un handicap moins lourd peuvent suivre par exemple des cours de CAP avec quelques aménagements », confirme Claire Jacob, enseignante dans une UPI parisienne.
Réticences du corps enseignant
Autre réalité, le manque d’information à l’école. Qu’il s’agisse d’enseignants, d’élèves ou de parents, les mentalités ne semblent pas encore prêtes. « Beaucoup d’enseignants refusent que l’on prenne sur le temps scolaire pour informer sur l’autisme, note Bernadette Rogé. En conclusion, on le fait hors temps scolaire, avec des enseignants de bonne volonté. Les autres ont peur et sont souvent réticents à l’intégration. Ils pensent que les autistes n’ont pas leur place à l’école. » Ça bouge tout de même. Le plan autisme prévoit, pour les parents d’enfant victime de ce handicap, l’élaboration d’un « socle de connaissances » qui sera diffusé auprès des professionnels.
C’est une petite victoire pour les familles, qui essuient encore beaucoup de refus de scolarisation de la part des écoles…
ABA ET Teacch : un espoir ?
Les parents ont développé de nouveaux chemins vers l’école grâce aux méthodes de prise en charge éducatives exportées des Etats-Unis et d’Europe du Nord. Il s’agit de l’ABA (lire ci-dessous et du programme Teach (traitement et scolarisation des enfants autistes ou atteints de troubles de la communication similaires). Ces programmes comportementalistes sont reconnus et développés dans le monde entier sauf… en France, où la prise en charge de cette maladie reste avant tout médicale ou psychanalytique. Pour la psychiatre Sandrine Sonié, ces programmes novateurs peuvent très bien convenir à certains enfants, à un moment donné. Des centres fondés sur ces nouvelles méthodes émergent peu à peu, sous l’impulsion des parents. Dans de nombreux cas, ils permettent aux enfants de réintégrer l’école. Le plan autisme se fixe pour ultime objectif de prendre en compte ces nouvelles approches.
Dates importantes :
1996 : L’autisme est reconnu comme un handicap.
2004 : La France est épinglée par le Conseil de l’Europe pour non-respect de ses obligations éducatives envers les personnes autistes.
2005 : Intégration scolaire obligatoire des jeunes handicapés (loi handicap).
2005-2007 : 1er plan autisme.
2008-2010 : 2e plan autisme.
15 novembre 2008 : Journée nationale d’Autisme France au Palais des congrès (Paris).
C’est quoi l’A.B.A ?
L’« A pplied behaviour analysis » est une méthode comportementale destinée à favoriser le développement des enfants autistes et à faire diminuer leurs comportements problématiques. S’ils sont pris en charge avant 4 ans et sur plusieurs années, une grande partie d’entre eux parvient à intégrer le milieu scolaire ordinaire. Trois centres ABA en France : Villeneuve d’Ascq, Paris et Arcachon. Infos : www.fondationautisme.org.
Ne jamais renoncer à l’école Dr Sabine Sonié Pédopsychiatre
Alexandra Ronssin : Pourquoi la scolarisation est-elle si importante aux yeux des parents d’enfant autiste ?
Dr Sonié : Quand leur enfant est tout petit, c’est-à-dire en âge d’aller à l’école maternelle, les parents ont souvent l’envie et le besoin qu’il expérimente la scolarisation et on le comprend. À l’adolescence, c’est différent : l’intégration scolaire est perçue par les parents comme une chance pour leur enfant, ils ressentent moins le sentiment d’exclusion.
Alexandra Ronssin : Pour vous, doit-elle être un principe ?
Dr Sonié : Non, pas en tant que tel. Mais je dis aux parents : ne renoncez jamais à vos choix, passez par la scolarisation et battez-vous pour cela si vous pensez que c’est important pour votre enfant. Si ce choix ne fonctionne pas ou s’avère mal adapté, on vous aidera et on aidera votre enfant à trouver la meilleure prise en charge pour lui. Il faut encourager les parents. Même quand je ne suis pas d’accord avec eux, j’essaie au moins de leur apporter mon soutien.
Enquête réalisée par Alexandra RONSSIN