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Quels bienfaits de l’intergénérationnel ? Et que faire en tant que parents pour encourager à recréer du lien entre générations ?

Alexis de Tocqueville écrivait dans « De la Démocratie en Amérique » : « Ainsi, non seulement la démocratie fait oublier à chaque homme ses aïeux, mais elle lui cache ses descendants et le sépare de ses contemporains ; elle le ramène sans cesse vers lui seul et menace de le renfermer enfin tout entier dans la solitude de son propre cœur. » Dès le XVIIIe siècle, le lien entre générations s’est distendu, l’individualisme prévalant à l’aune du libéralisme pour oublier l’esprit de filiation et de perpétuation d’une famille. Esprit, d’ailleurs, qui a obligé le législateur à statuer et expliciter les devoirs des parents à l’égard de leurs enfants et de leurs parents. Cf. les articles 201 et 203 du Code civil. Ou pour les paresseux, regardez à nouveau le savoureux « Tanguy » d’Etienne Chatiliez. Aujourd’hui donc, peu nombreuses sont les familles qui respectent encore le schéma qui voyait cohabiter plusieurs générations. L’éclatement social est un état de fait, tout en laissant parfois quatre voire cinq générations se côtoyer. L’esprit de solidarité familial et intergénérationnel s’est donc érodé au profit de la réalisation personnelle. Pourquoi s’occuper des seniors lorsqu’un mariage sur deux se conclut par un divorce qui lui aussi participe à l’éloignement des générations ? Les raisons qui expliquent que le lien intergénérationnel ne soit une évidence en 2016 sont pléthores. Pourtant, allier les jeunes générations aux plus anciennes, mettre en œuvre du lien intergénérationnel n’est pas qu’une simple manière de calmer votre ado hyperactif ou de maquiller de jouvence l’après-midi Scrabble de vos aînés. L’intergénérationnel induit un esprit solidaire, sans cesse abordé par l’agenda politique et mis en exergue par de nouvelles formes de bénévolat et d’action. L’apport est bien plus riche et nécessite pour être optimal que vous, parents, y jouiez un rôle de premier ordre.

Élément incontournable du vivre-ensemble

L’intergénérationnel est porteur de vertu. Entre autres, en matière d’éducation par exemple. Mais le renforcement des liens sociaux entre plus expérimentés et plus jeunes incarne d’abord un levier de la lutte contre l’isolement. Ce lien, sorte de prolongement des relations grands-parents/petits-enfants, dans la bienveillance qu’il évoque, permet de développer et de pratiquer de nouveaux usages solidaires. Isabelle Dumro, directrice du Centre de rencontre des générations, émanation de l’association des Petits frères des pauvres complète : « Le rôle des parents est de privilégier la relation grands-parents et petits-enfants notamment par la transmission du parcours de vie ». De même, l’association Nantes’Renoue met étudiants, jeunes travailleurs de moins de 30 ans ou chômeurs avec des personnes du troisième âge pour partager le domicile de ces dernières. Derrière le pragmatisme de cette solution économique, l’association Nantes’Renoue ambitionne un réel échange entre les deux parties. Les projets intergénérationnels fleurissent et sont également un excellent prétexte pour multiplier les actions de type collaboratif et écologique à l’image des jardins intergénérationnels de « Beynes en transition », récompensé par la palme 2016 de l’initiative intergénérationnelle pour avoir mis en place de la cohabitation, de l’exploitation de jardins et de l’autopartage entre jeunes et seniors.

Education et transmission, le rapport gagnant-gagnant

Outre cette dimension sociale, la rencontre des générations est également un moyen de lutter contre l’échec scolaire. Carole Gadet, spécialiste de la question intergénérationnelle, développe depuis près de 20 ans des initiatives à ce sujet pour mettre en lumière les apports de ce mieux vivre ensemble tout en essaimant ces projets au niveau national et international. L’association « Ensemble demain » permet ainsi d’évangéliser de nouvelles pratiques pour recréer du lien sur la durée. Ici, les personnes âgées sont considérées comme un vecteur de savoir, de valeurs et d’affect. Le projet intergénérationnel « Ensemble demain  » va permettre aux enfants de retrouver auprès des anciens les notions de respect et de tolérance, et va favoriser les apprentissages. D’après l’association, « ce projet est une véritable leçon de vie, qui vaut beaucoup plus qu’une leçon de morale, dans un monde où les liens affectifs et les valeurs essentielles tendent à disparaître ». Ce plan d’action se décline de différentes façons : partenariats entre le milieu scolaire et périscolaire (écoles, collèges, lycées), universités, grandes écoles et maisons de retraite/clubs du troisième âge/associations de retraités autour d’ateliers, création dans les écoles de clubs du troisième âge ou maisons de retraite, des ateliers pédagogiques bien spécifiques : lecture, histoire, contes, plantations, travaux manuels, gymnastiques, arts plastiques, chants, nouvelles technologies… L’association favorise aussi dans les classes un travail autour de l’histoire et du patrimoine en faisant intervenir des retraités, anciens résistants, anciens enfants cachés et déportés qui témoignent, permet aux enseignants et aux élèves de se rendre dans des lieux de mémoire, monte des pièces intergénérationnelles en collaboration avec des théâtres nationaux et intervient dans la création de documentaires, de conférences, de colloques, et d’expos intergénérationnelles. En tant que parent, il importe donc de vous mobiliser pour faire du partage réciproque et de la transmission des clés du vivre-ensemble.

Isabelle Dumro ajoute : « Les personnes âgées sont une ressource sous-estimée. Elles peuvent faire vivre certains cours d’histoire. L’apport de nos résidents se réalise en matière de connaissances historiques, de traditions, de patrimoine pour une ville, une région. C’est une forme de savoir que l’on n’acquiert pas obligatoirement par les biais classiques. Ils peuvent ainsi donner du sens à transmettre par rapport aux événements d’aujourd’hui et faire par exemple un parallèle entre leur souvenir de la guerre et le terrorisme actuel. Nous avons ainsi monté le projet « Envie de mémoire » où les personnes âgées hébergées nous ont relaté leur expérience pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Indochine ou la guerre d’Algérie. »

Si les projets fourmillent pour développer à nouveau l’intergénérationnel, soyez conscients que vous avez un rôle à jouer. Celui de sensibiliser vos enfants à ces enjeux dès avant de les plonger dans l’une des initiatives décrites. Il vous incomberait donc la tâche, chers parents, de préparer non seulement vos enfants mais aussi vos propres parents. Ce faisant, l’association « Ensemble demain » prévoit de nombreux modules de formation pour préparer les équipes pédagogiques, les élèves, les personnes âgées, afin de dépasser les biais cognitifs et les préjugés tant chez la jeunesse que chez les personnes âgées. Oublier ce qui rebute, la maladie, la vieillesse ou encore les limites physiques des seniors.

Des vertus insoupçonnées

Erwann Quemere, salarié de l’association Nantes’Renoue illustre : « Nous avons été primés deux fois récemment. Une première fois par la fondation SNCF par rapport à notre idée de mettre en place de la solidarité entre voisins valides et handicapés et une seconde fois par la fondation BTP pour créer du lien entre retraités du bâtiment et des jeunes qui commencent leur vie professionnelle ». L’idée en l’occurrence est de décliner le concept lié au réseau COSI, réseau de 28 associations dont Nantes’Renoue fait partie : celle d’héberger gratuitement des jeunes, chercheurs d’emploi, et des étudiants avec des personnes d’au moins 50 ans pour rompre la solitude et créer un lien insoupçonné. Adapté au BTP, le rapport est d’emblée gagnant-gagnant : les jeunes, sans être mentorés au sens littéral, peuvent bénéficier d’une expérience les concernant très pragmatiquement. De même, le lien entre senior et jeune adulte est tout de suite plus aisé, la connivence professionnelle aidant.

« Après 11 ans d’expérience, nous avons placé 450 jeunes chez 185 seniors. Le public s’est élargi au fil des années. Nous constatons également que la demande est plus grande que l’offre. Pour les parents, il faut bien comprendre que s’ils souhaitent faire cohabiter leur enfant chez un senior, il doit être mature, altruiste et doté d’une fibre sociale. Les jeunes ne doivent pas attendre des personnes âgées qu’elles prennent leur vie en main », ajoute Erwann Quemere. Mais les conséquences bénéfiques de ce type d’initiative ne sont pas qu’à direction des seniors : pour le jeune, il s’agit aussi de rompre avec une forme de solitude qui touche chaque étudiant ayant choisi de migrer dans une nouvelle ville pour suivre le cursus de son choix. « Les conditions de travail aussi sont réunies pour la réussite des études. Et bien évidemment, les rapports sont aussi axés sur la transmission de conseils et le partage de moments conviviaux », poursuit le salarié de Nantes’Renoue.

Trois principaux sites existent pour se renseigner sur ces différentes initiatives : ceux de « DiGi 38 », du réseau COSI et celui de « Ensemble 2 générations ». Force est donc de constater que la société civile main dans la main avec l’Etat a pris à bras-le-corps cette question sociétale du manque de lien entre deux générations. Mais cette bataille contre l’indifférence, et la qualité de vie des seniors, présentent encore de nombreux chantiers. Isabelle Dumro travaille dans le but de « créer des indicateurs sur les bienfaits de l’intergénérationnel. Nous avons monté un jardin avec un volet soin. Dans le cadre de cette thérapie par le jardinage, nous avons mis en place des indicateurs. Nous allons nous en inspirer pour en créer de nouveaux dédiés spécifiquement à l’intergénérationnel ». Reste que selon le site SilverEco, en 2050, la France métropolitaine compterait un nombre de seniors estimé entre 61 et 79 millions d’habitants selon les différentes hypothèses de fécondité, de mortalité et de migrations. Près d’un habitant sur trois aura plus de 60 ans, contre un sur cinq en 2005. Un chiffre à méditer d’autant que la technologie ne pourra bien évidemment pas supporter à elle seule la qualité de vie des personnes âgées.

Geoffroy Framery

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