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L’école à la maison ? L’école à l’école ? L’école depuis votre bureau ? Mais où est donc passée l’école ? L’école est partout. En tout cas, l’école est omniprésente dans votre vie, dans votre tête et dans votre cœur de parents, en ces temps de covid-19. Elle lui en volerait même la couronne à ce fichu corona ! L’école avant, l’école après, l’école maintenant : mode d’emploi pour les parents.

Le 11 mai 2020, l’école de la République « entrouvre » certaines de ses portes. Annonce faite aux Français.es deux mois plus tôt, quasi-jour pour jour, le 12 mars, rappelons-le, par Emmanuel Macron. Après avoir élu domicile chez vous, l’école déménage et retourne vivre chez elle. Vos enfants aussi, certains seulement, si et seulement s’ils fréquentent la grande section de maternelle, le CP ou le CM2, et seulement par épisode et par roulement : l’école, ce n’est pas tous les jours, ce n’est pas toute la classe et ce ne sont pas tous les niveaux !
Après la prérentrée des enseignants, le 11 mai, 40 000 écoles environ ont effectivement été rouvertes, le 12 mai, un peu partout sur le territoire. 40 000 parmi les quelque 55 000 que compte la France. Là où les conditions sanitaires et les autorisations communales délivrées par chaque maire le permettaient. Là où les écoles n’étaient pas trop dans le « rouge » pandémique. Puis une cinquantaine d’écoles se sont déjà refermées le 18 mai après une brève réouverture la semaine du 11 mai, dans la Sarthe, en Loire Atlantique, en Mayenne, à Brest, à Toulon, à Montpellier, Poitiers, Tours, et en Dordogne : 70 cas de covid-19 déclarés, tout cela en une semaine. Alors ? Retour à la case maison (lire encadré Carte des refermetures) ?

Quelques clés pour ce nouveau parcours du combattant

On l’aura compris, l’école d’après sera une « confluence ». Confluence de tous les savoirs que l’on pourra organiser autour de l’enfant, de toutes les transmissions qu’il sera possible d’envisager et de tous les moyens disponibles que l’on pourra utiliser en termes de ressources. Jean-Michel Blanquer le dit : l’école de demain sera « à distance ». Mais enseigner à distance s’apprend. « Sur le tas », certainement, mais pas seulement, que l’on soit enseignant ou parent.
Endurance et créativité, persévérance et pugnacité, conciliation et négociation sont à l’ordre du jour… et des jours à venir. Nous avons tous fait l’expérience d’une situation peu claire autour des prévisions du 11 mai de réouverture des écoles. La fameuse « image aux phylactères » du ministre qui a circulé sur les réseaux sociaux résume bien le dit et le non-dit des prévisions ministérielles empreintes d’un flou pas toujours rassurant.

Retour sur une réouverture parfois impossible

Le 11 mai, les enseignants et les parents ont reçu de la part du ministre Blanquer des consignes pour la reprise des cours, sur un mode courtois mais injonctif, avec une déclinaison de mesures protocolaires, parfois paradoxales, toujours rigides et souvent approximatives.
Vite ! Rouvrir l’école pour éviter l’effondrement de l’économie en libérant les parents ?
C’est ce qu’aurait pu comprendre une oreille attentive… C’est l’école qui va sauver l’économie, le monde et la planète. Ce qui est au final sa destinée véritable. Dans l’idéal. Rouvrir comment ? Vite !
Vite, après publication de la circulaire de réouverture, vite, des « mesures » plus ou moins bien taillées sont répertoriées au sein d’un document de quelque soixante pages : le fameux « protocole sanitaire ». Dont seule la France produit la recette. Un engrenage autobloquant de procédés. Car le protocole se révèle, à vue de nez, inapplicable en maternelle et dans les cours de récré, tous niveaux confondus de la petite section au CM2. Renvoyé par ses interlocuteurs, professionnels ou journalistes, à ses propres consignes nombreuses mais floues, le ministre de l’Éducation nationale a fini par lâcher, de guerre déjà lasse peut-être, des « je ne sais pas » des « faites au mieux » et « des faites preuve de bon sens ».
L’imbroglio qui n’a pas échappé aux municipalités mises en demeure dans l’urgence d’appliquer ledit protocole sanitaire dans l’impréparation, le manque de personnel et de matériel spécifique. Car si l’éducation est nationale, l’école reste communale. Raison pour laquelle près de 15 000 écoles n’ont pas rouvert. Sur le nombre, certaines ne rouvriront pas du tout, ni en mai ni en juin et pas avant septembre 2020, pour autant que l’épidémie l’autorise.
Aux grandes décisions ministérielles répondent le pragmatisme du terrain et le socle de la réalité. Dont vous êtes, vous, parents et vous, enseignant.es, vous, maires et élus locaux. Le socle commun, en l’occurrence, de l’enseignement de demain, ce sera la confluence entre les compétences parentales et les compétences professorales. Le contexte scolaire urbi et orbi est pour le moins évolutif en ces temps de covid-19.

Aider votre enfant à reprendre la classe à l’école sans perdre le fil de l’école à la maison.

Au mieux, l’école de votre enfant a rouvert en mai. Sinon, ce sera en juin. Au pire en septembre : à vous de jouer. En parents avisés que vous êtes, vous avez sûrement veillé à garder, durant le tout confinement, un rythme, une organisation qui reprenait, un peu, beaucoup, voire passionnément ce je-ne-sais-quoi des rituels scolaires chers à vous-mêmes comme à vos enfants… Vous avez veillé à garder le bon goût de l’école, l’école labélisée « home made ». Vous avez su garder le rythme, vous avez bien fait. Maintenant, vous devez passer le relais. Dans ces jours qui précèdent le retour à l’école, vous allez vous baser sur tout ce qu’il y avait d’école à la maison. Ces « petits greffons d’école » conçus par vous à la maison, cultivés par vos soins sous les conseils professionnels de la maîtresse, il va vous falloir en réussir la transplantation à l’école, sur un temps maintenant partagé. Votre enfant sera un intermittent et vous des équilibristes.
Le but que vous allez devoir poursuivre ainsi est de réveiller, potentialiser chez votre enfant toutes ses compétences psychosociales. Il vous faut stimuler chez lui.elle l’art précieux du « vivre en classe », on pourrait dire le « revivre en classe » en contexte de postconfinement. Mais aussi du « vivre avec » la covid-19, ensemble. Un ensemble qui prend ses distances.
Invitez votre enfant à s’exprimer sur les ressentis qui lui sont venus durant le confinement. Bien sûr, ces ressentis, il.elle les aura déjà évoqués, au fil des jours, de manière parcellaire, au gré des événements et à la mesure de la compréhension et de la lecture que vous pouviez lui en donner lorsque vous étiez, vous-mêmes, adultes, saisis par l’effroi et la tourmente crées par la pandémie.Mais il s’agit, maintenant, de tenter autre chose.

Historiciser le confinement

Il s’agit de faire entrer les émotions, les ressentis, les peurs, les joies de votre enfant dans une histoire, celle de « son vécu » du confinement. Historiciser le confinement. Le sien. Puis, l’histoire du confinement ainsi posée, dessinée ou écrite, guider votre enfant, l’amener, pas à pas, vers d’autres représentations que celles du confinement. D’autres représentations que celles, possiblement traumatiques, d’une école qu’il a fallu fuir, sans préavis mais pour la vie. Pas facile.
Ces représentations vont servir à relier le « passé d’il y a deux mois » et l’avenir d’ici à quelques jours ou mois, avenir proche du retour en classe. Avec l’idée que les gestes barrières tiendront cette fois le danger en respect. Et l’école ouverte ou entrouverte. Sans risque majeur.
C’est l’évocation claire des souvenirs de sa classe qui aidera à faire lien. C’est l’évocation claire des souvenirs de sa classe qui fera que le.la petit.e laissera le confinement dans un arrière-plan intermédiaire moins « chaud ».

Un petit livre pour servir de support

Pour vous accompagner à tourner la page du confinement (niveau maternelle), lire Robin est confiné à la maison, de Ado Riana, 2020, Paris, livre gratuit en version imprimable en flashant le code à gauche ou bien en vidéo en ligne avec le code à droite :

Il s’agit de faire verbaliser à votre enfant les ressentis et les émotions du confinement. Telles que la tristesse de ne plus aller à l’école, la colère, la joie d’avoir pu rester à la maison avec parfois ses deux parents rien que pour soi, la peur d’attraper le virus ou que les grands-parents âgés ne meurent, c’est un support utile pour passer l’étape de l’historisation personnelle du confinement, si votre enfant ne parle pas spontanément. Il. elle pourra, avec Robin, se projeter par le biais des illustrations. Si malgré tout rien ne vient, il est inutile d’insister, surtout si vous rencontrez vous-même des difficultés, ça peut arriver, à mettre des mots sur vos propres émotions. Il est inopportun de chercher à tout prix à faire parler quand ce n’est pas le bon moment pour votre enfant. Sachez qu’à l’école, s’il y retourne, les professionnels sauront si besoin prendre cet aspect en compte. En groupe de parole dans la classe, par exemple. Y préparer votre enfant est un point positif, mais ce n’est pas un prérequis indispensable, seulement une étape possible sinon souhaitable.

La mascotte de la classe : un objet transitionnel

Dans la perspective du retour à l’école et si votre enfant fréquente la maternelle vous pouvez, par exemple, évoquer le souvenir de la mascotte de la classe, son nom, ce qu’elle faisait – parfois les mascottes jouent un rôle important durant les rituels : le calendrier, le positionnement sur la frise des jours, la météo, le comptage des enfants, l’inscription des absents dans le tableau des absents… Peut-être la mascotte a-t-elle une comptine préférée ? Peut-être s’est-elle ennuyée loin des enfants ? Depuis combien de temps ne l’a-t-on pas vue en vrai ? (même si la maîtresse l’a montrée en classe virtuelle ?).
La mascotte connaît sûrement déjà tout des gestes barrières et saura jouer son rôle de fédératrice et de protectrice de tous : elle portera sûrement un masque, d’ailleurs, qui sait ? La mascotte n’a sûrement pas oublié le nom des copains : vous pouvez aider votre enfant à s’en remémorer la liste, l’aider à évoquer ses amitiés, les jeux que l’on partageait il y a si longtemps et si peu de temps à la fois. Quels enfants auront manqué au vôtre ? Sera-t-il content de les retrouver et qu’aimera-t-il leur dire ?
Évoquez les jeux de collaboration entre élèves pour indiquer à votre enfant qu’il.elle va devoir renouer avec le partage entre pairs, que les interactions, bien que distanciées, seront de nouveau marquées par d’autres règles que familiales et fraternelles.

Philosophie de l’écart et compétences psychosociales

Les enfants ont la capacité de se relier à la vie malgré par le plaisir du jeu et l’évocation des mille petites choses partagées. Ils. elles auront cependant à créer un nouvel espace commun soumis aux nouvelles contraintes sanitaires. Ils. elles auront à créer une nouvelle dynamique de groupe, hybride entre les modalités passées, les traces et souvenirs d’avant et les nécessités de la lutte contre l’épidémie en milieu scolaire. Les gestes barrières, ils.elles devront savoir les assurer : vous leur aurez appris tout ce qui est nécessaire. Comment recréer du lien en respectant les règles sanitaires sera la question essentielle de la reprise de l’enseignement présentiel.

Du bon usage des gestes barrières

Avant le confinement à l’école on pouvait… jouer avec les copains. Maintenant, on peut toujours mais il faut faire attention à ne pas s’approcher, à ne pas se toucher et respecter les nouvelles règles. Votre enfant devra gérer seul ses quelque 4 m2 de territoire personnel et sanitaire… et respecter ce périmètre de sécurité pour lui.elle-même et pour les autres. Les boîtes de jeux et de matériel scolaire seront individualisées : on ne pourra rien se prêter ou échanger à part les sourires et les idées. Les aires de jeux seront balisées, repérées. Tout une philosophie de l’écart présidera aux nouvelles règles du vivre ensemble. Les rituels de lavage des mains ponctueront régulièrement le temps scolaire. Il faut repenser toute la socialisation, les règles de déplacements, l’accueil, le regroupement et intégrer émotionnellement et cognitivement les modes de fonctionnement et d’usage… à peu près pour tout. Y compris les croisements dans les couloirs. Et tout l’espace de la récréation, les séances d’EPS sans matériel : le virus ne doit pas profiter du rebond du ballon. Rien ne lui sera concédé. Des nouvelles situations de jeux seront présentées qui intègrent la méditation, des pratiques proches du yoga, la découverte de la respiration, la danse individuelle, le mime. Dans le respect rigoureux des gestes barrières.

Éloge de la connivence pédagogique parents/enseignant.es

Les liens établis entre enseignants et parents durant le confinement ont renforcé ou parfois même créé une véritable relation de confiance de partage et de solidarité réciproques.
Cette relation s’est, la plupart du temps, constituée par le biais d’échanges de mails quotidiens, de distribution concrète de documents papiers ou de matériel informatique – parfois des tablettes ont été prêtées aux parents afin de lutter contre la fracture numérique.
Ces échanges ont eu lieu « physiquement » durant les permanences des directeurs et ou des enseignants sous forme de rendez-vous dans le respect des gestes barrières entre adultes.
Mais vous avez pu, aussi, avoir accès à la classe virtuelle, aux visioconférences, organisées par l’enseignant de la classe de votre enfant, parfois au blog de la classe. Bénéficier de simples appels téléphoniques : soutien ou relance, la réciprocité, entre enseignant.es et parents a fonctionné. Vous vous êtes confrontés, de manière partenariale, au maintien commun de la continuité pédagogique. De ces liens quotidiens, durant quelque deux mois de confinement, est née une confluence collaborative entre parents et professeur.es des écoles.
Ces liens acquis durant le confinement perdureront à la reprise des cours à l’école et feront en sorte que l’alternance entre « les cours à l’école » et « les cours à la maison » ne soient pas l’occasion d’une rupture de la continuité. On le sait, si les cours reprennent bien partout au sein des écoles, ils feront, pour un temps indéterminé, l’objet d’une alternance, soit par niveau, soit par groupe (pour respecter la distanciation sociale, les classes ne pourront admettre qu’une dizaine d’enfants au même moment). Des solutions alternatives devront de nouveau être trouvées pour réguler les temps différents et lieux d’enseignement. Des solutions du type deux jours/deux jours ou des mi-temps matin/après-midi au quotidien feront partie intégrante du nouveau rythme scolaire. Car si l’école ce sera parfois à l’école… ce sera aussi souvent à la maison.

Des classes reconstituées

Sous réserve de précautions sanitaires, les classes du premier degré vont partiellement se constituer à nouveau. Des enfants, par petits groupes, vont se retrouver dans des salles de classe en présence d’un enseignant. Pas forcément celui.celle d’avant. Il s’agira d’une reprise du lien et des relations scolaires de proximité. C’est à cela que vous devez préparer votre enfant, à un retour partiel, très partiel à l’ordinaire. La disposition topographique des lieux aura changé, les tables seront disposées de manière à assurer la coopération entre élèves tout en ne permettant pas le contact physique, des marquages au sol indiqueront les sens de déplacements autorisés et les distances à respecter seront marquées au sol dans les classes, dans les couloirs, dans les escaliers, dans les cours de récréation. Il vous faut apprendre à votre enfant le nouveau chemin des écoliers, celui d’une pédagogie coopérative sans contact… la proximité spontanée et habituelle n’est pas encore possible.

Pédagogie sous covid-19… Des contenus noyaux pour des savoirs essentiels

Les enseignant.es tenteront de remplacer la proximité physique spontanée chère à l’enfance par une proximité de penser ensemble autour de contenus noyaux ou de notions-noyaux. Car les programmations des enseignements vont continuer aussi à se voir bouleversées malgré la timide reprise des cours. Les enseignant.es vont devoir faire des choix parmi les savoirs à enseigner, sélectionner et distinguer les essentiels parmi tous ceux qui doivent être enseignés. Et les faire rayonner par-delà les murs des écoles et des maisons, dans cet entre-deux que sera l’école actuellement. La notion de contenus noyaux sera sûrement l’un des recours de la pédagogie de crise. Les notions-noyaux sont en pédagogie des éléments clés. La notion-noyau fonctionne comme un concept organisateur dans un ensemble de contenus disciplinaires.
Les notions-noyaux comme la respiration, comme la proportionnalité ou la mise en place du concept de nombre « permettent de réorganiser les programmes autour de points forts et de reconstruire des situations didactiques pour en permettre l’acquisition », dixit Philippe Meirieu (in Apprendre… oui mais comment ?, 2015, ESF). L’enseignant.e proposera une situation de problème en lien avec chaque notion-noyau, situation que l’enfant recueillera d’abord de manière singulière et personnelle, puis collaborative, puisque les élèves pourront soumettre leur réponse à l’approbation ou à la discussion d’un petit groupe (au moyen d’ardoise par exemple) ou au moyen de discussion (chaque enfant soutient la thèse de sa réponse à son collectif de collègues). La classe sera beaucoup plus réflexive. L’entraide se fera à distance et le tutorat aussi. Ainsi naîtra un travail d’équipe favorisé par le petit nombre d’élèves présents, autant de brainstormings collectifs que de sous-groupes d’élèves : des groupes de trois ou quatre élèves « chercheurs » partagent la même thématique. L’aboutissement et l’évaluation seront finalisés en présentation des résultats et synthèses à l’ensemble réduit de la classe. Les questions seront librement ouvertes. La reconnaissance du travail des autres, la liberté de penser et la richesse de la communication seront attendues dans cette organisation plus collaborative des apprentissages.
Nous irons à la découverte de l’école de demain : nous n’avons pas de données ni même de recherche en sciences de l’Éducation sur la pédagogie en contexte pandémique. Nous sommes des pionniers. Vous êtes des pionniers. Vous, parents. Au même titre que les enseignant.es, très engagé.es dans la mise en œuvre de la continuité pédagogique. Peut-être aurait-il fallu aussi (pour nombre d’entre vous) vous applaudir, enseignants et parents aux fenêtres, à 20 heures, au moins une fois ? La passion des apprentissages… c’est contagieux. Pour la bonne cause. Celle des enfants.

Catherine dunezat, psychologue clinicienne

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