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Le harcèlement, c’est un mécanisme qui risque, avec une précision digne de la haute horlogerie, s’inscrire aussi insidieusement que le temps dans la vie de votre enfant. Nous autres psys l’associons à la « compulsion de répétition ». Chez l’enfant, il battra comme l’ombre sombre de son rythme cardiaque. En lieu et place de son énergie vitale se jouera ce désastre du harcèlement. Il ou elle sera la victime et la proie quotidienne de « camarades » qui répéteront à son encontre brimades, moqueries, remarques ironiques, insultes ou rejets, coups, bousculades, brusqueries et menaces. Mais pourquoi ? Et comment y mettre un terme ?
À Quimper, l’association Les papillons définit ainsi le harcèlement : « Ça n’a l’air de rien, au début. Une bousculade, presque comme s’il n’avait pas fait exprès, qui ne te fait presque pas mal. Une insulte, pas trop méchante mais assez pour te faire de la peine. Juste un peu. Celui ou celle qui te fait ça observe ta réaction. Est-ce que tu vas baisser les yeux, détourner le regard ? Est-ce que tu vas garder la tête droite et faire comme si de rien n’était ? Tu réagis comme tu peux. Mais lui, ou elle, c’est à partir de là qu’il va transformer ce qui avait l’air de rien au début, en une habitude, une emprise. La bousculade va devenir un coup, puis un autre. Les insultes vont se faire de plus en plus méchantes. Ça va être tous les jours. Tout le temps. D’autres, parfois, vont les rejoindre, les encourager, rire du mal qu’on va te faire. Le harcèlement est une violence. C’est comme ça que ça commence.
Ceux qui t’agressent ont toujours des excuses pour le faire. Tu as une tête d’intello. Tu es plus petit que les autres. Tu n’as pas des habits de marque. Tu es simplement différent. Et alors ? » Les associations se rebellent. Elle sont multiples. Outre Les papillons, notez bien l’existence de Marion La Main tendue, de Hugo, de Joue pas avec ma vie, ou encore les Outsiders à Toulouse.
Né·es en 2010…
La toute récente actualité de la dernière rentrée scolaire montre la labilité et l’imbécillité des causes, tout comme la fulgurance et l’ampleur du phénomène « harcèlement » : cibler les tout jeunes collégiens nés en 2010. La date de naissance comme seul critère de désignation des victimes ! Partout en France et quasi au même moment. Pourquoi ? Sans doute à cause du jeu en ligne Fortnite et de la chanson Pop it Mania de la jeune chanteuse Pink Lily dans laquelle elle se vante d’être « née en 2010 et déjà sur toutes les tendances ». Rien.
Instantanéité et quasi-universalité du harcèlement, son statut total et totalitaire, créent un signal d’alarme sociale extrêmement fort. Comme des jeux d’enfants sans interdit ni limite, comme un Squid Game, série coréenne diffusée par Netflix, aux enjeux venimeux, sinon mortels aux perdants, comme dans le scénario de Hwang Dong-Hyuk. Un jeu de masse et de survie ? Fatal aux perdants ? Le harcèlement est-il, dans ses atours cybers, un « 1, 2, 3… Soleil » où l’on risque d’y laisser sa peau ou d’être roués de coups par décret numérique ?
Un phénomène de santé publique
L’Observatoire de la santé alerte sur le harcèlement scolaire. Il touche quelque 700 000 élèves chaque année (chiffres 2020). Sous des formes graves ou sévères. Les répercussions de ce phénomène inquiétant vont de l’échec à la phobie scolaires, de l’angoisse à la dépression, en passant par les troubles du sommeil.
Pire, le harcèlement scolaire conduit parfois au suicide. Un quart des adolescents harcelés y ont pensé. La plupart du temps, le harcèlement passe « inaperçu », impensable et parfois insoutenable tragédie. Il est un phénomène subi. « On ne me croira jamais ! J’ai tellement honte de ce que mes copains me font… » Les enfants ont du mal à repérer le harcèlement comme tel lorsqu’ils en sont la cible, car ils en sont honteux, doutent d’eux-mêmes. Ils et elles n’osent pas confier leur désarroi naissant. Si bien qu’il file vers la chronicité : la souffrance est lourde, quotidienne et porte sur de longues durées. Insoupçonnable, tant qu’elle n’est pas dite, la victimisation insidieuse par les pairs fait long feu sous les yeux des adultes, à leur nez et à leur barbe. Selon le ministère de l’Éducation nationale, 10 % des écoliers et des collégiens s’y trouvent confrontés dont 6 ou 7 % affrontent un harcèlement sévère.
Harcèlement scolaire et cyberharcèlement, genèse d’une forme mixte
Le professeur Xavier Pommeraux, psychiatre, directeur de l’unité de l’adolescent au CHU de Bordeaux, explique : « Il y a 30 ans, un enfant un peu rond qui se faisait insulter dans la cour de récréation supportait ces attaques identitaires, même si elles étaient douloureuses. Aujourd’hui, il ou elle se fait insulter jusque dans sa chambre, sur son mur Facebook, par SMS. Il·elle a, alors, le sentiment que toute la communauté est contre lui ou elle, il·elle se sent cerné·e. Aujourd’hui, nos enfants sont des enfants de l’apparence et de l’image. C’est pourquoi ces attaques sur leur identité et leur image peuvent avoir des conséquences dramatiques. »
Le harcèlement à l’école a toujours existé. Sous des formes plus ou moins souterraines. Invisibles à l’œil naïf de l’adulte, parent ou enseignant. Mais il devient donc, au rythme effréné de diffusion de Tik Tok et consorts, un fait de société majeur. Avec, même, le statut revendiqué de « cause nationale de l’école de la confiance ».
Pétition de principe émise face à une explosion exponentielle des cas, fulgurance du cyber harcèlement, oblige.
C’est le plus souvent sur sa scène favorite, le terrain de l’école (petite, grande, collégienne ou lycéenne, l’école quoi !) que le harcèlement joue sa sale partition. La classification des ados au collège, entre rois et reines, les élus, contre les parias, relève aussi d’un harcèlement global par sélection et rejet. La répétition jour après jour et nuit après nuit du harcèlement l’érige en pilleur d’énergie psychique et destructeur de l’identité et de l’estime de soi.