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Pas de permissivité, pas de manipulation
Ce type d’éducation ne peut être détaché de la recherche de sens, sous peine de tomber dans la naïveté qui n’a rien à voir avec cette démarche réfléchie. Explications.
«Hurler sur un enfant pour lui dire d’arrêter de crier n’est pas d’une logique sans faille », concède une maman sur un forum de parents en difficulté, en mal de solutions en ligne. Pourtant les punitions, démonstrations d’autorité et décibels sont très souvent usités. Du bambin qui refuse de dormir à l’adolescent qui manque de respect, en passant par le collégien qui passe ses nuits devant l’ordinateur, la liste des situations où ne pas s’énerver relève de l’exploit pour les parents a tout de l’inventaire à la Prévert. La Discipline Positive tente d’éviter ce genre de recours, dont les études prouvent qu’ils sont inutiles voire contre-productifs avec des cerveaux « en construction ». Cette approche pédagogique, basée sur l’encouragement, cherche avant tout à développer le sentiment d’appartenance et d’importance des enfants, créer du lien, développer la coopération et le sens des responsabilités. Une logique développée au début du XXe siècle grâce aux travaux d’un psychanalyste autrichien, Alfred Adler, puis adaptée à notre époque par les Américaines Jane Nelsen et Lynn Lott dont les ouvrages ont fait date dans le monde entier (1). Et si mettre en place un cadre serein et constructif, propice au dialogue, n’était pas si utopique ? « Il existe simplement une gamme d’outils à mettre en œuvre pour se rapprocher du bonheur. On ne trouve pas celui-ci, on le construit », affirme Yves Alexandre Thalmann, spécialiste de la psychologie positive. Et s’il en était de même pour ce type d’éducation ? Les détracteurs, qui dénoncent une vision « Bisounours » et un encouragement à l’enfant-roi, sous-estiment une méthode qui n’est pas qu’une bienveillance béate, mais, si elle est bien comprise, une démarche réfléchie et porteuse de sens.
L’importance du contexte « cool »
Si la Discipline Positive rencontre du succès dans 52 pays dont la France, c’est d’abord grâce aux avancées des neurosciences. « Nous avions l’intuition que l’enfant faisait mieux quand il se sentait mieux, c’est maintenant devenu factuel », approuve Béatrice Sabaté, présidente de l’association Discipline Positive France. Au fil des années les enquêtes internationales PISA montrent que l’enfant encouragé, à qui on répète qu’il est capable, qui n’évolue pas dans un contexte répressif, s’en sort mieux que les autres. Les travaux du psychologue américain Martin Seligman, père de la psychologie positive dans les années 90, se voient donc confirmés. La révolution numérique a aussi fait son œuvre : « Les sondages montrent que les ados vont chercher en priorité leurs informations sur Google. Il importe pour les parents de leur transmettre une capacité de discernement », ajoute la psychologue clinicienne. Enfin, la société tend de plus en plus vers la co-construction, mieux vaut donc équiper ses chérubins en compétences psychosociales pour assurer leur avenir. Autant de facteurs favorisant un environnement non punitif, mais au contraire encourageant, structurant, mis en place par des parents qui ne crient pas, ne frappent pas. « J’ai arrêté les réprimandes, les menaces, le chantage au sucre », constate non sans humour Anna Mahut, infirmière à Toulouse, mère de deux garçons en bas âge, qui avoue avoir mis un temps avant de prétendre à la zen attitude. « Après avoir pris la résolution de passer à la Discipline Positive, j’ai dû souvent, après le travail, aller respirer dans une autre pièce durant cinq minutes, afin de me calmer. C’était le bon choix. Ils n’ont pas à subir ma mauvaise humeur due à des tracas professionnels. »
Peur d’une naïveté et d’un formatage
Si la « recette » semble de bon sens sur le papier, elle n’est en effet pas évidente à mettre en pratique. Le jeu en vaut pourtant la chandelle, afin de générer un tout autre environnement. « On ne se rend pas compte que les petits travers de la vie quotidienne additionnés peuvent rendre malheureux sur le long terme », observe Martine Medjber-Leignel, psychothérapeute et auteure de la « Happy Thérapie » (2). La mission consistant à transmettre des compétences de vie nécessaires aux enfants pour s’épanouir et s’intégrer dans la société est parfois phagocytée par des soucis autres. « Le manque de disponibilité, la fatigue ou la détresse de parents », cite Joëlle Cuvilliez, journaliste écrivaine, l’autre auteure de la « Happy Thérapie ». Mais le principal argument des contempteurs, comme le souligne Manuel Rodriguez, artisan, père de quatre enfants à Paris, est le risque de sombrer dans le laxisme. « Sans m’en rendre compte, j’ai versé avec le temps dans une posture d’autorité et de contrôle uniquement, à tel point que mes enfants me craignaient. J’ai donc opté pour la Discipline Positive. Mais lorsque je me suis vu à genoux pour être à leur hauteur, répétant 12 fois avec bienveillance de cesser les jets de purée et tambourinades de couverts sur la table, j’ai eu peur de l’enfant-roi. Ce n’était pas pour moi ». Pour beaucoup toute tentative d’empathie et de bienveillance est vue comme un manque de fermeté, une baisse de la garde dommageable pour ces rejetons qui ne rencontrent plus de résistance, de règles comme dans le monde qui les attend. Enfin, certains se plaignent qu’une telle approche enferme les enfants dans un seul modèle, que des formules toutes plaquées ne peuvent convenir à tout le monde.
Cas par cas et co-construction
Mais cette posture éducative n’est pas faible si elle est porteuse de sens. Le parent ne lâche pas le contrôle, il le partage. Il pose les interdits, différents pour chaque famille – en effet, si on applique les mêmes outils pour tous, on bascule dans la boîte à outils et la méthode perd son sens. « Il n’y aura par exemple pas négociation sur l’heure du coucher qu’il a déterminée, mais une recherche de solution commune pour que l’enfant soit prêt dans les temps », illustre Béatrice Sabaté. Il est envisageable de fixer un périmètre avec l’enfant tout en conservant son autorité parentale et en lui transmettant ce qui est important pour lui. Une subtilité qui n’est pas toujours comprise. « Si on est juste centré sur l’enfant, il y a permissivité ; si on reste juste concentré sur les besoins de l’adulte, on ne rend pas acteur l’enfant. Il existe une troisième voie », distingue la spécialiste. Plus l’enfant est impliqué, plus il a envie que l’édifice tienne debout. « Lorsque Matteo commettait une bêtise, comme renverser un de mes pots de fleurs avec son ballon, j’avais tendance à le réprimander puis à lui intimer l’ordre d’aller chercher la pelle et la balayette. Désormais je l’amène à s’interroger sur les conséquences de son acte, aux moyens de nettoyer qui s’offre à lui. En trouvant la solution sans que je la lui dicte, il s’empresse de réparer la maladresse, sans traîner des pieds », illustre Anna Mahut, mère de deux enfants à Toulouse.
De la fermeté malgré tout
Favoriser le bien-être des enfants par de la bienveillance, tout en faisant respecter la règle, l’interdit, les consignes, le cadre, est possible. Il s’agit de se connecter à l’enfant, dans le ton, le langage, pour l’amener lui-même à trouver la solution et l’action réparatrice. « Cela nous oblige, en tant que parents, à revisiter la transmission », précise Béatrice Sabaté. Certains vont par exemple proposer à l’enfant de trouver trois idées pour l’aider à ne pas oublier ses affaires. Celui-ci prend conscience de ses possibilités, sans s’entendre rappeler continuellement ce qui lui est interdit. Lui donner des opportunités de contribuer, d’aider, de participer (tâches ménagères, choix d’organisation…) est valorisant. Il est mis en confiance et modifie son comportement, si le droit à l’échec est présent, bien entendu. Les parents qui appliquent la Discipline Positive ne sont pas des post-soixante-huitards rétifs à toute contrainte, ils prennent seulement le temps d’identifier les besoins de l’enfant qui se cachent derrière des comportements indisciplinés, pour mettre au point des solutions avec lui, l’encourager dans des expérimentations individuelles, le responsabiliser.
« La discipline positive : en famille, à l’école, comment éduquer avec fermeté et bienveillance », de Jane Nelsen (adaptation française de Béatrice Sabaté), éd. Marabout, 2014.
« Happy Thérapie, mettez du soleil dans votre vie », de Joëlle Cuvilliez et Martine Medjber-Leignel, éd. Eyrolles, 2016.
Julien Tarby