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Thérèse Hargot est sexologue et philosophe. En plus de ses consultations privées, elle intervient en milieu scolaire depuis dix ans pour répondre sans tabou aux interrogations des adolescents sur la vie affective et sexuelle. Dans son livre « Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque) », elle décrit une génération angoissée par l’amour et s’attaque à l’héritage légué aux jeunes par les enfants de la révolution sexuelle. Entretien.

Parenthèse : Le titre de votre livre interpelle… À qui s’adresse-t-il ? Aux parents ?

Thérèse Hargot : Les parents sont bien sûr invités à le lire mais ça n’est absolument pas un manuel « pour être un bon parent ». Pour moi, la problématique de la sexualité chez les adolescents dépasse largement le simple cadre familial. La question se situe bien au-delà… Quel est le projet de société que l’on souhaite pour les jeunes ? Ce que j’ai souhaité à travers ce livre, vu l’ampleur du chantier, c’est non seulement alerter le gouvernement, mais aussi susciter des vocations auprès des éducateurs et encourager une grande action collective auprès des jeunes. Je suis en colère de voir que, les uns après les autres, les dirigeants ont trop longtemps fermé les yeux sur ce sujet, sans jamais oser s’y attaquer.

Vous y abordez la notion de liberté sexuelle des jeunes, une liberté que vous qualifiez d’illusoire…

Les ados de la génération actuelle sont les petits-enfants de Mai 68. Aujourd’hui, ils évoluent dans un monde dont on leur a dit qu’ils étaient libérés sexuellement. Mais paradoxalement, ils n’ont jamais été aussi peu libres ! L’étiquetage n’a jamais été aussi fort, ils sont dans des cases. En réalité, leur liberté est aliénée : obligation d’être en couple, obligation de jouir, angoisse de performance, méfiance du partenaire qui peut être porteur d’une maladie sexuellement transmissible… Même la contraception va dans ce sens, puisque la prétendue liberté des jeunes filles est toujours sous contrôle hormonal…

Comment les adolescents sont-ils entretenus dans l’illusion de liberté que la société leur renvoie ?

Ce qui est important à cet âge-là, c’est la reconnaissance par les pairs. On veut montrer qu’on est quelqu’un de bien et d’aimable. Eh bien l’expérience sexuelle devient pour eux le lieu où prouver qu’ils sont « capables ». Une attitude largement dictée par les campagnes de prévention et l’éducation sexuelle en milieu scolaire, qui proposent une information technique, coupée de la dimension affective et morale de l’amour. Mais aussi par l’industrie pornographique : comme il n’existe absolument aucune régulation, les jeunes ont à leur disposition un grand nombre d’images accessibles sur Internet. Celles-ci formatent leur imaginaire, leur donnant l’impression d’être libres et de tout connaître de l’amour.

Parenthèse : Cela influence-t-il leur développement affectif, leur image de l’amour ?

Comment ne pas être déçu par l’amour, s’il ne s’agit que de rapports génitaux et mécaniques, dont on se lasse, une fois qu’on en a fait le tour ? Au lycée, les adolescents connaissent de grandes histoires d’amour, mais bien souvent, ils n’ont pas la maturité affective pour les vivre. Cela laisse des traces profondes car après l’échec viennent la déception et la souffrance. Au cours de mes consultations, je m’aperçois que beaucoup d’étudiants, pour ne pas souffrir, choisissent de vivre des relations sans amour. Ne plus tomber amoureux, car ça fait trop mal. On préfère laisser les grandes questions existentielles en suspens et rester narcissiquement sur l’idée qu’on est quelqu’un de bien car capable de séduire et de plaire. Seul le désir compte, car il est censé me dire ce que je suis.

Cette réalité semble toucher beaucoup plus d’adolescents que ce que l’on croit…

Socialement, il faut se rendre compte à quel point la pression est forte pour « se mettre en couple ». Les ados n’arrivent plus à être seuls, ni à se défaire de l’autre lorsque ça ne va plus. En réalité, le couple adolescent peut entraîner une perte de liberté et en cela, être dangereux. J’entends beaucoup d’histoires tristes de jeunes filles qui, sentant que leur couple bat de l’aile, sont prêtes à tout céder à leur petit ami pour le pas le perdre : « Si tu m’aimes, envoie-moi une photo de toi, nue, en train de me faire une fellation ». Elles vont le faire pour être aimées, malgré la violence verbale et physique de leur relation. Les parents doivent être très vigilants et ne pas regarder ce que vivent leurs enfants avec un regard d’adulte attendri. Non, la plupart du temps, ça n’est pas « trop mignon » !

Comment détecter de tels comportements ou ce type d’emprise chez nos enfants ? Car c’est de l’ordre de l’intime…

Les adolescents sont capables de masquer leur mal-être ou de déguiser une émotion par une autre, ce n’est pas simple. Mais certains signes doivent vraiment alerter : la chute des résultats scolaires, un changement dans le rapport avec la nourriture, les maux de ventre répétitifs : le langage du corps en dit long. L’augmentation de la consommation du portable est également un signe fréquent. Il faut absolument exercer un certain contrôle parental sur le portable, par exemple en ne le laissant pas durant la nuit à nos enfants.

Vous dites dans votre livre qu’« avant d’être avec quelqu’un, il faut être quelqu’un ». Comment la philosophe que vous êtes aussi peut-elle aider les jeunes à retrouver une vraie liberté ?

Être véritablement libre, c’est construire sa personnalité. Vivre les choses par étapes. J’accompagne très bientôt en voyage un groupe de jeunes filles âgées de 15 ans et je vous assure que nous n’allons absolument pas parler de sexualité mais d’elles, de leurs qualités, d’estime de soi… C’est bien sûr la confiance en soi qu’il faut commencer par rétablir.

Alexandra Ronssin

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