Appréhender l’hypersensibilité de son enfant

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L’hyperémotivité d’un enfant n’est pas une tare, et peut même se révéler un atout de sensibilité et de créativité dans le temps. Quelques conseils aux parents désemparés.

«Benjamin se vexe pour un rien, peut éclater en sanglots de manière inattendue et stresse au moindre tracas… ». C’est ainsi qu’Agnès Mourion, femme au foyer à Issy-les-Moulineaux, définit l’hypersensibilité de son fils de six ans. Même s’il ne s’agissait pas d’un trouble psychologique en tant que tel, la situation était devenue invivable, jusqu’à ce que les parents se renseignent et délivrent un véritable accompagnement. Ces petites personnes en construction déstabilisent l’entourage par leurs réactions excessives et disproportionnées. Malheureusement le contexte contemporain encourage ce trait de caractère handicapant. « Le stress ambiant, l’hyperstimulation, les systèmes nerveux en hyperactivité à cause des écrans, les parents moins attentifs… ne font rien pour arranger. N’oublions pas non plus le manque de muscles : abdominaux, plancher pelvien, cœur jouent un rôle important dans la gestion des émotions. Les enfants ne grimpent plus aux arbres, restent assis. Les études montrent qu’ils ont perdu 25% de leurs capacités cardio-vasculaires. Ils n’ont souvent plus les capacités physiques de tempérer », constate Isabelle Filliozat, psychothérapeute, figure phare de la parentalité positive, qui a écrit récemment sur le cerveau de l’adolescent (1). Même si le phénomène est mieux connu – comme en atteste le film « Les Emotifs anonymes » où Isabelle Carré et Benoît Poelvoorde incarnent deux chocolatiers hypersensibles – les idées reçues ont encore la vie belle. Il n’existe pas plus de filles que de garçons hypersensibles et on ne le reste forcément pas toute sa vie, sous certaines conditions.

Des conséquences multiples sur la personne

Il s’agit avant tout d’un trait de caractère, d’une manière de percevoir le monde et de réagir, qui touche tous les aspects de la personne : sa physiologie (la perception du bruit ou de la douleur par exemple), ses émotions, ses relations avec les autres, son intelligence. « Alix a presque tout le temps les larmes aux yeux, se vexe pour un rien, a souvent mal au ventre et vit tout comme un drame. Il me semble qu’elle ressent plus douloureusement que les autres les multiples petites contrariétés, blessures que la vie en famille et à l’école lui réservent », déplore Stéphanie Ménanteau à Annecy, mère d’une enfant hypersensible de huit ans.

Des dominantes à distinguer

Emmanuelle Rigon, psychologue-clinicienne, psychothérapeute, qui a écrit sur le sujet (2) distingue cinq grandes familles de personnes atteintes. Les hypersensibles anxieux ont des perceptions sensorielles exacerbées et sont de fins observateurs des nuances d’expression et des mimiques. Le problème est qu’ils mêlent cette acuité à de l’anxiété : une mine sévère les effraie au plus haut point ! Leur imagination est tournée vers l’inquiétude et les évènements menaçants qui n’existent que dans leur tête. Ils se préoccupent de tout en permanence. L’angoisse de performance grève d’ailleurs leur réussite scolaire, le trac les submerge à chaque intervention publique. Les hypersensibles en retrait se protègent par l’inhibition et évitent les activités de groupe ou relations amicales fortes pour ne pas avoir à être submergés par leurs émotions. Timides, ils sont influençables car ne veulent pas contrarier leurs proches ou entrer en conflit. Ils somatisent facilement, ont souvent mal au ventre, et se réfugient dans le rêve. Ils peuvent se figer devant une remarque d’un adulte, ce qui est gênant en milieu scolaire. Au contraire les hypersensibles expressifs manifestent avec intensité leurs émotions. Les pleurs peuvent les étouffer, ils recherchent les situations paroxystiques. Les hypersensibles réactifs sont durs à reconnaître, car leurs comportements semblent aux antipodes de la sensibilité. Agités, impulsifs, peu empathiques à première vue, ils sont souvent qualifiés de « caractériels », cassant leurs jouets, ne sentant par leur force, réagissant sur les autres avec impulsion. Tout les intéresse, les dérange ou les fait sursauter, les émotions les submergent pour un rien. Ils peuvent être plus tard fugueurs, adeptes de l’alcoolisation massive, du vol spontané, des tentatives de suicide. Enfin les hypersensibles sensitifs pensent qu’ils ne sont pas considérés à leur juste valeur parce qu’on leur en veut. Ils ne supportent pas la moindre critique et ont une haute opinion d’eux-mêmes, voire se sentent supérieurs aux autres. Mais leur estime d’eux-mêmes se fonde seulement sur ce que les autres disent d’eux. Leur imagination leur joue des tours, ils sont difficiles à fréquenter malgré leur besoin d’être aimés. Ils déforment facilement les propos tenus.

Un apaisement toujours possible

Toutes les catégories énoncées précédemment ont pour point commun de souffrir en collectivité. L’enfant à risque socio-affectif réagit trop vite et trop fort, ce qui rend difficiles les rapports aux autres, les jeux, les amis, l’école ; il peut facilement s’isoler ou devenir le bouc-émissaire de la classe. Mais quelques actions simples des parents peuvent apaiser ces émotions si intenses. Tout d’abord en reconnaissant l’une des dominantes. Malheureusement elles peuvent facilement se combiner. Lorsque les émotions surviennent, il s’agit de l’écouter, sans l’interrompre sans cesse, et l’aider à leur donner un nom pour mieux les appréhender et au final prendre de la distance. « Il faut surtout prendre au sérieux ses plaintes, même si elles concernent des chaussettes qui grattent. Nous souffrons quand nous entendons la craie qui crisse sur le tableau ; pour eux un élément anodin est aussi insupportable. A cause de leurs sens exacerbés ce sont les circuits de la douleur qui sont activés. Cela a été étudié », conseille Isabelle Filliozat. Exercices de respiration et relaxation sont bienvenus, ainsi que les… câlins. « Même s’ils n’ont pas les réponses, les parents doivent seulement leur rappeler qu’ils sont à leurs côtés, qu’ils leur manifestent de l’amour », ajoute la spécialiste. Ils peuvent l’aider à relativiser, en se plaçant du côté de l’affectif, en montrant qu’ils comprennent sa peine ou sa colère. Raisonnements rationnels ou moqueries sont contre-productifs. « J’aide aussi Benjamin à temporiser, à ne pas réagir sur le moment présent », précise Agnès Mourion, qui cherche à avoir de l’effet sur son fils de six ans sur le long terme en analysant après coup les situations où il s’est emporté. « Il me faut lui prouver qu’il n’y avait pas lieu d’être ainsi touché, finalement lui donner plus confiance en lui. » En revanche les parents dotés du même caractère ne chercheront pas à convaincre, mais joueront la carte de l’exemple et de l’accompagnement. Les efforts doivent aussi, et même surtout, être effectués en amont. Passer du temps et échanger avec lui durant les accalmies est nécessaire. « Il importe de ne pas s’adresser à lui uniquement quand il y a crise, afin d’anticiper les situations compliquées et de remplir son réservoir d’amour », soutient la conférencière. Ce genre d’enfant a plus besoin de preuves d’amour et d’estime que les autres. Les parents ont donc tout à gagner en les entourant d’attentions, leur rappelant le cadre bienveillant, en évitant pour autant les démonstrations débordantes qui les déstabiliseraient à coup sûr.

Transformer une « fragilité » en force

La psychothérapeute américaine Elaine N. Aron, reconnue dans le domaine, cite une étude intéressante dans laquelle des neuroscientifiques ont fait passer des scanners à une population de personnes hypersensibles et à une population non hypersensible. On leur a demandé de regarder attentivement des photos pour identifier les différences : il se trouve que les scanners ont montré que les personnes hypersensibles ont une activité cérébrale plus intense dans la zone de perception et de traitement des informations. Ce genre de sixième sens fait aussi de l’enfant hypersensible un être doté d’une grande vivacité d’esprit, qui se passionne pour de nombreux sujets. La majorité des grands artistes, de Chopin à Gainsbourg, faisaient partie de ce groupe à l’intelligence émotionnelle décuplée. Dans le cas d’un bon accompagnement, l’enfant sera non pas plus tard un adulte torturé par ses pensées et extrapolations, mais un être doté d’une grande sensibilité, pouvant s’épanouir dans les domaines des arts et de l’imagination, ou faire preuve d’une compréhension du monde et de l’humain hors du commun.

Education

Premières années déterminantes

Il existe probablement une prédisposition chez certains nouveau-nés, mais ce qui se passe après la naissance est crucial. Les circonstances de la grossesse, de la naissance, la relation avec les parents, l’entourage familial, les événements de vie… influenceront son caractère pour la vie. Parfois même, l’enfant a un développement normal puis, suite à un événement – un décès dans la famille, un déménagement, un divorce… – l’hypersensibilité survient. Il incombe donc à ceux qui l’éduquent d’être très vigilants durant ces années de construction.

« On ne se comprend plus », d’Isabelle Filliozat, éd. JC Lattès, 2017.

« Les enfants hypersensibles » d’Emmanuelle Rigon, éd. Albin Michel, 2015.

  Julien Tarby

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