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L’enjeu santé de nos enfants passe nécessairement par une prise en main rigoureuse de leur alimentation. Les erreurs nutritionnelles de la petite enfance conditionnent la vie d’adulte. Les parents doivent devenir les « boucliers » de leur santé.
« Si tu finis ton assiette, tu auras une tartine de N*… » (marque de spécialité de chocolat tellement antinutritionnelle que censurer son nom relève du devoir journalistique…). Double aberration dans cette petite phrase si courante dans les familles : primo, « finir son assiette ». Non. Gâchis ou pas, quand un enfant n’a plus faim, inutile de le forcer. On connaît son appétit (ou son manque de…) et l’on proportionne d’emblée. S’il/elle a encore faim, il est temps de revenir au plat. Cet habitus de « tout finir » chez l’enfant se retrouve chez l’adulte : formaté dans l’enfance, il/elle finira coûte que coûte son assiette et en subira les conséquences. Secundo, ériger la nourriture, le dessert, le sucré, en récompense. « L’une des erreurs fondamentales à ne pas commettre », m’explique le Dr Frédéric Saldmann, le médecin vedette de tous les médias, celui que les journalistes ont volontiers surnommé le « gourou des VIP ». « Ce réflexe du circuit de la récompense perdurera toute la vie. » Or Saldmann redoute les mauvaises habitudes contractées dès l’enfance : l’obésité des adultes puise souvent dans les erreurs nutritionnelles de parents laxistes. « Le plaisir est un moteur, mais il ne faut pas l’associer à la récompense. Je te donne un bonbon si tu as bien travaillé est une absurdité. »
30 minutes d’exercice par jour abaissent de 40 % le risque de cancer, de maladies cardiovasculaires et d’Alzheimer. « Il faut “imprimer” chez l’enfant l’exercice physique qui se poursuivra chez l’adulte. » Frédéric Saldmann
La notoriété du nutritionniste cardiologue attaché à l’hôpital Georges Pompidou où le gotha de la politique et du spectacle fréquente sa consultation a beau en agacer certains, le praticien de 66 ans, mince à souhait, délivre dans ses livres et ses interviews des conseils on ne peut plus convaincants.
Ne pas formater l’enfant dans de mauvaises habitudes
À commencer par sa première image : « La nutrition des enfants n’est pas celle de l’adulte pour une raison impérieuse : ils sont en croissance. Une maison en construction exige tous les matériaux qui la constitueront, son entretien à peine quelques compléments. » La seconde image, sans qu’il ne cite sa source mais on le croira volontiers puisque le sucre industriel a tout envahi, à commencer par la nourriture pour bébé (l’OMS le reconnaît) : « À 7 ans, un enfant aura absorbé autant de sucre que son grand-père toute sa vie ! » D’où cette exigence première à s’imposer dans toutes les familles : ne pas formater les goûts de ses enfants. Sucrer, saler, certes, mais « de façon modérée », dit un peu gentiment Frédéric Saldmann, peut-être pour ne pas effrayer. Mais modéré signifie très peu. Si vous inondez d’une cuillérée de sucre le yaourt de vos rejetons, les adultes qu’ils deviendront exigeront la même dose dans le moins défavorable des cas. « Ce sera son référent organoleptique, redoute le nutritionniste, alors qu’il est simple de se forger dès l’enfance des habitudes hors toute idée de “régime”. »
L’un des autres grands principes n’étonnera pas des parents abreuvés des « cinq fruits et légumes chaque jour » du Programme national nutrition santé : il faut diversifier. Apprendre d’emblée à l’enfant une multiplicité de goûts et saveurs.
Troisième certitude du praticien, que l’on retrouve dans tous les articles consacrés à la bonne alimentation mais mieux vaut le répéter : ne pas manger trop vite, ni chez l’enfant, ni chez l’adolescent, ni plus tard chez l’adulte. La « loi » est simple et dure : plus l’on mange vite, plus l’on grossit. Il faut donc impérativement obtenir que nos jeunes gens s’assoient « et hors tout écran à proximité, recommande le médecin des pros de l’écran. Distrait par un écran, l’enfant ne sait pas même ce qu’il est en train de manger. »
Une « épidémie épouvantable »
Et sinon ? L’on risque de condamner sa fille, son fils à se compter parmi les victimes d’« une épidémie épouvantable », dixit Saldmann, l’obésité. Au-delà du préjudice esthétique, c’est la voie ouverte aux maladies cardiovasculaires et aux cancers. « 30 % de calories en moins, c’est 20 % d’espérance de vie en plus », annonce mon interlocuteur. Un rien de recherche montre que dès 1935, une étude avait établi ce résultat chez les souris avant que d’autres essais cliniques ne prouvent cette constante de résultat chez l’homme. Lenteur de la mastication, position assise, sans distraction chez les préados déterminent des réflexes : c’est dans l’enfance, constate le nutritionniste, que s’établit le lien fondamental entre alimentation et plaisir. « Si ce lien est bien établi, l’individu gardera toute sa vie des goûts qui lui procureront un plaisir de manger sans grossir. » Faites l’expérience, me met au défi le médecin : ne sucrez plus votre café pendant trois semaines. Je vous garantis que vous serez désaccoutumé et ne voudrez plus le moindre morceau de sucre. C’est la même chose chez un enfant auquel on donne des yaourts non sucrés. Le pari est lancé en ce qui me concerne !
Le sport l’après-midi à l’école
Le Dr Saldmann est-il végétarien ? Sans ambiguïté, non, même si son alimentation carnée est des plus mesurée. Que préconise-t-il chez l’enfant dont les parents, végétariens ou véganes, imposent ce même régime à leur progéniture ? La consultation d’un médecin traitant avant tout, même si lesdits parents sont convaincus de l’excellence de leur régime diététique d’adultes. « Certains pays sont essentiellement végétariens, tempère-t-il, sans que les jeunes populations n’en pâtissent. Mais tout dépend des besoins de l’individu. L’idéal passe par le carné, mais l’œuf apporte toutes les protéines voulues. » À bon entendeur.
« Ordonne »-t-il le sport ? La réponse fuse. « Oui, et le plus tôt possible dans la vie de l’enfant. La pratique du sport induit des effets cérébraux et physiques. » Le médecin aimerait sans doute compter dans sa patientèle le ministre de l’Éducation nationale, histoire de lui souffler sa formule : matinée studieuse, après-midi de sport, comme dans certains pays.
Retour aux chiffres qu’affectionne le pédagogue : 30 minutes d’exercice par jour abaissent de 40 % le risque de cancer, de maladies cardiovasculaires et d’Alzheimer. « Il faut “imprimer” chez l’enfant l’exercice physique qui se poursuivra chez l’adulte. »
Vital !
« La nutrition, ce sont des entrées et des sorties. Beaucoup d’entrées, peu de sorties, on grossit. » Un enfant obèse compromet sa santé d’adulte. Comment réagir ? Avant tout, consulter un médecin qui évaluera l’impact de son surpoids sur l’organisme, puis, « tout doucement, le rééduquer à trouver du plaisir dans l’alimentation autrement que par le gras et le sucre. Un travail à mener avec beaucoup de minutie dans un encadrement médical. » Frédéric Saldmann insiste sur cet encadrement : il vise avant tout à surveiller le basculement possible vers l’anorexie…
Le message de l’auteur de Vital ! son dernier livre (Albin Michel) : tout se passe dans la petite enfance. Le petit d’homme « garde ses référentiels de goût toute sa vie ». Image à nouveau : « Les parents protégeront leurs enfants toute leur vie tel un bouclier contre l’obésité. » Un combat qui vaut son pesant de… graines de grenade. n
Olivier Magnan et Adam Belghiti Alaoui