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La France est-ele prête à interdire tout châtiment corporel à l’égard des enfants ? Rien n’est moins sûr, même si le débat s’anime.

« Arrête de hurler, nous sommes dans le magasin et les gens nous regardent. Tu n’auras pas ce jouet ! » « Mais bon sang nous sommes en retard, cesse de gesticuler, je dois t’habiller ! » Autant de situations connues et délicates pour des parents, qui peuvent se conclure par une fessée ou une gifle. « La fessée n’est qu’une des multiples formes des punitions corporelles infligées aux enfants : tapes, gifles, coups de bâton, coups de ceinture, de martinet, tirages de cheveux et d’oreilles, coups de règle sur les doigts… sans compter les violences verbales et psychologiques », rappelle Olivier Maurel, président fondateur de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire (OVEO) et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet (1). Mais de telles pratiques « éducatives » donnent toujours plus lieu à discussions. Le Conseil de l’Europe estime que la législation française « ne prévoit pas d’interdiction suffisamment claire, contraignante et précise des châtiments corporels ». Le débat est plus que jamais d’actualité.

Des voix s’élèvent en France

Dans son rapport remis en février au comité des droits de l’enfant de l’ONU, le défenseur des droits Jacques Toubon note que de nombreux parents perçoivent encore la fessée et la gifle comme « des moyens éducatifs ». Et alors qu’en France, un « droit de correction » est admis, il recommande que l’interdiction des châtiments corporels soit inscrite dans la loi. Pure fiction ? En mai 2014, un amendement interdisant les châtiments corporels déposé par une députée écologiste a été retiré de la loi sur la famille. La Ministre, Laurence Rossignol, a préféré faire « la promotion d’une éducation sans violence ». Le nouveau « Livret des parents » envoyé par la CAF aux futurs parents ne se limite donc plus aux informations habituelles sur les prestations sociales et le suivi de grossesse, mais fournit aussi conseils et ressources pour mieux traiter les enfants. « Frapper n’a aucune vertu éducative », explique le document. Une nouvelle proposition de loi contre les violences faites aux enfants a été présentée par trois députés PS et Verts. Ces derniers veulent faire inscrire dans le Code civil et sur tous les nouveaux carnets de santé la prohibition de cette violence, sans imposer de sanctions envers les contrevenants. Nombre de parents restent pourtant réfractaires à une loi, qui empiéterait sur leur liberté. Les parlementaires précisent donc qu’« il ne s’agit pas de mettre les parents en prison » mais de poser « une interdiction symbolique, éthique ». Ayant signé la Convention relative aux droits de l’enfant, dont l’article 19 stipule que l’État doit protéger les enfants contre toute forme de violence, la France sera tôt ou tard obligée d’interdire les punitions corporelles. « Dans tous les pays qui ont franchi le pas, la loi a été votée contre l’opinion publique. Laquelle, au bout d’un temps, s’y est habituée, comme cela s’est passé pour la violence conjugale », entrevoit Olivier Maurel, ancien professeur cheville ouvrière du mouvement anti-fessée en France.

Des parents fervents pratiquants

En face quelques rares pédopsychiatres préconisent la fessée – mais pas la gifle qu’ils jugent humiliante – sous conditions très précises : elle doit être rare, non impulsive, ni trop douce ni trop forte et prendre place sur fond « d’habitudes relationnelles chaleureuses ». Une myriade de parents pense de même. « Je suis pour dans la mesure où elle est justifiée ou modérée. Quand il y a grosse colère, j’explique mon désaccord, puis si l’enfant ne comprend pas, je le mets au coin. Et s’il ne cesse pas, je passe à la fessée en dernier recours », décrit Tressy Gasparella, mère d’un garçon de quatre ans, responsable de communication dans un groupe agroalimentaire à Strasbourg, qui rejette l’idée d’une loi « judiciarisant un peu plus les relations parents-enfants ». Même son de cloche chez Agnès Peton, mère de deux enfants de sept et neuf ans à Palaiseau : « Les enfants sont réceptifs à la parole mais aussi aux gestes, au ressenti, à la douleur. Il faut leur montrer que nous sommes l’autorité, surtout quand ils commencent à donner des coups et à être très rebelles. Je ne suis pas de ces parents « bobos » ». Cette comptable n’a donc pas de problème avec la fessée « qui apprend à avoir peur des conséquences et de la punition. Rien n’est impuni, il faut que cela se sache ». Réacs ? Peut-être, en tout cas pourfendeurs des pédagogies actives et du trop-plein d’attention donné à l’enfant-roi.

Des effets néfastes mesurés

Il n’en reste pas moins que cette pratique, qui permet d’obtenir l’obéissance immédiatement, sert de défouloir et apprend plutôt la loi du plus fort aux enfants. Elle aurait des effets négatifs sur le long terme, qu’on commence seulement à estimer. Une méta-synthèse majeure de 75 études vient d’être publiée dans le Journal of Family Psychology. Les chercheurs des universités du Texas et du Michigan ont épluché 50 années de recherches, englobant plus de 160 000 enfants dans le monde. Ils n’ont trouvé aucune preuve qu’administrer des fessées à un enfant peut améliorer son comportement. En revanche, ces corrections peuvent se traduire par : une agressivité plus importante – le corps ne comprend pas si l’intention est éducative ou pas, l’enfant acquiert le geste et apprend la violence –, et une relation parents-enfants dégradée. « L’enfant s’endurcit », constate Olivier Maurel. Ces châtiments légers peuvent aussi augmenter les risques de troubles mentaux selon un article de la revue Pediatrics du 2 juillet 2012 (2). Mais surtout des comportements asociaux plus fréquents ont été démontrés. « Le cerveau des enfants est malléable et se développe selon l’environnement. En cas de violence psychique ou physique, il est prouvé qu’il rencontrera des difficultés pour l’intelligence relationnelle et la sociabilité. Les neurotransmetteurs, les neurones seront moins nombreux, ce qui a été prouvé par des expériences menées sur les souris », explique Marie Teixochon, pédiatre à Marseille, mère de deux enfants en bas âge. Les enfants entre deux et quatre ans qui ne reçoivent pas de fessées ont un QI plus élevé de cinq points que les enfants qui en reçoivent, et les enfants de cinq à neuf ans, un quotient plus élevé de trois points selon une étude menée à l’Université du New Hampshire en 2009 (4). Sans compter d’autres effets, secondaires mais dommageables : le risque est élevé que l’enfant devienne provocateur (« Même pas mal ! »), mais aussi dissimulateur (« Pas vu pas pris ») et hypocrite. « Ma voisine africaine a pendant 20 ans usé d’une cuillère en bois pour frapper les fesses de ses enfants. Après leurs huit ans la correction était devenue un jeu, ils cachaient du coton dans leur slip pour amoindrir les coups », concède Agnès Peton. D’autres conséquences fâcheuses ? « Cela peut lui faire perdre l’estime de lui-même, lui donner l’habitude d’obéir non pas à sa conscience ni à la loi mais à la violence, lui donner l’habitude de considérer que quand on aime quelqu’un, on peut le frapper ; c’est aussi le risque d’entrer dans une dangereuse escalade de la violence », énumère Olivier Maurel. « L’enfant comprend surtout que la personne qu’il aime le plus au monde peut lui faire mal », déplore Catherine Dumonteil-Kremer (3). La déception est grande chez ces êtres en construction dont les émotions sont exacerbées. « Alors enfant en bas âge, j’ai reçu de ma grand-mère une petite tape sur la main, que je considérais uniquement comme une personne douce et aimante. J’en suis encore choqué ! », s’étonne Thomas Lustrement, père de quatre enfants, gendarme à Magny-en-Vexin. Bien sûr des parents qui donnent la fessée donnent en même temps beaucoup d’amour dans leur éducation. « Les enfants s’en sortent donc très bien. Mais tout serait mieux sans ces violences », ponctue Marie Teixochon.

Le défi de l’éducation sans violence

Ceux qui sont sensibles à ces nocivités disposent désormais d’un grand nombre d’ouvrages sur le thème de l’éducation sans punition corporelle, comme ceux d’Isabelle Filliozat (« J’ai tout essayé ! Il me cherche ! »), Catherine Dumonteil Kremer (« Une nouvelle autorité sans punition ni fessée »), Catherine Gueguen (« Pour une enfance heureuse »), Jesper Juul et bien d’autres. Ils apprendront qu’éviter de frapper un enfant ne doit pas empêcher de lui donner un cadre. Ne pas fixer de limite est aussi de la maltraitance. « Il importe de mieux expliquer les choses, de conditionner l’enfant pour une contrainte à venir. En revanche, quand c’est non, c’est non, il ne s’agit pas d’expliquer ou de négocier à perte de vue », ajoute la pédiatre Marie Teixochon. La journée nationale de la non-violence éducative du 30 avril, pour sa treizième édition, n’a pas culpabilisé les parents lors de ses conférences, proposant des méthodes simples et alternatives. Notons le petit kit d’urgence en cas de grosse colère : des exercices pour les parents, afin qu’ils se demandent ce qui se passe en eux, s’isolent, respirent, proposent un jeu, prennent leur enfant dans leurs bras… Les pédopsychiatres ne veulent pas dramatiser. Les parents qui ont donné quelques fessées ou gifles ne sont pas maltraitants. Mais ils ne recommandent pas leur utilisation. « Prenons conscience que les enfants, parce que nous sommes des animaux sociaux, sont dotés d’extraordinaires capacités relationnelles innées (attachement, imitation, empathie, altruisme…) qui les préparent à la vie avec les autres, et que si ces capacités sont respectées dans une relation d’attention et de bienveillance, elles se développent au simple contact d’adultes qui leur donnent l’exemple », conclut Olivier Maurel.

(1) Vingt siècles de maltraitance chrétienne des enfants, d’Olivier Maurel, éd. Encretoile, 2015 / La Fessée, questions sur la violence éducative, éd. La Plage, 2015.

(2)Elever son enfant autrement, de Catherine Dumonteil Kremer, éd. La Plage, 2016

(3) http://pediatrics.aappublications.org/content/early/2012/06/27/peds

(4) http://www.unh.edu/news/cj_nr/2009/sept/lw25straus.cfm

Julien Tarby

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