Haro sur le manque de reconnaissance des autistes

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Une méconnaissance du sujet par les professionnels et un manque de politique d’accompagnement laissent bien souvent les parents désœuvrés malgré le renfort du monde associatif…

Nous ne connaissons pas grand chose sur l’autisme. Les plus vieux se souviendront certainement du cultissime Rain Man de Barry Levinson raflant quatre Oscars, sorti dans les salles en 1988 et mettant en scène une relation fraternelle complexe entre Tom Cruise, aka Charlie Babbit et Dustin Hoffman, campant Raymond Babbit, un adulte diagnostiqué autiste Asperger. Dans ce film, Raymond est considéré comme un autiste de haut niveau, entendez dans cette locution une manière de dire que la personne ne présente pas de déficience intellectuelle, parle tout en étant capable de prouesses intellectuelles malgré d’évidentes difficultés à interagir avec les autres. D’autres figures pop mettent également en avant cette façon biaisée de voir l’autisme. Sheldon Cooper dans The Big Bang Theory ou encore Alan Turing dans Imitation Game en sont autant d’exemples. Les préjugés ont la belle vie si bien que 37% des Français pensent, à tort, que l’autisme est un trouble psychologique (étude Opinion Way, 2012) et 61% des Français estiment qu’il y a environ 50000 personnes touchés par l’autisme en France… au lieu de 650000 ! Dans la réalité, certains autistes emblématiques existent. Josef Schovanec, par exemple, philosophe, écrivain notamment du fameux « Je suis à l’Est », est ainsi devenu en quelques années le chantre pour la dignité des autistes sur chaque média de France et de Navarre. Dans les faits, le visage de l’autisme en France est tout autre. D’autant que son diagnostic est subtil et complexe et que les structures dédiées manquent en France. Un comble lorsque l’on sait qu’en France, une prise en charge partielle et non adaptée revient au minimum à 2500 euros par enfant et par mois, poids financier essentiellement supporté par la famille. « Un poids financier, et un engagement qui explique pourquoi un des deux parents arrête de travailler. Le manque à gagner n’est jamais comblé par les aides. Et les parents qui veulent accompagner leur enfants se précarisent bien souvent », ajoute Maxime Gobinet, papa de la petite Clémentine, diagnostiquée en 2015 à l’âge de trois ans, et dont l’épouse s’est mise à temps partiel, ayant réussi malgré tout à obtenir un financement de 700 euros par mois par la MDPH.

Manque de structures et difficultés liées à l’établissement d’un diagnostic

Ce trouble neurobiologique du développement touche trois garçons pour une fille. « Le cerveau ne se développe pas de façon normale. Aujourd’hui on sait que ce n’est pas psychologique et qu’il ne s’agit pas d’un problème d’éducation. Cela se manifeste de façon très précoce mais les signes varieront d’un enfant à l’autre », vulgarise Valérie Chaput, psychologue spécialiste de l’autisme, thérapeute au cabinet Happy Minds. Ce trouble du développement touche ainsi trois grands domaines que l’on peut remarquer avant trois ans. Il existe d’abord un trouble dans les interactions sociales. « Qu’il s’agisse des parents, des autres enfants ou d’une personne étrangère, l’enfant autiste n’aura pas de sourire social en réponse à un autre sourire. Il sera plus largement indifférent aux personnes et ne réagira pas non plus à l’appel de son nom. Il préférera également les activités solitaires aux contacts humains », continue la psychologue.

Le trouble de l’autisme concerne également la communication verbale et non verbale. Le mutisme n’est pas obligatoirement signe d’autisme mais reste un signe notoire. « L’enfant souffrant d’autisme peut également employer le langage à sa façon en répétant des phrases par exemple. » Dans la communication non verbale, un enfant qui présente ce type de trouble ne saura pas pointer une chose et regarder la personne. Ce concept d’attention conjointe est également à surveiller en cas de doute. Enfin, « les comportements stéréotypés et répétitifs sont le sujet que nous connaissons le mieux. Cela se traduira par ce que l’on appelle des stéréotypies ou mouvements anormaux. La réaction au niveau sensoriel est tout autre qu’une personne qui n’est pas autiste. Le concept de main-outil est aussi un autre exemple qui peut conduire à faire un diagnostic. L’idée ici est que l’enfant ne sait pas prendre la main de l’adulte pour prendre quelque chose. Enfin, les autistes se caractérisent par une grande résistance au changement. L’ensemble de ces signes font partie des TSA, troubles du spectre de l’autisme, au nombre de dix », note Valérie Chaput.

Un flou artistique qui aboutit à une absence de politique

« Il faut avoir en tête qu’avant trois ans, on ne posera pas forcément un diagnostic. L’idée est davantage celle de mettre en avant certaines défaillances. Car avant trois ans, on parle de trouble du spectre autistique. Et sur ce spectre, le nombre de variations est infini », ajoute Valérie Chaput.

D’autres formes d’autisme sont plus difficiles à cerner. « Parfois le développement du langage se fait naturellement. Les alertes viendront plus tard au moment de l’école primaire voire du collège. Au moment où l’enfant devra faire preuve de sociabilité. L’Asperger peut se définir comme quelqu’un de socialement aveugle. C’est comme vouloir vivre dans un pays étranger sans avoir aucun des codes sociaux à l’œuvre. Dès qu’un doute persiste, il ne faut pas hésiter à consulter. L’hôpital Robert Debré est l’établissement le plus réputé en France. Mais en parallèle, il existe tout un réseau régional, de Centres ressources autisme (CRA) ou encore de Centres médico-psychologiques (CMP). Cela dit, la plupart des structures cultivent une orientation analytique qui n’est pas la meilleure approche pour détecter et accompagner l’autisme », commente Elaine Taveau, présidente d’Asperger Aide. Pendant bien des années, l’approche analytique reprochait aux parents d’autistes Asperger un défaut d’éducation. Si aujourd’hui, l’autisme n’est plus seulement appréhendé via les prismes de Lacan et de Freud, force est malgré tout de constater que le diagnostic pose encore problème un France.

« En tant que parent, on sent qu’il y a une chose qui ne va pas. Il faut que les parents suivent leur sentiment pour ensuite aller chercher des réponses. Le monde associatif est une première entrée », nous explique Elaine Taveau, qui nous recommande les associations Autisme France ou Autisme sans frontières. En France, il n’y a pratiquement pas d’endroits où diagnostiquer un Asperger. « Nous sommes dans un désert médical sur ce sujet, lance Elaine Taveau. Les CMP, les psychologues ou les hôpitaux de jour ne connaissent pas le sujet, ou du moins en grande majorité. » Malgré l’engagement d’Emmanuel Macron et de sa femme, présents tous deux pour le 4ème plan Autisme, les choses évoluent lentement.

Car la confusion règne encore sur le sujet de l’autisme, polémique qui enfle en raison d’un manque de données viables et de nombreux clivages théoriques qui rythment le débat national. Si l’association Vaincre l’autisme publie sur son site qu’une naissance sur 100 est touchée par les Troubles du spectre autistique (TSA) – ce qui correspondrait au chiffre de 650000 personnes atteintes en France, selon les prévalences reconnues au niveau international –, un rapport de l’IGAS sur le sujet des TSA démontre que le chiffre oscille de 4 à 5 cas pour 10000 personnes à 30 et 40 cas pour 10000 personnes en raison de critères changeants et d’une accélération des diagnostics… Toujours selon l’IGAS, le nombre d’enfants autistes de moins de 20 ans serait situé entre 90000 et 110000 individus. Et il serait presque impossible de mesurer la population des adultes autistes…

Le poids sous-estimé pesant sur les épaules des parents

« En France il y a un retard sur les pays anglo-saxons. Si nous n’avions pas eu la chance de connaître un psychologue spécialisé, nous aurions peut-être attendu deux ans avant de pouvoir avoir un diagnostic et par chance notre fille Clémentine étant âgée de moins de 3 ans nous avons pu bénéficié d’un rendez-vous en urgence au Centre de Ressources Autisme de Lille, c’est à dire dans les 2 mois qui ont suivis les conclusions du Centre Médico Psychologiques de Denain dont nous dépendions  », explique Maxime Gobinet. Le rapport de l’IGAS précédemment cité fait état d’un délai d’attente de 419 jours pour l’année 2014 d’après l’activité du réseau des 22 CRA.

Au-delà de ces chiffres étourdissants, la prise en charge demeure de tous les instants pour les parents. « Avec Emilie, ma femme, et nos familles, nous nous découpons la semaine. Je ne travaille pas le lundi, le mardi, ce sont mes beaux-parents qui s’occupent de Clémentine, le mercredi, c’est Emilie, le jeudi, ma mère et un vendredi sur deux nous alternons avec ma femme », décompte Maxime Gobinet. A renforts de conférences et de coups de main de l’entourage et des associations, cette famille du Nord de la France a pendant deux ans décidé de mettre en place un dispositif ABA, méthode la plus répandue en France. « Mais cela représentait 50 euros par heure pour cette méthode sachant que de nombreuses lectures préconisaient idéalement 40h par semaine… Nous étions sur un rythme de 5h30 avec deux éducateurs, une psychologue, une psychomotricienne et une orthophoniste », énumère le père de famille.

Virage de méthode depuis deux ans. Les parents ont depuis opté pour une méthode plus alternative mais davantage porteuse d’espoir. « Nous avons choisi la méthode “3 I” grâce notamment aux renseignement glanés avec l’association AEVE (Association autisme espoir vers l’école). Même si la méthode semble prometteuse, on te fait comprendre que l’autisme ne se soigne pas et ne se guérit pas. Aujourd’hui, nous gardons l’espoir que Clémentine sorte de sa bulle pour avoir une vie presque normale », expliquent les parents qui multiplient avec leurs bénévoles les efforts pour stimuler au quotidien Clémentine.

Les conférences et formations sur Paris.

Aujourd’hui, la petite Clémentine ne semble pas présenter de déficience intellectuelle. Depuis la mise en place de cette nouvelle méthode, 40 bénévoles se succèdent dans la semaine pour aider le couple dans la réalisation de petits progrès, encadrés par le suivi régulier d’une psychologue, d’une psychomotricienne et d’une orthophoniste. L’AEVE conseille d’ailleurs aux parents de recourir à un plan médias pour multiplier les aides et le bénévolat.

« Dans cette méthode c’est l’enfant qui guide l’adulte. Nous avons réservé une salle dans notre maison uniquement dédiée aux activités journalières de notre fille composée de jeux d’éveil et de psychomotricité. La salle est également insonorisée et les fenêtres calfeutrées pour éviter une lumière trop agressive. C’est un peu comme recréer les conditions où Clémentine était encore dans le ventre de sa mère en somme un endroit avec le moins d’agressions sensorielles possibles, où Clémentine peut reprendre le cours de son développement  ». Bien que modestes, les progrès sont réels. Aujourd’hui la petite Clémentine interagit mieux avec ses proches et son regard est de plus en plus présent. C’est un peu comme si après s’être éteinte vers 18 mois, elle renaissait progressivement…

Geoffroy Framery

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