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Le caractère public et familial des cadeaux, la mise en compétition que, de fait, ils opèrent, leur caractère d’obligation mutuelle et réciproque entre protagonistes de la même nécessité, tout cela tisse entre nous des liens sociaux fondamentaux. Avant l’ère du commerce, existait une autre logique, première, ancrée encore en nous, profondément, comme un atavisme ou comme le fil conducteur de notre ADN, celle du don. Le don « pure giving » de Jonathan Harry, le « keeping while giving » d’Annette Weiner, le « fait social total » et « l’esprit du don » de Mauss, le don était, et est encore d’autres façons de s’aimer, de se tenir et de s’obliger les uns les autres au partage des biens. Noël en est et reste la tradition la plus contemporaine. Cookies, chocolat chaud et Christmas Carols aux coins des rues en sont l’expression gratuite. La tradition déteint en rouge et vert sur les nouveaux codes cadeaux : le home made et le DIY [Do It Yourself]. Le tout rattrapé par des offres commerciales imaginatives.

 

L’adolescent se démarque par les marques

Se mêle à ce désir d’avoir le pouvoir ostentatoire des marques et du luxe. Il procure un gain narcissique, par voie d’affichage social implicitement reconnu par tous ceux et celles qui en possèdent les codes arbitraires et précis, ainsi que la validation d’un passeport d’accès « all inclusive » aux valeurs groupales. Et à leur bon usage. Dans une urbanité convenue.

Logo manifestement et ostensiblement visible, affichage identitaire et prime d’affiliation à un groupe social, la visée et la portée des marques sont élitistes ou prétendues telles. Pour faire partie des « happy few », l’ado et le préado, de plus en plus précocement d’ailleurs, se démarquent en portant des marques. Je porte, donc je suis. Les marques sont un recours semble-t-il incontournable, une case obligatoire à cocher sur le jeu de l’oie des apparences à l’adolescence, pratique partagée d’inclusion et/ou d’exclusion d’un groupe de référence.

L’appartenance au groupe est assujettie à la période de transition psychique et physique que représente l’adolescence. Elle détermine souvent le goût vestimentaire : porter la même chose que les copains ou que les leaders de la classe ou du collège, c’est souvent un passage obligé et coûteux. L’ado, en plus de se demander à lui-même ce qu’il vaut, vous pose, aussi, la question – que vaut-il pour vous ? Qu’êtes-vous prêts à « investir » dans son look ? La question du prix et celle de l’emprise, à la fois du style et de l’apparence, est implicite. Au propre comme au figuré. Jusqu’à quel point, et jusqu’à quel prix mon parent est-il prêt à sacrifier sur l’« hôtel » des marques pour que je porte le même « uniforme » implicite ? L’ado en manque d’assertivité – affirmation de soi – adopte le recours aux marques pour se faire accepter en paraissant parfaitement aux normes et aux calibrages attendus par le groupe dont il vise l’appartenance, parfois sans autre choix possible. Chaque contexte social local possède ses impératifs propres. Le risque fatal serait l’exclusion pour cause de non-conformité. Se sentir rejeté est particulièrement insupportable pour l’adolescent·e, notamment parce qu’il ou elle traverse physiquement et psychiquement une longue et parfois douloureuse période de transition, de transformation. Tous les codes de l’enfance changent en même temps et le code vestimentaire très rigide fournit en quelque sorte un point fixe et rassurant dans un horizon où absolument tout change et dont la focale est floue.

 

Le complexe du homard

Les marques sont un repère identitaire rassurant, dans cette période troublée où jouent tous les mécanismes des identifications infantiles et où se rejouent les choix de modèles identitaires.

Le bien connu « complexe du homard » (qui perd sa carapace), théorisé par Françoise Dolto, explique comment l’adolescent·e mue, perd sa peau, est à vif, au long cours de cette littérale métamorphose que constituent les processus de subjectivation et d’identification à l’adolescence. Ajoutez que tout se joue en même temps sur toutes les scènes psychiques, soit dans la perception et le vécu de la réalité et de ses aléas, et puis au sein des constructions personnelles imaginaires et de la constitution des fantasmes, et puis encore sur le plan de tout ce qui concerne la sphère du symbolique

 

Envie, besoin, frustration, le cycle infernal du tout vouloir

Le jeune enfant est soumis, comme nous le sommes nous-mêmes d’ailleurs, à la tentation du tout vouloir. Pour ces fêtes de fin d’année, la parade des désirs enfantins et les must de la wish list 2021 défilent en boucle : Pokémon Raichu, Barbie Tresse Magique, Alive, la poupée qui grandit, Gravi Trax Starter, drones de toutes formes et jumeaux Hatichimals hantent de leurs nominations le « must have » télévisuel et résonnent comme des imprécations injonctives : cerveau, yeux et oreilles de nos bambins sont imprégnés. Le petit enfant, surtout celui à qui l’on n’a pas su, ou pu, poser quelques limites structurantes à la toute-puissance de son désir, risque de se révéler, véritablement, tyrannique (lire Parenthèse n° 67, mars-avril 2019). À Noël, certes plus encore, mais à tout autre moment de l’année, le désir d’achat va surgir des contraintes et de pratiques consuméristes comme de sa boîte de Pandore. On a tous en tête ces scènes littéralement théâtrales, ces expressions explosives de désir à l’état brut, rencontrées au détour des rayons pleins à craquer de King Jouet, de Joué Club et autres PicWik Toys… Ou simplement à l’hypermarché du coin. On a tous en tête cet enfant (dont nous minimisons l’ampleur et l’impact sur de petits cerveaux immatures) interprétant le rôle-titre d’un petit tyran ou d’une petite « enfant reine » : voulant tout, tout de suite, encore plus, autre chose, sans fin, et se roulant au sol, rouge de colère, trépignant, tapant du pied, ne lâchant rien, à force de larmes et de cris hoquetant à bout de souffle… À bout de nerfs, des parents qui ne savent comment réagir. Et retrouver leur place de parents apaisants. Face à la déferlante.

Tous dans le « tout vouloir » ?

1. Pourquoi l’enfant est-il dans le tout vouloir ?

2. Les bonnes attitudes pour désamorcer les caprices

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