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Le discours normatif actuel entretient les ados dans une vision négative de la sexualité. Voici les étapes clés d’une éducation positive qui en fera des adultes matures.

Loving couple

Des humains, il y en a toujours eu sur terre, preuve que la question du « comment » n’a jamais empêché la perpétuation de l’espèce. Concernant le « pourquoi » de la sexualité en revanche, le mystère reste entier pour cette nouvelle génération d’adolescents dont on a fait des « techniciens ». L’acte sexuel, sorti de son contexte, devient alors recherché comme tel, en dehors de toute relation amoureuse. Lui redonner du sens constitue le nouveau défi éducatif des parents. Pourquoi remettre en cause ces nouvelles formes   de libertinage ? Parce que ceux qui en ont fait l’expérience s’accordent à dire que la pornographie n’est pas le lieu de l’épanouissement de la vie affective. Parce que ceux qui ont multiplié le nombre de partenaires affirment qu’ils ont aussi multiplié les ruptures et donc, les occasions de souffrir. Seul l’environnement familial peut alors contrer cette vision réductrice des choses. « Les parents ont un énorme travail pour contrebalancer le discours excessivement normatif que leurs enfants reçoivent depuis l’âge de 12 ans », rappelle la psychologue Béatrice Copper-Royer.

L’éducation : seule issue de secours

L’expérience est vraie dans le domaine d’Internet comme dans celui de la sexualité : le contrôle et l’interdiction seuls sont des armes inefficaces à long terme. Elles restent l’ultime recours de ceux qui ont renoncé à éduquer. À peine l’enfant aura-t-il échappé au regard de ses parents qu’il reproduira l’acte interdit. Une véritable éducation porte toujours ses fruits. L’enjeu, aujourd’hui, est de redonner une image positive de la sexualité, en lui offrant une finalité autre que le plaisir tourné vers soi, qui finit par lasser ou décevoir.

Redonner un sens positif à la sexualité

À force de présenter le plaisir comme seul but de la relation sexuelle, on en oublierait presque qu’elle permet aussi d’avoir des enfants et de construire une famille ! Pour redonner aux ados une bonne vision de la sexualité, il est nécessaire de replacer celle-ci dans le cadre de la relation amoureuse vécue dans un projet de vie commune. Cela mène l’enfant à se poser la question de ce qu’il souhaite faire de sa vie. Il s’agit de l’encourager à en être l’acteur et non pas le spectateur, de lui dire que la vie n’est pas faite d’une succession de hasards et de circonstances. Qu’il n’existe pas de fatalité qui imposerait de reproduire un modèle familial chaotique, par exemple. Envisager ainsi la relation amoureuse ouvre des perspectives bien plus prometteuses que lorsqu’elle est présentée comme un simple moyen de « se faire plaisir ». Elle permet à l’adolescent de se dépasser, d’aller de l’avant, de croire en ses aspirations et de se donner les moyens de les réaliser.

Éduquer sa volonté

La question de la sexualité se pose avant tout parce que l’on aime quelqu’un. Mais éprouver un sentiment ou une attirance suffit-il à dire que l’on aime ? Le sentiment n’est pas l’unique critère selon lequel on donne suite à une relation. Il est bien trop fluctuant. D’autres paramètres sont à prendre en compte pour assurer une durabilité dans l’amour : l’intelligence et la volonté. Entre nos désirs et la réalité, la marge est parfois importante. Le manque de détermination est ce qui empêche souvent de s’accomplir. Mais rassurons-nous : la volonté n’est pas seulement une question de caractère. Certaines qualités s’acquièrent progressivement et savoir cela est encourageant. Avec l’habitude, les choses qui, à première vue, semblent insurmontables, deviennent chaque jour plus faciles. Le résultat d’une éducation à la volonté est la maîtrise de soi, gage de liberté puisqu’il nous permet d’atteindre le bien que l’on souhaite.

S’ouvrir à l’autre

Aimer implique la connaissance et donc l’ouverture à l’autre. « Ce sentiment se nourrit de la différence et de l’énergie que suscite la compréhension de cette différence », écrivait Françoise Dolto dans Paroles pour adolescents. Cette ouverture ne va pas de soi à l’adolescence, période pendant laquelle l’enfant est surtout centré sur lui-même, en pleine découverte de sa propre identité et en « deuil de sa toute-puissance », selon les propos du philosophe Raphaël Enthoven. La maturité implique le fait d’être capable de s’intéresser à l’autre, ce qui suppose d’avoir réglé ses propres problèmes d’adolescents. Un enfant devient une grande personne « lorsqu’il peut s’éloigner tranquillement de ses parents sans états d’âme ni angoisse », souligne la psychologue Béatrice Copper- Royer. L’ouverture à l’autre implique aussi de pouvoir le « considérer dans son altérité, tel qu’il est, tel que je ne suis pas », rappelle Raphaël Enthoven. Les ados ne sont pas encore prêts à cela : c’est aux parents de les y initier.

La responsabilité

Pour certains, l’adolescence est l’âge où l’on s’amuse. Elle est cette dernière période de la vie durant laquelle il est encore possible de vivre dans l’insouciance et d’agir sans tenir compte des conséquences de ses actes. Une telle vision comporterait sa part de poésie si elle n’avait pour conséquence de préparer des adultes incapables d’affronter leurs devoirs et obligations, et de s’engager dans les différents domaines de leur vie. L’une des propriétés de la vie adulte est la responsabilité. « Aucune collectivité humaine ne survit au règne de l’irresponsabilité », rappelle Raphaël Enthoven. Or, cela s’apprend. La sexualité a des conséquences que l’enfant doit être prêt à assumer : la possibilité de devenir père ou mère… Ignorer cette possibilité supprime une dimension de la relation amoureuse et entretient l’immaturité. Si parmi l’ensemble des éducateurs chacun a son rôle à jouer, le parent conserve une place irremplaçable.

Article réalisé par Marie BERNARD

 

L’avis de…  Fabrice HADJADJ

Lorsqu’on désire une jeune fille, belle, la rencontre promet plus que l’étreinte ne peut tenir

Fabrice HADJADJ est professeur de philosophie à la faculté de Toulon, auteur de La Profondeur des sexes (Le Seuil) et de Pasiphae ou comment on devient la mère du minotaure (DDB), joué au Festival d’Avignon.

Que veut dire aimer ?

L’amour est de l’ordre du désir. Par delà le sentiment amoureux, l’amour d’amitié consiste à vouloir le bien de celui qu’on aime. Il se distingue de l’amour de concupiscence qui consiste à aimer l’autre pour mon propre bien.

Une éducation à l’amour est-elle possible ?

L’amour d’amitié exige une certaine forme d’objectivité. Il porte à se demander : qu’est ce qui est bien pour l’autre ? Vers quel bien devons-nous cheminer ensemble pour que notre amour soit véritable et non une flatterie mutuelle dans laquelle chacun s’enferme dans son contentement ? C’est là qu’intervient l’éducation. Je ne peux pas provoquer le sentiment amoureux, mais une fois qu’il est là, je peux m’interroger sur ce qu’est le bien de la personne que j’aime.

Un adolescent est-il capable d’aimer ?

On nous fait croire que l’expérience du sentiment amoureux est superficielle chez l’adolescent. En réalité, ce besoin d’union est très profond et imprègne les soubassements même de sa personne. À travers cette ouverture qui se fait par le désir, il découvre qu’il ne se suffit pas à lui-même. Il se demande : qu’est-ce qu’aimer ? Comment faire pour qu’une relation dure ? L’adolescent découvre aussi ce qu’implique la sexualité : la fécondité. Ce qui pourrait sembler ne se situer que du côté du bas-ventre touche en réalité au plus profond de la personne humaine. Il ne faut jamais mépriser les amours adolescentes.

Le parent a-t-il un rôle à jouer ?

L’exemplarité des parents marque très profondément l’ado. Ensuite, il faut être à l’écoute et ne pas avoir peur de leur dire qu’on n’engage pas son corps impunément. Notre société est dualiste dans les rapports entre le corps et l’âme . On fait des choses qui sont de l’ordre du don avec le corps, mais pas de l’ordre de la personne.

Quelles en sont les conséquences ?

Ce que l’on fait avec le corps marque profondément notre mémoire, entraînant une inertie extrêmement forte. Certains adolescents, qui ont eu beaucoup de relations, sont souvent dans l’incapacité de se donner et donc de s’engager. Ils ont pris une mauvaise habitude et sont accaparés par leurs expériences passées. Notre corps porte l’emprunte de ce qui a été fait. J’ai moi-même eu une adolescence assez dissolue avant de me ranger. Ma mémoire est toujours hantée par les femmes que j’ai connues. Je vis cela comme pouvant devenir malsain, puisque je suis dans la comparaison. J’entre dans des dimensions qui ne sont pas celles d’un amour véritable et profond. En multipliant les expériences, on perd l’ouverture à la singularité de la personne. Une autre question est celle de la virginité. Notre société est devenue extrêmement curieuse de ce côté-là. La virginité apparaît comme honteuse, surtout chez les garçons. La femme tolère davantage que son mari ait eu d’autres expériences que l’inverse. Il y a une grandeur de la virginité qui est le fait de se réserver pour un amour, pour un don radical à une personne. Il y a un enjeu à essayer de porter cette parole.

En quoi consiste cet enjeu ?

Je remarque une sorte d’aura autour des jeunes filles qui sont restées vierges parce qu’elles voulaient se donner à un homme. Cela fait sens en nous. Je trouve important de faire en sorte que l’adolescent n’en vienne pas à trahir ses rêves d’enfance. Sinon, l’affectivité devient triste. Lorsqu’on désire une jeune fille, belle, la rencontre promet plus que l’étreinte ne peut tenir. Cette beauté m’appelle, mais exige de moi une réponse. L’acte sexuel est-il alors l’unique ? C’est assez pauvre. Le corps est le lieu qui nous appelle à une harmonie plus haute. Si l’on ne pense qu’à coucher, on oublie ce qu’on a vu dans la beauté du visage. Si l’on n’enseigne pas cela aux jeunes, ils penseront que la « tournante » est ce qu’il y a de mieux. Reste alors à provoquer la conversion du regard, par laquelle l’homme s’ouvre à ce qui dépasse l’ordre physiologique.

Propos recueillis par Marie BERNARD

 

L’avis de…  Raphaël ENTHOVEN

L’amour se noue entre deux tendances contradictoires : la peur de l’abandon et le goût de l’autre.

Raphël ENTHOVEN est normalien, agrégé de philosophie et présente l’émission Les nouveaux chemins de la connaissance sur France Culture.

Que veut dire aimer ?

Je n’en sais rien. Mais il me semble qu’un amour dont on donne les raisons est un amour mal en point. Si vous savez pourquoi vous aimez quelqu’un, c’est en général que nous ne l’aimez déjà plus, ce que montre Pascal quand il parle du néant d’un amour qui ne porte que sur des « qualités empruntées », comme la beauté. Il arrive pourtant qu’un mariage de raison devienne un mariage d’amour, que deux êtres qui ne s’aiment pas (mais croient s’aimer parce qu’ils ont, sur le papier, de bonnes raisons à cela) finissent par s’aimer pour de vrai, c’est-à-dire sans dévoration de l’autre, sans appropriation. Ils sont fidèles en cela à la leçon du coup de foudre, par lequel vous reconnaissez quelqu’un que vous n’avez pourtant jamais vu.

Si l’amour est un coup de foudre et que la volonté n’intervient à aucun moment dans sa naissance alors, aimer n’est pas un acte libre !

Si on réduit la liberté au libre arbitre, si celle-ci consiste à dire : « Je fais ce que je veux », alors l’amour est aux antipodes puisque dans ce domaine, nous n’avons pas le choix. Chacun va où sa raison, ses peurs, son coeur ou son bas-ventre le conduisent. Nul libre arbitre à cela. Si on dit, au contraire, que la liberté consiste à vouloir ce qu’on fait (comme le prétendent, en gros, les stoïciens), alors tout le monde est libre, mais toute liberté repose dans la résignation, et il est impossible de ne pas vivre la résignation comme une servitude…

Quelle est votre propre conception de la liberté ?

Celle de Montaigne. « Quand je danse, je danse, quand je dors, je dors… » Si la liberté consiste à adhérer à ce qu’on devient, à marcher dans ses propres pas, si, pour être libre, il suffit de s’en apercevoir, alors amour et liberté se tiennent la main, amoureusement. J’aime à confondre liberté et spontanéité, histoire de concilier la nécessité qui me traverse et le sentiment d’être à l’origine de mes actes. Un acte « spontané » est à la fois déterminé et immédiat.

Poussée dans ses moindres conséquences, la liberté ainsi entendue prive l’amour de toute moralité ?

Absolument. La morale n’est pas le problème de l’amour, mais son piment, les barreaux qu’il s’improvise afin de se donner un obstacle. Lorsque vous vous laissez aller à aimer l’être qui vous a touché, vous êtes plus libre que si vous vous privez de lui, au motif que se serait immoral.

Sur quel critère jugez-vous que l’amour est ou non souhaitable ? S’agit-il d’un choix arbitraire ?

Est souhaitable ce que je souhaite. Ce n’est pas parce qu’une chose est bonne que je l’aime, mais parce que je l’aime qu’elle est bonne. Reste à savoir ce que je souhaite, ce qui est beaucoup plus difficile. Il n’y a pas d’arbitraire à cela, mais au contraire une extrême attention à tout ce qui nous détermine à aimer comme on respire.

Notre spontanéité est conditionnée par notre éducation, notre caractère, etc.  En ce sens, ne s’oppose-t-elle pas, justement, à la liberté empêchant, in fine, d’être heureux ?

Peut-être que toute spontanéité relève d’un code inné. Mais vous raisonnez en termes de but, comme s’il fallait être libre pour être heureux. En ce qui me concerne, j’ai tendance à penser que l’avenir n’existe pas, contrairement au présent. Mais, pour le coup, c’est une question de tempérament.

L’amour est-il perfectible, selon la conception que vous en avez ?

Non, dans la mesure où, étant à lui-même sa propre fin, il est parfait. Mais oui, dans la mesure où l’amour est impur, souillé d’idéal, d’intérêt, de colère, de jalousie, de peur d’être seul, etc. Il arrive, comme le plomb devient de l’or, que l’angoisse de la solitude ou l’amour de l’argent débouchent insensiblement sur un amour véritable. De sorte que, paradoxalement, on peut « apprendre » à aimer, même si on ne le choisit jamais.

La connaissance de l’autre perfectionne-t-elle l’amour qu’on a pour lui ?

Je ne sais pas. Mais j’ai tendance à croire qu’en amour, on a le droit de ne pas vouloir connaître l’autre, comme le droit d’ignorer ce qu’il fait. L’amour exige autant de délicatesse que de discrétion de la part de ses protagonistes.

Un adolescent est-il prêt à ce respect de l’altérité ?

Pas sûr. Pas facile, en tout cas, de faire son deuil de la toute-puissance à l’âge de l’adolescence. Comment renoncer à la maîtrise de ses passions et à la domination sur autrui quand on se cherche une identité ? L’adolescence est l’âge de la violence parce que c’est l’âge du doute. Comment expliquer au tempérament vorace d’un adolescent qu’on peut désirer quelqu’un sans vouloir le soumettre ? Comment lui dire qu’en croyant faire ce qu’il veut, il ne fait que devenir ce qu’il est ?

« Devenir ce qu’on est » implique de savoir qui on est, ou du moins qui on « doit » être !

En un sens, mais pas au sens où je l’entends. « Devenir ce qu’on est » signifie tout autant la suppression de la liberté que son accomplissement. Dans le premier cas, on devient ce qu’on est au départ, comme une graine contient l’arbre  qu’elle fait surgir. Mais dans le second, « devenir ce qu’on est » signifie, tout simplement, que nous ne sommes rien que nos actes, rien que ce que nous devenons. Cela ne revient pas nécessairement à situer l’être en amont du devenir, mais à les penser simultanément. A ce compte-là, l’expérience de la liberté suppose d’être fidèle à soi, à ses attachements, ses goûts et ses plaisirs, d’être  suffisamment capable de vivre en se passant d’autrui, pour savoir lui donner sans compter, sans spéculer sur les dividendes de ce qu’on lui donne. Celui qui fait l’aumône spécule souvent sur ses entrées au paradis, tout comme celui qui vous invite à dîner parce qu’il veut vous mettre dans son lit…

Quelle est la condition du don ?

Ne pas avoir besoin de l’autre. Considérer l’autre dans son altérité, tel qu’il est, tel que je ne suis pas. Dès qu’on a besoin de quelqu’un, on lui demande de jouer un rôle, d’occuper une place, d’être conforme au désir maladif – c’est-à-dire au manque – qui vient provisoirement se fixer sur sa personne… C’est ici que l’amour se noue entre deux tendances contradictoires : la peur de l’abandon et le goût de l’autre.

Peut-on aimer en étant réellement détaché de toute recherche du bonheur ?

D’expérience, je peux vous dire que oui. Le bonheur comme le malheur sont des effets de l’amour, sans en être le but. Lorsque l’amour est déçu, vous êtes malheureux. Lorsqu’il est réciproque, vous êtes heureux. Cela prouve que le bonheur comme le malheur ne dépendent pas de vous. Le bonheur est en ce sens une grande loterie. Mieux vaut désirer ce qui dépend de soi.

Par exemple ?

Se satisfaire d’aimer, au lieu de subir ce que Deleuze appelle « le sale petit besoin d’être aimé ». Comme dit Spinoza : « Qui aime Dieu d’un amour sincère ne peut faire effort pour que Dieu l’aime en retour. » C’est à cette condition que l’amour, paradoxalement, dépend de soi.

Raphaël Enthoven vient de publier son dernier livre L’Endroit du décor aux éditions Gallimard. Conseiller de la rédaction de Philosophie Magazine, où il tient la rubrique « Sens et vie », il anime également une émission sur France Culture, du lundi au vendredi à 17 h.

Propos recueillis par Marie BERNARD


 

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