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Dans ce livre de témoignages, 28 personnalités parmi lesquelles Jack Parker, Nadia Daam, Marine Baousson, Bérengère Krief, Rokhaya Diallo, Ovidie ou encore Nicolas Berno parlent de leur adolescence en s’adressant directement aux enfants qu’ils ont été. Lettres instructives sur les joies, les problèmes et les influences que les jeunes ressentaient, et continuent certainement de ressentir…

«Les ados ne sont que des points d’interrogation en baskets », écrit Dedo, humoriste et acteur qui a percé dans le Jamel Comedy Club. La période est compliquée et ce genre d’ouvrage est utile et déculpabilisant pour les ados qui peuvent se rendre compte que d’autres personnes en ont bavé, ont vécu plus ou moins les mêmes choses, et s’en sont pourtant sorties. Pour les plus âgés, ces pages ont bel et bien un effet nostalgique. Elles leur permettent de faire la paix avec leur passé, de relativiser en voyant le chemin parcouru. Les droits d’auteurs sont par ailleurs reversés à l’association Marion la main tendue, qui lutte contre le harcèlement scolaire. Tour à tour drôles, émouvantes, sérieuses, complices… ces lettres n’en laissent pas moins émerger quelques points saillants, quelques difficultés communes auxquelles les ados sont confrontés et qui sont bien souvent minimisées par les parents. D’où l’intérêt de se replonger dans le passé des années 80-90. En avant Marty !

Violences et brimades

C’était peut-être le sujet le plus prévisible, tant cette période de la vie est sujette aux comparaisons, aux confrontations aux autres et aux humiliations. Forger sa personnalité passe par des colères, des rebellions, des hontes et des moqueries. Ainsi Titiou Lecoq, journaliste, bloggeuse et romancière, évoque cette fille méchante « qui faisait preuve d’une insupportable répartie pour se moquer d’elle et faire rire à ses dépens ». L’essayiste n’était pas dotée d’une répartie à toute épreuve et éprouvait donc des difficultés à lui répondre. Elle se console aujourd’hui en se disant que la miss préparait sûrement ses traits d’esprit à la maison et était obnubilée par elle puisqu’elle y pensait le soir. Parfois, les souvenirs évoquent des problèmes plus graves qui font écho aux maux de la société. Ainsi Rokhaya Diallo, aujourd’hui journaliste, écrivain et réalisatrice, souligne le racisme dont elle a été victime, les brimades vécues alors qu’elle a continué dans les études supérieures et s’est trouvée assez esseulée en tant que personne de couleur. Elle insiste aussi sur les inégalités hommes/femmes qu’elle a constatées dans son quartier…

Un culte de l’apparence démultiplié

Mais tous se rejoignent sur un point : ils ironisent désormais sur l’image sociale qu’ils se sont construite, alors que la réalité de ce qu’ils ont vécu n’a pas eu grand-chose à voir avec ces fantasmes. Rokhaya Diallo consacre d’ailleurs toute une partie de son chapitre à décrire la jeune fille à lunettes, timide, réservée et jugée peu intéressante par les autres, qu’elle était. Elle avait pourtant tant de choses à dire… « La roue tourne, ne te préoccupe pas tant que cela du regard des autres », semble le mantra de la plupart de ces conseilleurs. Être adulte permet de relativiser. Une attitude qu’il n’était pas possible d’adopter à cet âge, de l’avis de tous. Adrien Ménielle, acteur, scénariste et auteur de bandes dessinées, parle de cette volonté irrépressible d’être différent et original. Une constance dans la démarcation qui conduit finalement à devenir « un pin’s parlant amusant pour les autres mais qu’ils n’emmènent pas avec eux sur une île déserte ». C’est peut-être la force de cet ouvrage, les auteurs décrivant leurs anciens comportements avec recul et bienveillance. Des postures que les adolescents affectionnent, quelle que soit l’époque. Ils donnent un retour honnête sur ces stratagèmes après des années. Et cette quête continue de singularité, qui dénature la personnalité en construction, se trouve sous le feu de leurs critiques.

La pression des standards

De l’originalité certes, mais tout en restant dans le moule. Un exercice de haute voltige au cours duquel nombreux sont ceux qui se sont cassé les dents. Les témoignages démontrent que la norme est une notion concrète dans le monde des adolescents, de laquelle il faut savoir s’éloigner avec parcimonie. Navie, auteure de bandes dessinées et scénariste pour la pub, s’est par exemple longtemps considérée comme grosse et trop éloignée des canons de beauté en vigueur ; elle a abîmé son corps et a pleuré devant le miroir à de nombreuses reprises, comme nombre de ses congénères. « Il importe d’en finir, surtout, avec les oripeaux du genre, des apparences, de ce qui «fait bien», de ce qui plaît au plus grand nombre, de cesser de convoiter ce qui brille », conseille Océanerosemarie, une humoriste militante qui s’attache à faire tomber les préjugés contre les homosexuels. Rokhaya Diallo ne ne regrette pas d’avoir adoré les mangas envers et contre tous, avant que cela ne devienne la mode. Elle a été raillée et a souffert de ce choix durant de nombreuses années. Mais plus tard, alors que le domaine a été en vogue, elle a été considérée comme une spécialiste respectée… « Apprendre enfin à voir la beauté ailleurs que là où le consensus l’impose », exhorte Océanerosemarie. Sophie Riche, YouTubeuse, comédienne et humoriste, faisait partie des cyniques, « ceux qui se moquent, qui critiquent, qui n’osent pas être eux-mêmes ». Elle se faisait des opinions des autres en tenant compte de celles de ses amies. Mais cette façade de personne blasée ne tenait pas à la maison, elle s’émouvait et éclatait en sanglots facilement. Un jeu de rôles qui ne reste pas qu’un souvenir lointain et anecdotique de jeunesse. Elle confesse avoir gardé des stigmates de cette période. « J’ai du mal à me livrer, à faire le premier pas en amitié ou en amour ». Elle n’a du coup qu’un conseil à donner : « Se lâcher, oser être soi-même, s’ôter la pression d’être parfaite qui fait tant de mal. »

Une touche optimiste malgré tout

Titiou Lecoq demande à sa sœur de 30 ans si « ce n’est pas trop dur d’être vieille ». Elle lui répond qu’elle est plus heureuse à 30 qu’à 15. La vie s’améliore progressivement selon elle, elle s’arrange à mesure qu’« on gagne en indépendance et en liberté d’être ce qu’on veut ». C’est à quelques exceptions près l’avis des autres. Certes les désenchantements et fausses routes ont été nombreux, mais le regard reste nostalgique avant d’être amer. Quelques retours d’expérience sont intéressants à noter, comme celui de Titiou Lecoq qui rappelle que « les journées de vacances passées à bouquiner ne sont pas du temps perdu. Elles vont servir plus tard… ». Si tout était à revivre, Marion Seclin, actrice, chroniqueuse et chanteuse, chercherait à afficher plus de confiance en elle. « Débarrasse-toi du syndrome de l’imposteur », conseille-t-elle d’après son vécu. Les regrets sont plus nombreux que les remords. Etonnamment les jeunes adultes ont plutôt raté des expériences que fait des bêtises ; par peur de l’échec notamment, comme Julien Ménielle, vidéaste sur YouTube qui a créé une chaîne santé, le souligne : « Arrête de ne tenter des trucs que si tu as l’assurance à 100 % que tu vas réussir. Cela te donne l’impression de réussir tout ce que tu fais mais cela te fais passer à côté de plein de choses incroyables. » Bérengère Krief, comédienne et humoriste, regrette d’avoir adhéré aux angoisses de sa mère et de ne pas avoir tenté de voyager seule ou s’être adonnée au skateboard. Des jeunes plutôt trop obéissants ? Navie encourage à bien la faire, cette fameuse crise d’adolescence. Elle avoue avoir été trop pressée d’être adulte. « J’ai oublié de la faire si bien qu’elle est revenue comme un boomerang violent. Dire «vous me faites chier» à 15 ans, c’est mieux pris qu’à 35. » Bérengère Krief regrette d’avoir passé trop de temps avec certaines personnes, s’accrochant à elles au nom de l’amour idéal qu’elle cherchait absolument à vivre, alors qu’elles n’en valaient pas la peine. Des traumatismes vécus, autrement plus graves, ont pu influencer certaines vies comme celle d’Ovidie mais dans l’ensemble on parlera plutôt de frustration, d’inconfort et d’une amélioration avec les années. « Les questions, les doutes et les peurs ne s’arrêteront jamais. Il n’y a pas un moment dans la vie où tout sera soudainement réglé. Ces questions, ces doutes et ces peurs font partie du jeu… », conclut philosophiquement Patrick Baud, graphiste, écrivain et vidéaste qui a trouvé sa voie non pas par les études mais « par sa curiosité et ce qu’il accomplissait à côté ». Finalement une sorte de réconciliation avec eux-mêmes ? Tout du moins une acceptation… « Vieillir, ce n’est peut-être qu’une longue et laborieuse réconciliation avec soi-même », résume ainsi Océanerosemarie. n

(1) «Lettres à l’ado que j’ai été», ouvrage collectif sous la direction de Jack Parker, éd. Flammarion, 2018.

Julien Tarby

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