Gérer la solitude de son enfant

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Le manque d’interactions et d’invitations de leur enfant peut effrayer certains parents, car la vie en société s’apprend dès le plus jeune âge. Un diagnostic s’impose.

«Sacha n’est jamais invitée aux anniversaires. Elle liera des liens plus forts avec les années », affirme, inquiète, Magdalena C. à Domont (95), mère d’une enfant de six ans. Des parents se rongent les ongles en constatant que des enfants n’en finissent plus de recevoir des cartons d’invitation, quand le leur n’est jamais concerné. La solitude est redoutée, alors que l’objectif principal de l’école est justement la socialisation de l’enfant, qui se forge une personnalité au contact des autres. La rentrée apparaît comme le grand test de la collectivité, permettant de voir si l’enfant est assez équilibré pour communiquer, partager avec ses semblables, et ainsi progresser. Les adultes qui aperçoivent dans la cour leur enfant restant dans son coin, préférant jouer seul, doivent-ils réagir dans l’urgence ?

Souvent un simple ajustement de personnalité

Il importe d’abord de relativiser, les causes pouvant être anodines. L’enfant peut être sensible, ou encore timide et avoir besoin de temps avant de se lier aux autres. « Dans ce cas rien de grave, les enfants en bas âge sont des boules d’émotions qui ne maîtrisent pas encore certains sentiments. Ils apprendront bien vite à régler leur conduite pour entrer en interaction avec les autres », explique Jean Curty, psychologue et psychothérapeute spécialiste de l’enfance. Parfois il est simplement fâché avec ses proches, les relations à cet âge étant très fluctuantes. Même une forte personnalité peut ne pas avoir d’amis – l’autoritarisme et l’agressivité pouvant déplaire aux autres. « Les parents ont tendance à avoir peur au bout de 15 jours, même s’il s’agit d’une nouvelle école. La difficulté est le plus souvent passagère. Cependant, si l’isolement s’installe et perdure, si les témoignages de la famille élargie concordent, si l’enfant redoute la cour de récréation et l’école en général… un mal-être plus profond doit être recherché », avertit Monique de Kermadec, psychologue clinicienne, spécialiste de la précocité et de la réussite.

Signes qui peuvent assombrir l’avenir

L’attention est de rigueur dans tous les cas, car cet ostracisme de cour de récré peut être la résultante de problèmes fonctionnels chez l’enfant. « Retard de langage que les parents mettent du temps à constater s’ils ont un fils ou une fille unique, trouble de l’audition non détecté, ou encore trouble de l’attention – celui qui ne parvient pas à rester dans les activités et joue le perturbateur aura du mal à se faire des amis », énumère Monique de Kermadec. Les raisons psychologiques peuvent aussi revêtir des formes inquiétantes car le rôle des camarades dans le développement de l’enfant est souvent sous-estimé. Celui-ci renforce sa confiance en se faisant des amis, puis apprend à communiquer, à écouter les autres pour se faire accepter… Bref il acquiert de manière informelle les règles de vie en société, comme la politesse, le partage, l’empathie… « Lorsque nous arrivons dans la classe le matin, je vois bien que Naël entre en relation avec un groupe en arrachant les jouets des autres. Lesquels le craignent et le repoussent, ce qui l’exaspère et le conduit à casser leurs constructions », se désole Alexia K., professeur de lettres modernes, mère d’un garçon de quatre ans à Lille. L’enfant qui n’est pas du tout à l’aise dans sa relation à l’autre peut manquer de confiance en lui, d’intelligence relationnelle et émotionnelle, et même être autiste. « Cela peut être les symptômes de troubles de la personnalité sur lesquels on pourra mettre un mot plus tard », avertit la praticienne. Le mieux, en cas de solitude durable, est de demander l’avis du professeur des écoles, et pourquoi pas de prendre conseil auprès du médecin de l’enfant, ou encore de demander un accompagnement psychologique.

Une communication de tous les instants

La clé réside dans un dialogue sincère et continu avec l’enfant. « Il importe, sans être insistant, de le faire parler de ce qu’il fait pendant la récréation, de ses activités en classe, puis de ses rapports avec ses camarades. Mieux vaut toujours passer par le contexte et éviter l’approche directe, sinon l’enfant se sent mis en accusation », précise Monique de Kermadec. Dans tous les cas, il ne faut jamais discuter de lui avec d’autres personnes, tant qu’il est présent, ou – encore pire – le taxer d’être timide ou solitaire, car il aura tendance à coller à la description qu’on fait de lui. Dans ses descriptions il finira par en venir à ses complexes, ou aux raisons profondes de ses mauvais rapports avec les (ou un) enfant(s)… « Il est essentiel qu’il puisse exprimer ce qu’il ressent », ajoute la spécialiste qui préconise aux parents les histoires ou films où le héros rencontre des problèmes d’amitié, pour ensuite demander à l’enfant, qui s’identifie, les solutions qu’il préconise.

Le rôle sous-estimé des parents dans la socialisation

Bien évidemment il est recommandé d’encourager les « situations élargies », de faire venir des cousins, de recevoir d’autres familles… « Qu’est-ce que j’ai ramé au début, lors de l’entrée d’Hadrien en première section de maternelle. Garçon très timide, il était isolé dans la cour, j’ai donc tout fait pour sympathiser avec les parents et inviter des enfants à la maison, alors que mon mari me disait d’être juste patiente. Tout doucement Hadrien a brisé son cocon, et je me dis que je l’ai aidé », se souvient Diane D. dans le XIème arrondissement de Paris. Cet activisme n’est pas la garantie de la réussite. « Les enfants peuvent être sympathiques dans la relation à deux, et ne pas l’être en groupe à l’école », avertit d’expérience Marie-Agnès L., directrice d’école à Orléans. Et surtout la socialisation ne s’impose pas. Il ne suffit pas de mettre un jeune enfant au milieu des autres pour que le miracle agisse. La socialisation se découvre au fil des expériences. Mais pour pouvoir entamer des relations actives, l’enfant doit avoir acquis sa propre identité. Un processus difficile facilité au sein de la famille. Il est important que l’enfant mange toujours à la même place à table, ce qui est rassurant pour lui et va lui permettre de s’ouvrir aux autres sans éprouver la crainte que sa place soit prise. Il faut qu’il ait ses propres jouets qui ne sont pas ceux du frère ou de la sœur, pour qu’il prenne conscience de sa place dans la famille. L’éducation des parents est aussi déterminante, consistant à apposer des limites dans la relation à l’autre – ne pas être tyran –, à prendre ses distances avec ses émotions voire à les contrôler. « Ils lui apprennent à décoder le langage non verbal, les expressions du visage ou du corps des autres pour savoir quand ils sont en colère, contents… », décrit Monique de Kermadec. L’enfant va petit à petit être attentif à ces signaux, montrer un intérêt réel, apprendre à converser. « Il n’y a pas de secret. Quand les parents qui jouent le rôle de modèles sont très sociables, les enfants le sont », constate la directrice d’école Marie-Agnès L. Des adultes peuvent être repliés sur leur famille proche, bien le vivre, mais du coup ne pas apprendre à leurs enfants à accueillir le monde extérieur. Bref, l’éducateur fournit des codes à l’enfant pour observer les autres avant d’essayer de s’insérer. « Des enfants vont directement voir les autres et imposent leur jeu, essayant de prendre le pouvoir. Or pour intégrer un groupe il faut savoir les règles qu’il a adoptées, prendre le temps de les comprendre », précise Monique de Kermadec, souvent confrontée à ces très jeunes patients condamnés à « jouer tout seuls et à s’inventer des histoires ».

Laisser le temps…

Les parents frustrés que leur enfant n’ait pas de copains doivent souvent juste s’armer de patience. Il a d’abord besoin d’observer, et surtout de trouver sa place avant d’aller vers les autres. Bien sûr opter avec lui pour des activités qui l’aident à s’affirmer comme le théâtre, les sports collectifs ou arts martiaux (cf. article sur le choix du sport, dans le même numéro) est important, mais bien souvent c’est d’un cadre rassurant et bienveillant dont il a besoin. Sans le surprotéger, les parents qui jouent beaucoup avec leur enfant et lui font remarquer ses qualités comme ses défauts l’aident à s’accepter tel qu’il est, et à s’armer pour aller vers l’autre.

Les anniversaires

Moment révélateur ?

« De toute manière je ne veux pas souscrire à cette surenchère malsaine des parents qui multiplient les animations en invitant un maximum de copains lors de l’anniversaire de leur enfant », déclare Magdalena C. à Domont (95), frustrée que son fils ne reçoive pas le fameux carton. Il importe de relativiser. Généralement un tiers des élèves d’une classe fêtent leur anniversaire, et invitent peu de camarades. En outre les parents ont une vision déformée de l›amitié entre enfants, rendant des invitations ou faisant venir les enfants des couples amis. Mais ce genre de rassemblement peut être instructif quant à la souffrance d’un enfant mal à l’aise, qui insiste pour que ses parents restent. « Ceux qui ont une grande sensibilité, les enfants précoces notamment, peuvent trouver qu’il y a trop de bruit, d’excitation qui les effraient », relate Monique de Kermadec, psychologue clinicienne, spécialiste de la précocité et de la réussite. Une immersion qui permet aux parents de mieux cerner leur enfant en collectivité.

Julien Tarby

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