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Créé en 1950, le département de Cancérologie de l’enfant et de l’adolescent de l’institut Gustave Roussy est un leader de la prise en charge médicale et humaine des enfants et adolescents atteints de cancer. Parenthèse s’est plongé le temps d’une journée dans les locaux de ce service…
C’est à Villejuif (Val-de-Marne), au neuvième étage de l’immense bâtiment de l’institut Gustave-Roussy que s’est installé il y a plus de 60 ans le département de Cancérologie de l’enfant et de l’adolescent. Les couloirs colorés et les petites flèches sur le sol vous mènent dans les différents espaces et unités de ce service.
Voici l’espace consultation, les bureaux des médecins et une salle polyvalente où sont organisés divers événements par des associations comme L’étoile de Martin, Fais-moi plaisir, Jeunes solidarités cancer ou encore Magie à l’hôpital. Les deux salles de classe où les enfants ont cours chaque jour, l’espace jeunes enfants et l’atelier d’arts plastiques sont regroupés à côté de l’atelier de psychomotricité et des salles réservées aux psychologues et neuropsychologues. Cette prise en charge paramédicale, à laquelle est dédié un vaste espace de vie de 700 m2, est attribuée aux petits patients en parallèle de leurs soins.
Un quotidien difficile mais gratifiant
Dans la salle de jeux, Edith, éducatrice de jeunes enfants, reçoit les parents avec les enfants de 0 à 12 ans. « Ce n’est pas facile pour un enfant de s’adapter à un nouvel environnement. Je viens ramener un peu d’ordinaire à toutes ces blouses blanches, médecins et traitements par le biais des jeux car il s’agit d’un environnement qu’ils connaissent », explique Edith. Lors de cette parenthèse ludique, les enfants peuvent jouer, lire, participer aux ateliers, par exemple de cuisine ou de musique. « L’objectif de l’atelier cuisine est de stimuler le plaisir de l’enfant de faire à manger, sentir des bonnes odeurs… Souvent les chimiothérapies enlèvent ce plaisir de manger car le goût des aliments n’est plus le même. Quant aux ateliers musique, qui ont lieu chaque vendredi après-midi grâce à l’association Musique et santé, c’est une occasion d’ouvrir une fenêtre sur extérieur. C’est une évasion lors de laquelle les enfants se font embarquer par des mélodies douces et des chansons du monde entier », explique cette femme au sourire radieux. Les parents profitent également de cette pause partagée avec leurs enfants. « On oublie qu’on est à l’hôpital. Ça fait du bien », affirment-ils. De plus, grâce à Edith, les enfants créent des liens les uns avec les autres. Ici les grands vont rassurer les petits en leur expliquant certaines procédures médicales. Les enfants sont heureux de pouvoir oublier leur lit d’hôpital où ils n’ont pas toujours envie de retourner. « Quand on dit à notre enfant qu’on doit aller à l’hôpital, il est très difficile de le préparer. Il est réticent. Mais à peine on lui annonce qu’il y verra Edith, il est déjà dans la voiture prêt à partir à Gustave Roussy », explique un couple.
Virginie est neuropsychologue. Au sein du service pédiatrie, elle évalue les séquelles des enfants qui ont eu une tumeur cérébrale ou d’autres types de tumeurs. « À partir du moment où l’enfant est pris en charge par service, je vais le suivre jusqu’à 20, 22, 23 ans. On ne le lâche pas tant qu’il n’est pas repris par une autre structure ou qu’il a trouvé un emploi », explique-t-elle. En suivant ainsi l’enfant jusqu’à son âge adulte, Virginie voit ses patients grandir et évoluer. C’est pour cela que c’est aussi très difficile de les voir s’étendre. « La détresse des parents est aussi l’une des difficultés de ce travail. Ce n’est pas simple d’annoncer des choses qu’on n’a pas envie de dire et qu’ils n’ont pas envie d’entendre. Les enfants ne manifestent pas de la même façon leur détresse, surtout les petits. C’est une fois devenus ados qu’ils comprennent des choses », explique-t-elle.
La souffrance des jeunes adolescents est en effet difficile à supporter que ce soit pour eux-mêmes ou pour leur entourage. « Ils se voient se dégrader. Le fait d’avoir sympathisé avec des jeunes de leur âge et de les voir mourir les touche. Ils se demandent alors : quand est-ce que mon tour viendra ? », explique Amélie, éducatrice de jeunes de 13 à 25 ans. Son rôle, éviter qu’ils soient isolés. Elle leur propose donc de nombreuses activités souvent en binôme avec Vanessa, la psychomotricienne du service. « Avec les ados, nous faisons de la musique, des ateliers vidéos, des jeux… On va bientôt mettre en place un projet autour du théâtre », explique Amélie. Ceux qui ne peuvent pas sortir de leur chambre pour des raisons médicales ont le droit à une visite individuelle. « Il est important d’aller les voir car certains peuvent se renfermer et juste attendre que le temps passe. Le but est de les stimuler », explique Amélie. Cette stimulation est importante aussi bien pour leur état psychologique que physique.
Travailler au quotidien avec des enfants malades et leurs proches très inquiets et en souffrance n’est pas toujours simple même si le corps professionnel doit savoir mettre une certaine distance avec les patients. « Le travail nous apporte une autre philosophie de la vie », indique Virginie. « Nous sommes une équipe soudée et nous pouvons parler entre nous », note Vanessa. Malgré tout, c’est une joie pour elles d’apporter aux enfants des moments de bien-être et de les voir guérir. Et les petits patients savent rendre cette gentillesse. « Des jeunes que je suis depuis des années m’appellent pour me dire « je passe mon permis, j’ai trouvé du travail », etc. », explique Virginie.
Un espace bien pensé
À l’extrémité de cette aile se trouve une autre partie du service dédié à l’hospitalisation. Elle se divise en quatre unités distinctes, dont une protégée. Il s’agit de La Mer pour les chimiothérapies à hautes doses. Les enfants sont en chambre seule. Pour y accéder, il faut suivre plusieurs normes d’hygiène : une charlotte, des sur-chaussures, une blouse et bien sûr un sérieux lavage de mains. Aucune bactérie ne doit rentrer dans cet espace.
Quelques mètres plus loin se situe un accueil ambulatoire, Le Village. Ici les enfants, accompagnés de leurs parents, viennent recevoir leur chimiothérapie, leurs soins et analyses de la journée et rentrent le soir chez eux. Les urgences sont également traitées dans cette unité. Le long des murs, sont garées quelques voitures pour enfants. Juste à côté, vous trouverez La Montagne où sont hospitalisés les adolescents à partir de 13 ans, tout comme les jeunes de 18-20 ans. Un squat se trouve également dans cette unité où les ados peuvent s’évader en jouant au babyfoot ou à de nombreuses consoles de jeux vidéo. Un embarras du choix pour passer un bon moment tous ensemble et oublier la maladie.
Dans l’unité de La Plaine où sont hospitalisés les enfants de 0 à 12 ans durant leurs soins, le docteur Sandra R. s’apprête à faire des visites matinales des patients. Ces derniers passent souvent plusieurs jours dans cette unité qui devra bientôt être entièrement rénovée grâce aux généreux donateurs. La maladie est ici aussi discrète que possible. On y entend rarement des pleurs. Le cancer se présente plutôt sous les traits d’une petite fille sans cheveux avec une perfusion au bras, d’un garçon au teint pâle, ou d’une petite fille blottie dans les bras de son père avec un petit tube dans le nez. Malgré tout, les enfants ont le sourire. Ils courent dans les couloirs, bouquinent, jouent les uns avec les autres. Quelques pleurs résonnent dans les chambres notamment lors des soins administrés par les médecins. « Nous essayons de jouer avec eux pour que tout se passe bien. Nous nous organisons au mieux pour que parents et enfants se sentent bien », explique une interne. « On essaye de mettre les enfants de même âge ensemble dans les chambres ainsi des liens se créent », indique le docteur Sandra R. Les parents partagent aussi leurs expériences avec les nouveaux venus et essayent de s’entraider. L’hôtel des parents dont les enfants sont hospitalisés se trouve également sur le même étage. Quelques chambres sont dédiées aux papas et mamans de nouveaux hospitalisés ou ceux qui sont en fin de vie. C’est rassurant et pratique puisqu’à n’importe quel moment les médecins peuvent venir les chercher.
La recherche avance lentement…
Près de 400 patients âgés de 0 à 20 ans sont suivis ici chaque année. « Nous soignons des enfants et ados avec des tumeurs solides ou des lymphomes. Leurs maladies sont rares. On n’en parle pas beaucoup et les parents ne comprennent souvent pas qu’un enfant puisse avoir un cancer », explique le docteur Dominique Valteau-Couanet, qui dirige ce département d’oncologie pédiatrique. En effet, pour les parents qui apprennent le diagnostic de leur enfant, seuls les adultes peuvent avoir un cancer. Il est donc davantage difficile d’accepter la maladie. « Les cancers d’enfants sont différents de ceux des adultes car il ne s’agit pas de pathologies d’organes. Leurs tumeurs peuvent être localisées dans des endroits du corps très différents. Le cancer progresse rapidement mais est plus sensible à la radiothérapie que celui des adultes », indique-t-elle.
« Aujourd’hui, près de 80 % des enfants guérissent » d’un cancer, explique l’oncologue. Toutefois, elle précise que « la recherche avance lentement car il faut du temps et pour passer d’une idée à la réalité ». « Entre la conception d’un protocole et sa réelle mise en place il se passe trop de temps. Il faut savoir que tout ce qui est du développement de médicaments pour enfants est complexe. Il y a des règles nécessaires à suivre ». En effet, moins de 10 % des enfants en rechute ont accès à une molécule innovante autorisée ou en cours de développement chez les adultes. « Il y a aussi des choses pour lesquelles nous n’avons pas le financement », souligne le docteur Dominique Valteau-Couanet. « Nous aimerions faire des progrès vite et trouver des solutions pour nos patients », conclut-elle. En attendant, l’institut Gustave Roussy continue à faire avancer la science, faire de son mieux et donner le meilleur pour que les enfants pris en charge guérissent et se rétablissent rapidement dans les conditions qui leur feront oublier la maladie.
Anna Ashkova