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« C’est fou comment un mot peut te faire perdre dix points », lance un internaute à l’issue de l’épreuve de français au baccalauréat de la filière professionnelle. Le mot en question? « ludique » – « Le jeu est-il toujours ludique? », voilà la problématique à laquelle devaient répondre les élèves qui passaient le bac pro peu avant l’été. Les petits Français seraient-ils plus à l’aise avec les chiffres? Raté, selon les principales études reconnues. Les mathématiques, un pilier à reconstruire.
La France se passerait bien des grandes études internationales qui mesurent le degré de compétences de ses bambins. Et pour cause, fin 2019, le célèbre classement Pisa classait notre pays au 26e rang (sur 79) en mathématiques. Derrière la Lettonie. Très insuffisant pour un pays qui se félicite de sa dernière médaille Fields, remportée en juillet par le français Hugo Duminil-Copin, âgé de 37 ans et mathématicien probabiliste connu pour ses travaux sur des modèles de particules en interaction. L’élite mathématique hexagonale brille à travers le monde. Pour le reste, la discipline n’attire plus. Les écoliers l’évitent dès qu’ils le peuvent, c’est-à-dire beaucoup plus facilement depuis la réforme Blanquer de 2019.
Le tournant de la réforme Blanquer
« Je n’ai pas le sentiment d’enseigner des mathématiques au rabais, même si je ne peux ignorer les constats opérés par les rapports internationaux », nous confie Claire Piolti-Lamorthe, professeure depuis une vingtaine d’années et récemment élue présidente de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public (Apmep). Au quotidien, la prof de maths ne remarque pas de dégringolade du niveau de ses élèves. Cependant, une chose est sûre, « le nombre d’heures d’enseignement des mathématiques a diminué ». Pas question d’opposer les disciplines entre elles, mais, à l’évidence, l’intensité d’enseignement des maths dépend avant tout de l’emploi du temps global des élèves français qui étudient une pluralité de matières.
« L’on tente de concentrer notre pédagogie sur la résolution des problèmes, un pan de la discipline pour lequel les petit·es Français·es rencontrent des difficultés, explique Claire Piolti- Lamorthe, mais les classes sont souvent trop chargées, les salles de classe à plus de 30 élèves ne sont pas rares, ce qui rend pratiquement impossible le travail de groupe, pourtant essentiel à l’apprentissage des maths », ajoute la présidente de l’Apmep. Sans compter la grande hétérogénéité des publics qui ne permet pas d’insister sur des lacunes individuelles. Surtout, la réforme Blanquer a facilité pour les élèves leur possibilité de s’affranchir – complètement ou presque – des mathématiques.
Dans le supérieur, pour les néoétudiants admis dans les filières d’économie et gestion et qui n’ont pas suffisamment étudié les mathématiques au lycée, le risque d’échouer sera plus élevé – Claire Piolti-Lamorthe, professeure.
En seconde générale et technologique, les élèves ont quatre heures de mathématiques chaque semaine. Puis, en première, toujours quatre heures pour celles et ceux qui choisiront l’option « spé maths ». Pour les autres, c’est possible de ne plus en faire du tout ! Idem pour la terminale, certains élèves n’auront aucune heure de maths dans l’année pendant que d’autres, qui étudieront « les maths expertes » – soit trois heures en plus des six heures de l’option maths en terminale – en comptabiliseront neuf par semaine ! Le fossé est immense. Derrière, dans le supérieur, « pour les néoétudiants admis dans les filières d’économie et gestion et qui n’ont pas suffisamment étudié les mathématiques au lycée, le risque d’échouer sera plus élevé », alerte Claire Piolti-Lamorthe. L’ex-ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer a même rétropédalé, puisqu’il annonçait il y a quelques mois vouloir renouer avec les mathématiques dans le tronc commun des élèves de première et terminale. Car trop de lycéens boudaient la matière. Son successeur, Pap Ndiaye, a du pain sur la planche.
En finir avec l’autocensure
L’on a souvent associé la réussite scolaire aux résultats obtenus en mathématiques. Comme si la sélection passait par les maths – discipline où, a priori, seul le travail ferait la différence contrairement au français ou aux langues étrangères, dont les performances dépendent davantage de l’origine sociale. Un principe méritocratique sur le papier. Car en théorie, tout se passe bien.
En pratique, les filles, qui étaient légèrement sous-représentées dans l’ex-filière scientifique (S) avant la réforme (47 %), ont été moins nombreuses à choisir la spécialité maths ensuite. La réforme aurait accentué des inégalités présentes depuis plusieurs années, voire décennies. On compte en 2021, 40 % de filles qui ont opté pour la spécialité mathématique – soit le même taux de filles présentes dans les filières mathématiques en 1994, rapporte Libération. Un sacré recul. Pourtant – et devrions-nous le rappeler ? – « les jeunes filles ne sont pas moins performantes en mathématiques que les garçons », insiste notre professeure de maths. Simplement, elles doutent plus souvent de leurs capacités, intériorisent des stéréotypes de genre parmi lesquels ce sont les garçons qui étudient les sciences dites « dures ». Et même quand elles y accèdent, on les retrouve beaucoup en « biologie », moins en « physique ».
Pas étonnant ensuite que les filles explorent moins les filières scientifiques dans l’enseignement supérieur. Les inégalités se cumulent. Bref, finissons-en avec l’autocensure. Mais existe-t-il bel et bien des enfants qui n’ont vraiment aucun atome crochu avec les maths, tout de même ? « Peut- être, mais je crois que pour l’extrême majorité, il suffit pour eux de changer de regard sur eux-mêmes, sur leurs propres performances, ces enfants doivent se convaincre que c’est possible de réussir en maths », défend Claire Piolti-Lamorthe. Les parents ont le droit, aussi, d’y contribuer. Puis, indispensable de s’entraîner, encore et encore, « relire son cours ne sert pas à grand-chose », essentiel de pra- tiquer. Mais avec un nombre d’heures de maths qui se réduit… peut-on ne compter que sur l’école ? Problème, moins l’école remplira son rôle, plus les enfants des familles qui le pourront apprendront autrement – ce qui creusera une nouvelle fois les inégalités. Équation complexe.
Geoffrey Wetzel